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DEUXIÈME LEÇON.

CARACTÈRE DE LA PHILOSOPHIE AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

Sujet de cette leçon : Caractère de la philosophie au dix-huitième siècle. Du caractère de la philosophie en général. De la religion et de la philosophie; leur fond commun, leurs procédés différents; l'une s'appuyant sur l'autorité, l'autre indépendante. Histoire que dans l'histoire toute distinction est opposition. Orient. Grèce. Moyen âge. Seizième siècle : renaissance de l'indépendance de la raison, révolution qui produit la philosophie moderne. Dix-septième siècle: il constitue la philosophie moderne: Bacon, Descartes. - Dix-huitième siècle: il la répand et fait de la philosophie une puissance. Le mal: le bien. - Différence de la mission philosophique du dix-huitième siècle et de celle du dix-neuvième.

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Vous connaissez le caractère général du dix-huitième siècle nous l'avons considéré dans tous les éléments religieux, moraux, politiques, littéraires et scientifiques, dont ce siècle se compose, la philosophie exceptée. C'est cette philosophie qu'il s'agit aujourd'hui de reconnaître c'est son caractère général que je me propose de vous signaler. Or, tout siècle est un, et la philosophie du dix-huitième siècle ne peut que réfléchir l'esprit du siècle auquel elle appartient. Ainsi même mission, même caractère, même destinée; et cette seconde leçon ne peut être qu'une contre-épreuve de la première.

Qu'est-ce que la philosophie du dix-huitième siècle? Quels sont les rapports de la philosophie du dix-huitième siècle avec celle du dix-septième et du seizième? En quoi lui ressemble-t-elle? en quoi en diffère-t-elle? Elle lui ressemble en ce qu'elle la continue; elle en diffère en ce qu'elle la continue sur une plus grande échelle.

Et quel est ce mouvement philosophique qui, parti du seizième siècle, remplit et mesure de ses progrès le dix-septième et le dix-huitième? Avant tout quel est son objet et quelle est sa fin? Ce n'est pas moins que l'enfantement de la philosophie moderne proprement dite, et la dissolution du moyen âge en philosophie.

Sans doute, ce mouvement avait ses causes immédiates dans l'affranchissement général de la civilisation moderne au seizième siècle; mais il tenait plus profondément encore à la nature même de l'esprit humain et aux lois qui président à son développement; lois nécessaires, qui déjà, dans le cours des siècles, avaient produit des phénomènes analogues, et qui les ont renouvelés, au seizième siècle, avec le retour des mêmes circonstances, agrandis de toute la supériorité des temps nouveaux sur les temps anciens. Quelles sont ces lois, quelles phases ont-elles déjà parcourues, quels grands et mémorables événenements ont frayé la route à celui que nous devons étudier? C'est là ce qu'il importe avant tout de rechercher.

Il y a dans la pensée humaine deux moments réels, aussi réels l'un que l'autre, qui sont distincts l'un de

l'autre, et qui se succèdent l'un à l'autre. Quand l'intelligence s'éveille avec les puissances que Dieu a mises en elle, elle atteint d'abord à toutes les vérités essentielles, qu'elle aperçoit confusément, mais d'autant plus vivement. Ce n'est pas le raisonnement qu'elle emploie ; il est trop évident que le raisonnement est une opération qui en présuppose plusieurs autres; la faculté ici en jeu, faculté à la fois primordiale et permanente, est la raison. Elle entre en exercice spontanément. L'action spontanée de la raison dans sa plus grande énergie est l'inspiration. L'inspiration, fille de l'âme et du ciel, parle d'en haut avec une autorité absolue; elle commande la foi; toutes ses paroles sont des hymnes, et sa langue naturelle est la poésie. Mais l'inspiration ne va pas toute seule; les sens, l'imagination, le cœur, se mêlent aux illuminations de la raison, et les teignent de leurs couleurs. De là un résultat complexe où dominent les grandes vérités révélées par l'inspiration, mais couvertes de ces formes pleines de naïveté, de grandeur et de charme que les sens et l'imagination empruntent à la nature extérieure pour en revêtir la raison. Tel est le premier pas de l'intelligence. Après qu'elle s'est développée d'une manière toute spontanée, sans se connaître, en même temps que l'imagination et la sensibilité, c'est un fait qu'un jour elle revient sur elle-même, et se distingue de toutes les autres facultés auxquelles elle avait d'abord été mêlée. En s'en distinguant, elle se connaît dans le tableau confus de l'opération primitive, elle discerne les traits qui lui sont propres, et elle s'aperçoit

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que tout ce qu'il y a de vrai dans ce tableau lui appartient. Elle acquiert ainsi peu à peu de la confiance en elle-même, et au lieu de se laisser dominer et envelopper par les autres facultés, elle s'en sépare de plus en plus, elle les juge, les soumet à sa surveillance et à son contrôle. Puis, s'interrogeant plus profondément encore, elle se demande quelle elle est, quelle est sa nature, quelles sont ses lois, quelle est la portée de ces lois, quelles sont leurs limites, quelles sont leurs applications légitimes. Voilà l'œuvre de la réflexion; voici maintenant son caractère. L'inspiration ne se prémédite pas, et primitivement la raison s'applique sans avoir voulu s'appliquer, par la vertu qui est en elle; mais dans la réflexion intervient la volonté; nul ne réfléchit qui ne veut réfléchir, et la réflexion, toute volontaire, est toute personnelle. Or, comme dans l'intuition spontanée de la raison il n'y a rien de volontaire ni par conséquent de personnel, comme les vérités que la raison nous découvre ne viennent pas de nous, nous nous croyons le droit de les imposer aux autres, puisqu'elles ne sont pas notre ouvrage et que nous-mêmes nous nous inclinons devant elles, comme venant d'en haut; au lieu que la réflexion étant toute personnelle, il serait trop évidemment inique et absurde d'imposer à d'autres le fruit d'opérations qui nous sont propres. Nul ne réfléchit pour un autre; et alors même que la réflexion d'un homme adopte les résultats de la réflexion d'un autre homme, elle ne les adopte qu'après se les être appropriés et les avoir rendus siens. Ainsi le caractère éminent de l'inspiration, l'impersonnalité, renferme le

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