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rainement intelligent, la liberté parce qu'il est souverainement libre, l'amour parce que lui-même il aime et que c'est l'amour qui l'a porté à créer le monde dans une fin excellente et bienfaisante. Une pareille théodicée, qui ne sort pas, il est vrai, du fond du système, mais qui y est en quelque sorte superposée, demande grâce pour bien des chimères, couvre et répare bien des paradoxes.

Tel est l'état où se trouvaient le sensualisme et l'idéalisme, l'école de Bacon et celle de Descartes vers la fin du dix-septième siècle. Il nous reste à vous entretenir de leurs luttes, et à vous en montrer l'inévitable résultat.

DOUZIÈME LEÇON

PHILOSOPHIE MODERNE. XVII SIÈCLE. SCEPTICISME ET MYSTICISME.

Lutte du sensualisme et de l'idéalisme.

Leibniz, son entreprise philosophique; sa réfutation de Locke; celle de Descartes; appréciation de cette derniére polémique; tentative d'une conciliation qui se résout en idéalisme. Scepticisme Hirnhaim, Glanvill, Lamothe le

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Vayer, Pascal, Huet, Bayle.

More, Pordage, Poiret, Swedenborg.

Mysticisme Mercurius Van-Helmont, Conclusion. Entrée dans le deuxième âge de la philosophie moderne, ou philosophie du dixhuitième siècle.

Dans la dernière leçon, nous avons vu la philosophie moderne se diviser dès sa naissance en deux écoles opposées, également exclusives, également défectueuses, que représentent et résument au début du dix-huitième siècle Locke d'un côté et de l'autre Malebranche. La lutte de ces deux grandes écoles remplit le premier quart du dix-huitième siècle; déjà même elles s'étaient rencontrées et combattues à leur origine : vous avez vu Gassendi attaquer l'idéalisme de Descartes, et Descartes l'empirisme de Gassendi. Plus tard, reprenant la querelle, Locke soumit à une analyse sévère les prétendues

idées innées de Descartes' et la vision en Dieu de Malebranche; d'autre part, dans la patrie même de Locke, son ami, son élève, Shaftesbury, combattit les principes et surtout les conséquences de l'Essai sur l'entendement humain : c'est au début et au milieu de cette grande querelle que se place Leibniz.

Leibniz était né en 1646' à Leipzig, d'une famille de professeurs. Il suivit les cours de l'Université de cette ville, et il y eut pour maître de philosophie Jacques Thomasius, père du célèbre Christian Thomasius, et qui lui-même était un fort savant homme, consommé dans l'histoire ecclésiastique et dans celle de la philosophie dont il inculqua le goût à son élève. Jacques Thomasius possédait à fond l'antiquité et la scholastique; c'était un

Livre Ier de l'Essai sur l'entendement humain.

Examen de l'opinion du père Malebranche, que nous voyons tout en Dieu, THE WORKS OF LOCKE, in-4°, t. IV, p. 195.

Né à Londres en 1670, mort en 1712. C'est dans les Lettres à un jeune gentilhomme qui étudie à l'Université que se trouve une critique bien sévère de Locke, ŒUVRES DE SHAFTESBURY traduites en français, t. III, p. 350, lettre VIII: « M. Locke a renversé tous les fondements de la morale: il a détruit l'ordre et la vertu dans le monde en prétendant que leurs idées, ainsi que celle de Dieu, étaient acquises et non pas innées, et que la nature ne nous avait donné aucun principe d'équité. Il joue misérablement sur le mot d'idée innée: ce mot bien entendu signifie seulement une idée naturelle on conforme à la nature... Il ne s'agit point du temps auquel nos idées se forment; il s'agit de savoir si la constitution de l'homme est telle que devenu adulte, soit plutôt, soit plus tard, ce qui est assez indifférent en soi, l'idée de l'ordre et de la vertu, ainsi que celle de Dieu, naissent nécessairement et inévitablement en lui... >> Toute la lettre est fort remarquable.

Sur la vie de Leibniz, voyez les biographies de Brucker, Ludovici, Jaucourt, auxquelles en ces derniers temps M. Gurhauer a ajouté de nouveaux et précieux renseignements, Gottfried Wilhelm Freiherr von Leibniz, eine Biographie; Breslau, 2 vol. in-12, 1842.

péripatéticien judicieux qui, sans repousser les lumières nouvelles, restait attaché à Aristote. Il avait plusieurs collègues animés du même esprit que lui, et auxquels Christian Thomasius, formé à cette école, a donné lui-même le nom d'éclectiques. On n'a pas assez remarqué quelle influence ce premier enseignement exerça sur l'esprit de Leibniz : il en garda la passion de l'histoire de la philosophie, le respect de la philosophie ancienne, une préférence marquée pour Aristote, une grande liberté d'esprit, et un éclectisme qui, fortifié par le temps, les voyages et des études continuelles, laissa bien loin derrière lui celui de Jacques et de Christian Thomasius1. En 1663, à l'âge de dix-sept ans, Leibniz prit le grade de docteur avec une thèse vraisemblablement tirée de l'enseignement de son maître, et dont le sujet était la plus importante question de la philosophie scholastique : De Principio individui. Leibniz alla perfectionner son instruction à l'Université d'léna, et s'y appliqua particulièrement à l'histoire et aux mathématiques sous Bosius, érudit de premier ordre, critique alors célèbre, et sous Erhard Weigel, mathématicien enthousiaste qui, comme les pythagoriciens, croyait qu'on peut appliquer la science des nombres à toutes choses, en répandait le goût autour de lui, et

1 Jacques Thomasius était né en 1622 et mourut en 1684. Les seuls titres de ses principaux ouvrages montrent assez quel devait être le caractère de son enseignement: Schediasma historicum, quo varia disculiuntur ad historiam tum philosophicam tum ecclesiasticam pertinentia, in-4, 1665. Historia variæ fortunæ quam disciplina metaphysica, jam sub Aristotele, jam sub scholasticis, jam sub recentioribus experta est. De Doctoribus scholasticis, etc.

contribua beaucoup à la réforme du calendrier en Allemagne. Leibniz suivit avec ardeur les leçons de ces deux maîtres éminents'. Il s'était formé à léna une petite. société philosophique comme il y en avait tant au seizième siècle en Italie, et qui s'était appelée Societa's quærentium; le chercheur par excellence s'empressa d'en faire partie. Il se proposait d'entrer comme son père dans la carrière de l'enseignement, et il se présenta à l'Université de Leipzig pour y faire ses débuts; n'ayant pas tout à fait l'âge requis par les statuts de cette Université, il demanda une dispense: elle lui fut refusée; et il erra quelque temps en Allemagne, au grẻ de sa curiosité, jusqu'à ce qu'ayant rencontré par hasard le baron de Boineburg, chancelier de l'électeur de Mayence, celui-ci, frappé de l'esprit du jeune homme, le prit sous sa protection et lui procura à la cour de Mayence un poste honorable, qui lui laissait assez de loisir pour cultiver et déployer ses talents. Sous les auspices de Boineburg, il se livra surtout à l'étude du droit, de l'histoire et de la politique; il prit le goût des affaires et du commerce des hommes d'État qui ne l'abandonna jamais, et composa ses premiers ouvrages, qui font paraître l'état de son esprit et de ses connaissances à cette époque de sa vie, et où

1 Jaucourt dit avec un peu d'exagération : « Que l'on examine avec attention la méthode que Leibniz a suivie dans tous ses écrits, et l'on verra que c'est sur Weigel et Bosius qu'il s'est formé. >>

2 Ces ouvrages sont : Nova Methodus discendæ docendæque jurisprudentiæ, Francofurti, 1667, in-12. Corporis juris reconcinandi Ratio, Moguntiæ, 1668; projet d'un nouveau corps de droit. Marii Nizolii Anti-barbarus Philosophus, seu de veris principiis et vera ratione philoso

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