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d'achever la conquête de la liberté de l'esprit humain ; sa mission plus spéciale, en fait de méthode, était de consommer la ruine de l'hypothèse. Telle était la tâche du dix-huitième siècle; il l'a accomplie dans la méthode comme dans tout le reste. Aujourd'hui la liberté politique est assez forte pour n'avoir plus besoin de détruire elle commence à organiser. De son côté la philosophie, cessant d'inutiles et imprudentes hostilités, peut enfin donner la main à la religion, avec respect comme avec indépendance. De même, l'analyse doit être assez sûre d'elle-même pour regarder en face la synthèse, et ne s'en plus laisser effrayer. Abandonner l'analyse, ce ne serait pas moins que trahir le dixhuitième siècle et reculer dans l'ordre des temps; mais se borner à l'analyse, ce ne serait pas moins aussi que se résigner à une opération incomplète insuffisante, convaincue de ne pouvoir conduire qu'à une science imparfaite; ce ne serait pas reculer, mais ce ne serait pas avancer. Avançons, Messieurs, n'abandonnons pas l'analyse, mais n'ayons plus si peur de la synthèse. Comme le dix-huitième siècle a fait son œuvre, que le dix-neuvième fasse la sienne. Avançons, mais avec des précautions infinies; ne reculons pas devant la synthèse, mais n'y entrons que par la route et avec le flambeau de l'analyse.

QUATRIÈME LEÇON.

CLASSIFICATION DES SYSTÈMES PHILOSOPHIQUES.

Sujet de cette leçon : Des divers systèmes qui remplissent la philosophie du dix-huitième siècle. Que ces systèmes sont antérieurs au dix-huitième siècle; qu ils se rencontrent à toutes les grandes époques de l'histoire de la philosophie, et qu'ils ont leur racine dans l'esprit humain. - Origine philosophique de ces systèmes. -1° Sensualisme. Le bien le mal.-2° Idéalisme. Le bien : le mal.-3° Scepticisme. Le bien le mal.-4° Mysticisme. Le bien : le mal. - Ordre naturel du développement de ces quatre systèmes. Leur utilité relative. Leur mérite intrinsèque.

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Nous connaissons le siècle dont nous nous proposons d'étudier la philosophie; nous conaissons le caractère général de cette philosophie; nous connaissons celui de la méthode qu'elle a surtout employée : il ne nous reste plus à connaître que les divers systèmes auxquels elle a donné naissance. Et d'abord, nous avons à rechercher soigneusement leurs traits distinctifs, à déterminer leur nombre, à leur assigner leur place relative, avant d'entrer dans l'examen approfondi et détaillé de chacun d'eux.

On dispute en sens contraire sur la philosophie du dix-huitième siècle. Ici, on la vante comme ayant re

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nouvelé la philosophie, comme ayant abattu les anciens systèmes et les ayant remplacés par des systèmes tout nouveaux; surtout on lui fait honneur d'un système célè bre, regardé par ses partisans comme le dernier mot de la civilisation et de la philosophie. Ailleurs, on accuse la philosophie du dix-huitième siècle d'avoir produit très-peu de systèmes; on tourne contre elle celui qui semble y avoir prévalu; on soutient qu'un pareil système n'a pu régner que sur les ruines de tous les autres et dans la profonde stérilité de l'esprit philosophique. Des deux côtés égale erreur, égale ignorance des faits. Quand on ne considère pas seulement tel ou tel pays, mais toute l'Europe, ce qu'il faut bien faire, puisqu'au dix-huitième siècle, comme nous l'avons vu, un des caractères éminents du temps est la formation d'une sorte d'unité européenne; quand, dis-je, on donne pour théâtre à la philosophie l'Europe entière, on reconnaît que les systèmes les plus divers s'y sont rencontrés en foule, et que nul système particulier n'y a obtenu une domination exclusive.

Maintenant, quels sont les différents systèmes qui se disputent l'empire de la philosophie au dix-huitième siècle? Quels sont les rapports de ces systèmes à ceux des siècles précédents? En quoi leur ressemblent-ils ? en quoi en diffèrent-ils?

Les systèmes philosophiques du dix-huitième siècle ressemblent singulièrement à ceux du dix-septième et du seizième, car ce sont précisément les mêmes systèmes; il n'y en a pas un de moins, et il n'y en a pas un de plus. Et voici maintenant toute la différence : la

philosophie du dix-huitième siècle continue bien, il est vrai, les systèmes du dix-septième et du seizième, mais cn les continuant elle les développe dans de plus grandes proportions et sur une échelle tout autrement vaste.

Ce n'est pas tout ces systèmes, qui remplissent et mesurent de leur progrès toute la philosophie moderne, ont-ils ou n'ont-ils pas d'antécédents dans l'histoire de la philosophie? sont-ils nés avec la philosophie moderne, ou la précèdent-ils? Ils la précèdent; vous les trouvez déjà au moyen âge; vous les trouvez en Grèce, vous les trouvez même dans le vieil Orient. C'est évidemment que ces systèmes ont leur racine dans la nature même de l'esprit humain, qu'ils appartiennent à l'esprit humain lui-même, et non pas à tel pays ou à tel siècle. En effet, pensez-y, je vous prie : quel peut être le vrai père de tous les systèmes philosophiques, sinon l'esprit humain, qui est à la fois le sujet et l'instrument nécessaire de la philosophie? L'esprit humain est comme l'original dont la philosophie est la représentation plus ou moins exacte, plus ou moins complète. Chercher dans l'esprit humain la racine des systèmes philosophiques, ce n'est donc pas faire une hypothèse, comme on le répète à tort et à travers, c'est chercher tout simplement les effets dans leur cause; c'est tirer l'histoire de la philosophie de sa source la plus élevée et la plus certaine. C'est donc à l'esprit humain que nous demanderons l'origine et l'explication de ces différents systèmes qui, nés avec la philosophie, l'ont suivie dans toutes ses vicissitudes, et qui, partis du fond de l'Orient,

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