Page images
PDF
EPUB

HUITIEME LEÇON.

PHILOSOPHIE GRECQUE. SES DÉVELOPPEMENTS ET SA FIN

[ocr errors]

L'école platonicienne et l'école péripatéticienne inclinent de plus en plus à l'idéalisme et au sensualisme L'épicuréisme et le stoïcisme bien plus encore. Lutte des deux systèmes. Scepticisme. Première école sceptique, née de l'idéalisme : Nouvelle Académiei. Seconde école sceptique, née du sensualisme : Ænésidème et Sextus. Retour du besoin de savoir et de croire: mysticisme. École d'Alexandrie. Sa théodicée. Sa psychologie. Extase. Fin de la philosophie grecque.

[ocr errors]

Théurgie.

Vous avez vu Platon et Aristote, presque au sortir des mains de Socrate, encore tout pénétrés de son esprit et de sa méthode, diviser d'abord la philosophie grecque en deux grands systèmes qui, bien que retenus en de sages limites par le génie plein de bon sens de ces deux grands hommes, inclinent pourtant vers l'idéalisme et vers le sensualisme, et se rapportent davantage, l'un à l'école ionienne, l'autre à l'école pythagoricienne. Une analyse sans doute imparfaite a dû vous en convaincre ; mais si cette analyse ne vous suffisait pas, vous pouvez consulter un dialecticien bien autrement sûr que moi, le temps, l'histoire, qui sait tirer infailliblement des principes qu'on lui confie les conséquences qu'ils recè

lent, et qui éclaire ces principes de la lumière de leurs conséquences. Je vous ai dit que le système d'Aristote se rapportait davantage au sensualisme ionien, et le système de Platon à l'idéalisme pythagoricien. Interrogeons les faits et l'histoire. Qu'a fait des principes de Platon l'école platonicienne? qu'a fait des principes d'Aristote l'école péripatéticienne?

3

Après la mort de Platon, cinq hommes 1 soutiennent à l'Académie la philosophie platonicienne avec talent et avec fidélité. La fidélité est içi précieuse à constater, et un très-bon juge l'atteste2. Eh bien ! quel caractère a pris le platonisme entre les mains de ces disciples si fidèles à leur maître, et surtout du plus illustre, Xénocrate? Je lis dans Aristote que Xénocrate définit l'àme un nombre qui se meut lui-même, définition pythagoricienne; et Cicéron déclare que Xénocrate séparait tellement l'âme du corps, qu'il était difficile de dire ce qu'il en faisait. Enfin, en morale ce même Cicéron nous apprend que Xénocrate exagérait la vertu et déprimait tout le reste. Voilà donc l'Académie devenue presque ouvertement idéaliste et pythagori

5

1 Speusipe, Xénocrate, Polémon, Cratès et Crantor.

2 Cicéron, Academ., 1, 9. Speusipus et Xenocrates, qui primi Platonis << rationem auctoritatemque susceperunt, et post hos Polemon et Cra<< tes unaque Crantor in Academia congregati diligenter ea quæ a su«perioribus acceperant, tuebantur. »

5 Arist., de l'Ame, 1, 2. Cicéron dit la même chose, Tusc., 1, 10.

* Cicéron, Academ., 1, 11. « Expertem... corporis animam. » — Academ., 11, 39: « Mentem quoque sine ullo corpore, quod intelligi quale << sit vix potest. >>

5 Tusc., v, 18. « Exaggerabat virtutem, extenuabat cætera et abjicic<< bat1. >>

cienne. Voyons ce qu'est devenue de son côté l'école d'Aristote, le fameux Lycée.

Au premier coup d'oeil que l'on jette sur la liste des platoniciens et des péripatéticiens 1, on est frappé de trouver surtout des moralistes parmi les platoniciens, et des physiciens parmi les péripatéticiens. Ainsi Théophraste a laissé un nom dans l'histoire naturelle, et Straton de Lampsaque était appelé le physicien. Reconnaissons ce que ces physiciens ont fait du péripatétisme. Théophraste, selon Cicéron 2, attribue le caractère de divinité tantôt à l'intelligence, ce qui est la pure doctrine d'Aristote, et tantôt au ciel et à tout le système astronomique. Mais voici quelque chose de plus net. Dicéarque enseigne qu'il n'y a point d'âme, que l'âme est un mot, nomen inane, dit Cicéron; que cette force par laquelle nous agissons et nous sentons n'est pas autre chose que la vie répandue également dans tous les corps; que ce qu'on appelle âme est inséparable du corps, qu'elle n'est qu'un corps, une matière une et simple dans son essence, mais dont les différents

3

On a vu plus haut celle des platoniciens; voici celle des péripatéticiens Théophraste, Eudème, Dicéarque, Aristoxène, Héraclide, Straton, Démétrius de Phalère, Lycon, Hiéronyme, Ariston, Critolaüs, Diodore de Tyr.

2 Cicéron, de Nat. Deor., 1. « Modo... menti divinum tribuit principa<< tum, modo cœlo, tunc autem et signis sideribusque cœlestibus. >>

5 Cicéron, Tusc., 1, 10. « Nihil esse omnino animum, et hoc esse nomen «< inane totum, frustraque animalia animantes appellari, neque in ho« mine inesse animum et animam, nec in bestia, vimque omnem eam « qua vel agamus vel sentiamus in omnibus corporibus vivis æquabiliter « esse fusam, neque separabilem a corpore esse, quippe quæ nulla sit << nec sit quidquam nisi corpus unum et simplex ita figuratum ut tem«peratione naturæ vigeat et sentiat. >>

éléments sont arrangés et tempérés entre eux de manière à produire la vie et le sentiment. Aristoxène le musicien, sorti également de l'école d'Aristote, regarde l'âme1 comme une vibration du corps, comme la résultante des différents éléments et mouvements du corps. Ce que Dicéarque et Aristoxène avaient fait pour l'âme, Straton le physicien le fit pour Dieu. Selon lui, ce que l'on appelle Dieu, intelligence et puissance divine”, n'est pas autre chose que la puissance de la nature dépourvue de toute conscience d'elle-même ; il n'y a pas besoin de l'hypothèse d'un dieu pour expliquer le monde tout s'opère et s'explique par l'enchaînement nécessaire des causes et des effets, par les poids et les contre-poids de la nature. Le monde est un pur mécanisme; l'espace n'est que le rapport de distance des corps entre eux; le temps le rapport des événements.

:

1 Cicéron, Tusc., 1, 10. « Aristoxenus musicus idemque philosophus << (animam) ipsius corporis intentionem quamdam velut in cantu et fidi«< bus, quæ harmonia dicitur, sic ex corporis totius natura et figura va<«<rios motus cieri, tanquam in cantu sonos dicit... »

2 « Ciceron, de Natur. Deor., 1, 13. « Strato, is qui physicus appella<< tur, omnem vim divinam in natura sitam esse censet, quæ causas gignendi, augendi et minuendi habeat, sed careat omni sensu. >>

3

Cicéron, Academ., iv, 8. « Lampsacenus Strato negat opera deorum « se uti ad fabricandum mundum; quæcumque autem sunt docet om<< nia esse effecta naturæ, et quidquid aut sit aut fiat naturalibus fieri << aut factum esse docet ponderibus et motibus. >>

Plutarq., contre Colotès. « Straton, le coryphée du Lycée, τY äùWY περιπατητικῶν κορυφαιότατος, combat Platon sur le mouvement, sur l'intelligence, sur l'âme, et prétend que le monde est un pur mécanisme, οὐ ζῶον εἶναι φησί ».

5 Stobée, Eclog. Phys., liv. Jer, édit. Héeren, p. 380. Tónov dè stvaι TÒ μετάξυ διάστημα τοῦ περιέχοντος καὶ τοῦ περιεχομένου.

6 Tò èv ráïs пpážeci nócóv. Simplicius, sur la Physique d'Aristote, liv. IV.

En métaphysique, tout est relatif1, et le vrai et le fauxse réduisent à de purs mots. Pour la morale, Straton s'en était peu occupé. Enfin, dans un commentaire inédit d'Olympiodore sur le Phédon, qui est à la Bibliothèque du Roi, je trouve une polémique de ce même Olympiodore en faveur de l'immortalité de l'âme contre Straton le physicien. Le peu de moralistes que renferme la liste des successeurs immédiats d'Aristote, ne sont que des rhéteurs sensualistes. Voilà où un siècle après la mort d'Aristote le Lycée était tombé.

Trois siècles avant l'ère chrétienne, les deux écoles péripatéticienne et platonicienne, abaissées et dégénérées, sont remplacées par deux autres écoles qui héritent de leur importance, et reprennent en sous-œuvre la querelle du péripatétisme et du platonisme. Je veux parler de l'épicuréisme et du stoïcisme. Mais ici se pré- · sente un phénomène qu'il importe de vous signaler: ici commence le démembrement de la philosophie grecque. D'abord, l'école ionienne et l'école pythagoricienne s'étaient particulièrement occupées du monde extérieur, et la philosophie n'avait guère été que l'étude de la nature. Socrate lui donne pour fondement l'étude de l'humanité. Aristote et Platon, en restant fidèles à l'es

[blocks in formation]

Cicéron, de Finib., v, 5. « Perpauca de moribus. >>

5 Voyez sur ce commentaire les FRAGMENTS DE PHILOSOPHIE ANCIENNE, p. 384-463.

4 Cicér., ibid., Lycon : « Oratione locuples, rebus ipsis jejunior. » Ariston « Gravitas in eo non fuit. » - Hieronyme « Summum bonum vacuitatem doloris... >> - Critolaüs : « Summum bonum ponit perfectionem vitæ recte fluentis secundum naturam. >>

« PreviousContinue »