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DIXIÈME LEÇON

PHILOSOPHIE DE LA RENAISSANCE.

Sujet de cette leçon: philosophie du quinzième et du seizième siècle. Son caractère.-Son origine. Classification de tous ses systèmes en quatre écoles. 1o École idéaliste platonicienne : Marsile Ficin, les Pic de La Mirandole, Ramus, Patrizzi, Jordano Bruno. 2. École sensualiste péripatéticienne: Pomponat, Césalpini, Vanini. Telesio et Campanella. 3o École sceptique : Sanchez, Montaigne, Charron. 4° École mystique: Marsile Ficin, les Pic, Nicolas de Cuss, Reuchlin, Agrippa, Paracelse, Robert Fludd, Van-Helmont, Böhme. Comparaison des quatre écoles.

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· Conclusion.

La scholastique a fait son temps. Vous l'avez vue d'abord humble servante de la théologie, puis son alliée respectée, enfin s'essayant à la liberté, et dénouant peu à peu les liens qu'elle avait portés pendant six siècles. Nous avons distingué ces trois moments dans la scholastique; mais il reste vrai que son caractère général est la subordination de la philosophie à la théologie, tandis que celui de la philosophie moderne sera la sécularisation de la philosophie. La scholastique cesse donc vers le milieu du quinzième siècle, et la philosophie moderne commence dès les premiers jours du dix-septième. Il y a entre l'une et l'autre une transition, une époque intermédiaire dont il s'agit de se faire une idée précise.

Je n'ai pas besoin de vous exposer les grands événements qui ont signalé dans l'ordre social, scientifique et littéraire, le quinzième et le seizième siècle; il me suffit de vous rappeler que ce qui distingue ces deux siècles est en général l'esprit d'aventure, une énergie surabondante qui, après s'être longtemps nourrie et fortifiée sous la discipline austère de l'Église, se déploie en tous sens et de toutes les manières, quand l'issue lui est ouverte. Il en est de même de la philosophic de cet âge. Longtemps captive dans le cercle de la théologie, elle en sort de toutes parts avec une ardeur admirable, mais sans aucune règle. L'indépendance commence1, mais la méthode n'est pas née2, et la philosophie se précipite au hasard dans tous les systèmes qui se présentent à elle. Quels sont ces systèmes ? C'est là ce que nous avons à reconnaître, car nous parcourons, nous étudions tous les siècles, afin d'y découvrir les tendances innées de l'esprit humain et en quelque sorte les éléments organiques de l'histoire de la philosophie. Or, la philosophie du quinzième et du seizième siècle doit son caractère comme son origine à un accident.

Parmi les grands événements qui marquent le quinzième siècle, un des plus considérables est la prise de Constantinople. C'est la prise de Constantinople qui a transporté en Europe les arts, la littérature et la philosophie de la Grèce ancienne, et qui par là a changé toutes les directions jusqu'alors suivies. Le moyen âge,

1 Plus haut, ne leçon.

2 Ibid., ne leçon.

comme toute longue et grande époque de l'humanité, avait eu son expression dans l'art et dans la littérature. Depuis le douzième jusqu'au quinzième siècle, de toutes parts étaient sortis de l'état social de l'Europe, et du christianisme qui en était le fond, des arts et une littérature propres à l'Europe, nés de ses croyances et de ses mœurs, et qui les représentaient, c'est-à-dire des arts et une littérature romantiques. Le vrai romantisme, quand on laisse là les théories arbitraires et les imitations modernes insignifiantes, pour s'en tenir à l'histoire et aux monuments originaux, n'est pas autre chose que le développement spontané du moyen âge dans l'art et dans la littérature. Rappelez-vous l'architecture gothique, les commencements admirables de la peinture italienne et flamande; pour la poésie, nos troubadours, les maîtres de chant de l'Allemagne, le Romancero espagnol; et songez que le Dante, que nos grandes épopées chevaleresques, que Froissard et Commines, que Shakspeare lui-même au seizième siècle, ne doivent rien à la nouvelle culture artificielle apportée par les Grecs de Constantinople. Ce n'est donc pas, comme on le répète, l'introduction de la Grèce en Europe au quinzième siècle qui a créé nos arts et notre littérature, car ils existaient déjà ; mais c'est en effet de cette source qu'a découlé dans l'imagination européenne le sentiment de la beauté de la forme, particulière à l'antiquité. De là, entre le génie romantique de l'Europe du moyen âge et la beauté de la forme classique, unc alliance dans laquelle, comme dans toute alliance, les justes parts n'ont pas toujours été parfaitement

gardées. Quoi qu'il en soit, et de quelque manière qu'on apprécie l'accident mémorable qui a modifié si puissamment au quinzième siècle les formes de l'art et de la littérature en Europe, on ne peut nier que ce même accident n'ait eu aussi une immense influence sur les destinées de la philosophie.

Quand la Grèce philosophique apparut à l'Europe du quinzième siècle, non plus dans des versions latines à moitié barbares, mais sous son propre visage et dans son langage merveilleux, jugez quelle impression durent produire ces nombreux systèmes, si libres et revêtus d'une forme si brillante et si pure, sur ces philosophes du moyen àge, encore enfermés dans l'ombre des cloîtres, mais qui déjà soupiraient après l'indépendance! La Grèce n'inspira pas seulement l'Europe, elle exerça sur elle une sorte d'enchantement et de fascination, elle l'enivra; et le caractère de la philosophie de cette époque est l'imitation de la philosophie ancienne sans aucune critique. Ainsi, après avoir été au service de l'Église pendant tout le moyen âge, la philosophie au quinzième et au seizième siècles échangea cette domination pour celle de la philosophie ancienne. C'était encore, si vous voulez, de l'autorité; mais quelle différence, je vous prie! On ne pouvait guère aller immédiatement de la scholastique à la philosophie moderne : c'était donc un bienfait déjà que de rencontrer une autorité nouvelle, tout humaine, sans racine dans les mœurs, sans puissance extérieure, fort divisée avec elle-même, par conséquent très-flexible et très-peu durable; aussi, à mon sens,

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