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philosophie qu'il faut demander la raison dernière du devoir et du droit de l'assistance.

Après avoir posé ces fondements, il sera possible d'étudier l'organisation actuelle des Secours publics, d'en montrer les qualités et d'en faire voir les lacunes et les défauts.

Telle est l'idée qui nous a inspiré, tel est le plan que nous avons suivi. Que cet essai soit imparfait et incomplet, nul n'en est plus convaincu que nous. Nous regrettons surtout de n'avoir pu étudier plus longuement l'histoire si intéressante de la charité dans notre pays. Mais une matière aussi vaste et aussi délicate demanderait le travail de nombreuses années. Quoi qu'il en soit, nous avons surtout tâché d'être clair, et nous serions trop heureux si cet humble travail possède cette qualité, qui ne semble pas être la vertu de prédilection des économistes de notre époque.

Puissions-nous n'être pas resté trop inférieur à la tâche; puissions-nous surtout avoir contribué, si faiblement que ce soit, à faire connaître le sort des pauvres, et à soulager ainsi ces souffrances, que chacun, dans la mesure de ses forces, doit travailler à diminuer et à guérir.

CHAPITRE I.

DES SECOURS PUBLICS A ROME AVANT AUGUSTE.

SOMMAIRE

I. Causes qui ont rendu nécessaire l'institution des secours publics. Désintéressement des premiers Romains, aisance générale.

II. Guerres puniques, conquête des provinces. Invasion des richesses

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en Italie. Pillage des provinces par les gouverneurs, les publicains.

III. Envahissement de l'ager publicus par les grands, de l'ager privatus par les chevaliers.

IV. Destruction de la petite propriété, dépopulation de l'Italie.

Les Romains furent longtemps un peuple de laboureurs et de soldats. Resserrés d'abord dans l'étroite enceinte du Pomarium, ils reculèrent leurs frontières par des combats sans nombre et soumirent peu à peu toutes les nations voisines. Quatre cent quatre-vingts ans de luttes continuelles leur assurèrent enfin la domination de l'Italie entière.

Tenus sans cesse en haleine par ces guerres, dont les fortunes diverses mirent plus d'une fois Rome à deux doigts de sa perte, ces Romains des premiers âges n'eurent point, on le conçoit, le temps de se laisser amollir par les vices qu'engendre une longue paix. De plus, il leur fallait bien, pour vivre, cultiver cette terre de l'Italie, qui refusa plus tard à leurs bras affaiblis le blé, qu'ils demandèrent à la Sicile et à l'Égypte.

Ces deux nobles professions, d'ailleurs, ne s'excluaient point; la même main maniait aussi bien la charrue que l'épée; et les plus grands citoyens ne rougissaient pas, après avoir combattu les ennemis de la patrie, de revenir labourer eux-mêmes le modeste champ de leurs aïeux. Tout le monde sait qu'il fallut arracher Cincinnatus à sa charrue pour le porter à la dictature, et que Fabricius, de ses mains triomphales, préparait lui-même ses aliments, simples produits d'une terre que lui-même aussi cultivait.

Pendant près de six siècles, lorsque les Grecs s'abandonnaient déjà à de vaines disputes philosophiques, les Romains s'adonnèrent exclusivement à l'agriculture et à la guerre; « ils pratiquèrent cette espèce de philosophie, qui ne consiste point en disputes ni en discours, mais dans la frugalité, dans la pauvreté, dans les travaux de la vie rustique et dans ceux de la guerre; ils faisaient leur gloire de celle de leur patrie et du nom romain : ce qui les rendit enfin maîtres de l'Italie et de Carthage 1. ̧»

La conquête de l'Italie marque en effet pour Rome un moment solennel. Carthage était devant elle. Fallait-il se renfermer dans la péninsule déjà soumise, ou tenter

1. Bossuet, Discours sur l'Histoire universelle, Part. I, Époq. 8.

l'empire de la mer? Sans doute le premier parti eût été le plus sage; c'était celui du Sénat. Mais déjà un souffle d'ambition et de conquête avait passé sur le peuple de Rome la lutte fut décidée.

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Elle dura soixante-deux ans. On en connaît les phases diverses et le résultat final. Portée d'abord en Italie par le génie d'Annibal, le plus grand capitaine peut-être qui ait jamais paru1, elle se termina sur les côtes de l'Afrique, où les Romains, instruits par leurs revers mêmes, avaient appris à la porter à leur tour.

La bataille de Zama décida de la fortune des deux peuples et de l'empire du monde. Rome n'avait plus qu'à marcher de conquête en conquête; Carthage vaincue, l'univers ne pouvait avoir d'ennemi capable de lui résister.

Si maintenant l'on jette un regard sur l'organisation sociale de ce peuple, point de vue souvent trop négligé par les historiens, on voit qu'elle est fondée sur la vertu, « ce principe du gouvernement démocratique, principe, sans lequel, a dit Montesquieu, la république est une dépouille dont la force n'est plus que le pouvoir de quelques citoyens, et la licence de tous 2. »

La famille romaine, constituée avec cette puissance imposante et sévère que l'on connaît, cultivait elle-même ses champs, et les plus riches ne cherchant pas trop à étendre leurs domaines, la propriété était très-répandue. << Les anciennes mœurs, un certain usage de la pauvreté rendaient les fortunes à peu près égales 3. » On ne trou

4. C'est l'opinion de M. Thiers dans sa fameuse comparaison entre Alexandre Annibal, César et Napoléon. Thiers, Hist. du Consulat et de l'Empire, tom. XX liv. LXII.

2. Montesquieu, De l'Esprit des lois, liv. III, ch. 3

3. Montesquieu, Grandeur et décadence des Romains, ch. 4.

vait point de simples particuliers ayant les richesses des rois, et par contre on en voyait peu manquant du nécessaire. On savait se contenter de cette aurea mediocritas, que chantèrent plus tard des poëtes qui ne la connurent pas1; et il est vrai de dire qu'il y eut un temps où, dans la classe plébéienne, tout le monde était pauvre, sans que personne fût indigent.

Certes, ce n'est pas qu'il n'y eût pas dès lors de malheureux. Tant que la faiblesse et le vice existeront sur la terre, il y aura des déshérités et des pauvres. Déjà ces malheureux affluaient dans la Ville (Urbs), et les retraites du peuple sur le mont Sacré et le mont Aventin, à l'occasion des dettes, ne sont peut-être que l'insurrection de l'indigence et de la misère.

Cependant le malheur n'attirait encore l'attention du législateur que dans des cas exceptionnels. Une loi rapportée par Denis d'Halycarnasse 2, et il est vrai par lui seul, parle d'un secours accordé aux pères de trois enfants. Mais les campagnes fertiles étaient pleines de laboureurs jouissant de cette aisance modeste et sûre que donne le travail des champs. L'agriculture était encore la base principale de l'ordre de choses social et politique. « Les laboureurs romains constituaient le fonds de l'armée et de l'assemblée du peuple; ce qu'ils avaient conquis, soldats, à la pointe de l'épée, colons, ils le gardaient et l'utilisaient par la charrue 3. »

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3. Mommsen, Hist. Rom., trad. Alexandre, tom. II, liv. 11, ch. 8.

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