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peine; s'ils se retrouvent le soir, c'est pour se jeter à la hâte dans un lit commun, où dort souvent toute la famille, dans un état de promiscuité innommée. Les enfants, qui ont à grand'peine appris à lire et à écrire dans les deux heures d'école réglementaires de la fabrique, n'ont reçu aucune éducation morale 1.

On comprend quels désordres doit entraîner un tel état de choses. Aussi les grands centres manufacturiers sont devenus des foyers de tous les vices: l'ivrognerie et le libertinage y sont poussés à leur dernière limite. Nous ne voulons citer ici aucun des faits rapportés par tous les publicistes qui ont étudié ces questions, mais ils attestent une démoralisation effrayante et presque générale. Qu'il nous suffise de dire que la corruption a atteint jusqu'aux enfants; les jeunes garçons et les jeunes filles même, dans certains pays, ont perdu les notions du sens moral et jusqu'aux premiers sentiments de la pudeur 2.

Ces vices sont certainement, parmi toutes les causes de la misère, les plus actives et les plus communes; mais, il faut le dire, même dans les familles d'ouvriers. qui ont su s'en préserver, on trouve aujourd'hui un amour excessif du luxe, du brillant, de la toilette,

du

4. La loi du 22 mars 1841, complétée par celle du 22 février 1851 (art. 10), sur l'apprentissage, et celle du 19 mai 1874 défendent, en principe, d'employer les enfants dans les usines et manufactures avant douze ans, et prescrivent, pour les cas où le travail est permis avant cet âge, de les envoyer à l'école au moins pendant deux heures chaque jour, s'il y en a une attachée à l'atelier.

2. M. J. Simon (L'Ouvrière, IIe partie, ch. 3 et 4) et M. Disraëli (Sybil, liv. II, ch. 43; liv. III, ch. 4) ont tracé des tableaux émouvants et trop réels de ces abîmes de misère et de débauche.

bien-être, et une imprévoyance coupable qui en est la suite.

Tels sont les faits généraux qui ont, à notre époque, accru le nombre des indigents, aggravé l'état des classes laborieuses et rendu plus difficile encore la solution déjà si délicate du problème de la misère. Ils ont creusé et envenimé les divisions entre les riches et les pauvres, et en ont fait, pour ainsi dire, deux nations « entre lesquelles il n'existe ni relations, ni sympathies, qui ignorent aussi complètement leurs habitudes, leurs pensées et leurs sentiments respectifs, que si elles vivaient sous des zones différentes 1. >>

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1. Sybil ou les Deux Nations, par M. Disraëli, liv. II, ch. 5.

1

CHAPITRE XII.

DES MOYENS DE COMBATTRE LA MISÈRE.

SOMMAIRE

I. Le luxe.

II. L'augmentation des salaires.

III. L'organisation du travail,

IV. Théorie de Malthus.

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Le communisme.

La diminution de la population.

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V. La charité légale. Ce qu'elle est en Angleterre. Ses inconvénients. Du véritable rôle de l'État.

VI. La vraie solution: Association, Patronage, Charité.

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A ces maux, quels remèdes faut-il apporter? On en a proposé beaucoup. Cette énigme terrible et menaçante du paupérisme commence à inquiéter les savants et les sages, et chaque école économique présente les moyens qu'elle croit avoir trouvés de guérir la plaie ou au moins d'arrêter ses ravages.

Plusieurs de ces procédés ont fait quelque bruit et rencontré certaine faveur ceux-là surtout qui présentaient aux intelligences une donnée plus facile à saisir, et aux passions du cœur un appât plus séduisant. Il convient de les examiner en quelques mots.

I

Un premier remède a été proposé le luxe; remède assurément facile et commode, car il prétend secourir le pauvre en satisfaisant les convoitises et l'orgueil du riche. Ces dépenses énormes, ces profusions ruineuses qu'entraîne le luxe sont, dit-on, le meilleur moyen de prévenir la misère, car elles augmentent la production, et, comme on l'a répété cent fois, elles font travailler l'ouvrier.

C'est là une erreur. Malgré ces apparences trompeuses, le luxe dissipe le capital et produit des maux qui sont loin d'égaler le bien passager qu'il peut procurer aux ouvriers, relativement peu nombreux, des industries de luxe. Les économistes de toutes les écoles sont d'accord sur ce point.

Certes, il y a un luxe permis, luxe modéré, nécessaire, motivé par la différence des positions sociales, et qui n'est que le fruit de l'aisance acquise par le travail.

Mais le luxe qui dilapide et diminue les fortunes qu'une sage économie eût fait prospérer est à tous les points de vue un mal, car la dépense faite en objets inutiles aurait été employée avec profit, et l'encouragement donné à un genre inutile est enlevé à un genre plus avantageux. « C'est donc à tort qu'on a dit et mille fois répété que les profusions du riche faisaient vivre le pauvre. Elles ne sont bonnes qu'à épuiser une des sources de la production les capitaux. Les richesses engendrent les richesses, et toutes les fois qu'on en dé

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