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CHAPITRE V.

DE LA CHARITÉ CHEZ LES CHRÉTIENS.

SOMMAIRE

I. L'antiquité, qui admit l'esclavage et les combats du cirque, ne connut jamais la charité.

II. C'est l'Église qui l'a créée et qui a réhabilité le travail.

III. Des oblations et de la collecte.

Les diacres et les diaconesses.

L'Église n'a jamais secouru que ceux qui ne pouvaient pas travailler.

I

Nous avons dit qu'une nouvelle religion s'était levée sur le monde, et qu'elle avait été assez puissante ou assez parfaite pour jeter sur la philosophie païenne comme un reflet de ses enseignements. Voyons donc quelle était cette religion, et demandons-lui ce qu'ellemême avait fait pour les pauvres. Examinons un moment ses principes et sa doctrine et la manière dont elle les pratiquait. Aussi bien il nous est indispensable de les connaître, puisqu'elle inspira toutes les mesures de bienfaisance que nous aurons désormais à étudier, et fut

vraiment la créatrice, nous pouvons le dire dès maintenant, de la charité publique.

Sans doute l'antiquité, l'antiquité grecque surtout, connut ces sentiments de compassion et de pitié qui résident au fond du cœur de l'homme et sont parmi les éléments mêmes de sa nature; mais ce qu'elle ne connut jamais, c'est cette bienfaisance active qui, non contente de donner au mendiant dont la vue importune, va chercher les malheureux pour les secourir, cette bienfaisance prévoyante qui crée des institutions et bâtit des palais pour les malades et les pauvres.

Sans doute il y eut dans les temps anciens de généreux sentiments, de belles et bienfaisantes actions; mais aussi que de théories insensées et cruelles, même, il est triste de le dire, dans les écrits des philosophes et des esprits les plus éclairés. « La philosophie antique, au milieu de ses mérites, eut le tort impardonnable de rester froide devant les maux de l'humanité. Renfermée dans le domaine de la spéculation, au profit de quelques hommes d'élite, elle fut une occupation ou un amusement de l'intelligence, jamais une tentative énergique et courageuse pour réformer en grand la société et l'arracher à ses habitudes de corruption et d'inhumanité. C'est qu'elle manqua de la vertu qui inspira particulièrement le christianisme : la charité1. >>

Térence, il est vrai, se faisait applaudir quand il s'écriait sur la scène romaine :

« Homo sum, humani nil a me alienum puto; »

1. Troplong, Influence du Christianisme sur le droit civil des Romains, ch. I, p. 57.

mais Juvénal, plus sincère sans doute, disait crûment :

« Paupertas..... ridiculos homines facit. »

Aussi que d'institutions contre la raison et contre la nature; que de coutumes sauvages au milieu de la civilisation la plus raffinée!

Qu'il suffise de citer ici l'esclavage et les combats de gladiateurs, ces deux grandes iniquités de la société païenne.

L'esclavage, ce fondement de l'ordre social ancien, ce fait général admis par tous les grands esprits de l'antiquité1, et qui pourtant viole les premiers principes du droit naturel en méconnaissant les droits et la fin de l'homme, qui ne peut pas être l'homme, mais qui est Dieu.

Et les combats du cirque, cette effroyable perversion du sens moral de l'homme, spectacles innommés, où l'homme, devenu plus cruel que les animaux, se repaissait des jours entiers de voir la chair vivante palpiter sous la dent des bêtes affamées; jeux sanglants où le gladiateur, abattu sur l'arène, implorait en vain la clémence; il voyait la main blanche des matrones romaines s'étendre vers lui renversée, et le redoutable « pollice verso » lui signifiait qu'il n'avait plus qu'à mourir avec grâce.

Après cela, avec un tel mépris de la vie humaine, comment s'étonner de ne pas trouver dans toute l'antiquité un seul asile pour les malades, les enfants, les vieillards?

4. Aristote, Politique, liv. I, ch. 2, 2 44 et 45.

L'ergastule, où les esclaves dormaient les pieds passés dans des entraves de fer, en attendant que le fouet du villicus vint les réveiller; le spoliaire, espèce d'antre creusé sous le cirque, où l'on traînait le soir avec des crocs les corps des combattants tombés sur l'arène, après les avoir d'abord percés d'un fer rouge pour voir s'ils vivaient encore, et où de tout jeunes gladiateurs, pour s'exercer, les achevaient à coups d'épée et à coups de pieds..... Voilà les hôpitaux de l'antiquité!

II

C'est alors que parut la nouvelle religion et qu'elle vint donner au monde le précepte de la charité, c'est-àdire de l'amour; son divin auteur, en effet, l'a résumée lui-même en ces mots qui la contiennent tout entière :

Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde tuo, et

in tota anima tua, et in tota mente tua.

Hoc est maximum et primum mandatum.

Secundum autem simile est huic Diliges proximum tuum sicut teipsum.

In his duobus mandatis universa Lex pendet et Prophetæ 1. »

Et encore ces paroles admirables du sermon sur la montagne, si étranges alors, tant répétées depuis, et qui devaient produire dans le monde une révolution :

« Beati pauperes, quia vestrum est regnum Dei. Beati qui nunc esuritis, quia saturabimini. Beati qui nunc flelis, quia ridebitis...

1. Saint Matthieu, XXII, 37, 38, 39, 40.

Verumtamen væ vobis divitibus, quia habetis consolationem vestram.

Væ vobis qui saturati estis, quia esurietis. Væ vobis qui ridetis nunc quia lugebitis et flebitis.

Sed vobis dico qui auditis Diligite inimicos vestros, benefacite his qui oderunt vos.

Benedicite maledicentibus vobis et orate pro calumniantibus vos...

Et prout vultis ut faciant vobis homines, et vos facite illis similiter 1. >>

Ainsi, la première parole de cette doctrine étrange était : Bienheureux les pauvres, bienheureux ceux qui ont faim et ceux qui pleurent. Malheur aux riches, car ils ont leur bonheur en ce monde.

Mais, hâtons-nous de le dire, la nouvelle religion ne bouleversa pas la société; voulant avant tout refaire l'homme, elle lui enseigna tout d'abord ses devoirs; elle n'édifia point le devoir sur le droit, mais le droit sur le devoir. Elle ne dit pas aux esclaves : Armez-vous, jetezvous sur vos maîtres, tuez-les! Et pourtant il lui eût été bien facile de le dire et à eux de le faire. Mais elle dit aux maîtres: Ces esclaves sont vos frères, respectezles, aimez-les, affranchissez-les!

Ainsi, tout en posant le devoir de l'assistance envers les pauvres, elle n'ébranla pas la propriété ni le travail; mais, au contraire, elle garantit la première et réhabilita le second.

Il est vrai, les premiers Pères de l'Église semblent prôner une sorte de communauté de biens, ou, si l'on veut, de communisme, qui trouva sa réalisation exacte

4. Saint Luc, VI, 20, 21, 24, 25, 27, 28, 31.

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