Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

faite, mais notre guide, M. Colebrooke, ne nous en a pas appris davantage, et avant nous les historiens de la philosophie ou ne tenaient aucun compte de l'Orient ou mêlaient ensemble à tort et à travers la philosophie et la mythologie, déplorable confusion pire encore qu'un absolu silence. Du moins ces leçons ont dù vous convaincre qu'il y a incontestablement dans l'Inde une philosophie différente de la mythologie, que désormais il est impossible de ne pas comprendre dans le cadre général de l'histoire de la philosophie, puisqu'un peu sérieusement étudiée, cette philosophie présente tous les différents points de vue sous lesquels l'intelligence humaine considère les choses, et qu'elle nous montre sur les bords du Gange et au pied de l'Himalaya, sous leur première forme, à la fois subtile et grossière, ces quatre mêmes systèmes que nous allons retrouver en Grèce dans tout leur éclat, puis, plus tard, dans les cloîtres du moyen âge, et dont nous devons étudier en détail, au dix-huitième siècle, en France, en Angleterre et en Allemagne, le dernier et le plus riche développement.

SEPTIEME LEÇON.

PHILOSOPHIE GRECQUE, SES COMMENCEMENTS ET SA MATURITÉ.

Philosophie en Grèce.

Commencements de sensualisme et d'idéalisme dans l'école ionienne et dans l'école pythagoricienne, dans l'école d'Élée et dans l'école atomistique. Commencements de scepticisme dans les sophistes. Renouvellement de la philosophie grecque. Socrate. - Cynisme, cyrénaïsme, mégarisme. Tendance idéaliste de Platon. - Tendance sensualiste d'Aristote.

[ocr errors]

Je vous ai montré le sensualisme, l'idéalisme, le scepticisme et le mysticisme dans l'Inde, à leur première apparition dans l'histoire. Je me propose aujourd'hui de vous les montrer à leur seconde apparition, c'est-à-dire en Grèce. Ici nous avons un grand avantage : la Grèce a une chronologie certaine, et les systèmes philosophiques s'y succèdent dans un ordre tout aussi rigoureusement déterminé que les autres phénomènes de la civilisation grecque. Si donc, faute de dates positives, j'ai dû attacher moins d'importance à l'ordre dans lequel je vous ai présenté les différents systèmes indiens, qu'à ces systèmes eux-mêmes, ici, au contraire, j'appellerai surtout votre attention sur l'ordre des systèmes, parce que cet ordre est parfaitement fixé, et parce qu'il contient et peut nous révéler le se

cret du développement de l'esprit humain dans la philosophie.

Aussi haut que vous remontez dans l'histoire de la Grèce, sans vous enfoncer dans des origines hypothétiques, vous trouvez, autochthone ou venue d'ailleurs à telle ou à telle époque, une population une sans doute, mais composée de tribus très-différentes; vous y trouvez une même langue, une dans ses racines et dans ses formes générales, mais riche de plusieurs dialectes importants; enfin vous y trouvez une religion qui, sans perdre son caractère essentiel, se divise dans une foule de cultes locaux. Ces cultes ont des ministres qu'une haute vénération environne; mais ces ministres ne forment pas un corps. Les divers cultes se fondent sur des traditions sacrées; mais ces traditions ne sont point déposées dans un livre révélé, qui soit là, toujours et partout, pour rappeler l'autorité des dogmes à quiconque serait tenté de s'en écarter. Il n'y a point eu de Védas en Grèce, et cette circonstance, trop peu remarquée, a été une des raisons les plus puissantes du rapide développement de l'esprit de recherche indépendante. Aussi l'époque qui, dans la Grèce, correspondrait à peu près au règne des Védas dans l'Inde, est très-courte; on l'aperçoit à peine dans l'histoire, et elle fait place trèspromptement à une seconde époque, qui, par ses rapports de ressemblance et de différence avec la première, pourrait s'appeler l'époque théologique, et représente en Grèce l'école Mimansa A la tête de cette époque est Orphée, le théologien, 5 06λcyos. Orphée est le fondateur des mystères. Si un voile épais couvre

encore à nos yeux les mystères, du moins savons-nous très-bien ces deux choses, les seules qui nous importent: 1° la base des mystères devait être la religion ordinaire, car les mystères ont été institués par des prêtres, et ils avaient lieu d'abord dans l'intérieur des temples; 2o en même temps, il est impossible que dans les mystères on ne fit que répéter la légende, car il répugne qu'on fasse une espèce de société secrète, avec des conditions sévères d'admission, pour y dire précisément les mêmes choses qui se disaient chaque jour publiquement. Il faut donc que les mystères aient renfermé quelque chose de plus, ou une exposition plus régulière, ou déja même une explication quelconque, physique ou morale, des mythes populaires. Les mystères ouvrent l'époque de la théologie, et celle-ci insensiblement prépare et amène celle de la philosophie. Or, il est à remarquer que c'est précisément alors que commence à s'éclaircir et à se fixer la chronologie grecque, en sorte que nous savons avec une parfaite exactitude la date précise de la naissance de la philosophie en Grèce. Elle est née six cents ans avant notre ère, quelques années de plus ou de moins; et, nous le verrons, elle s'est prolongée six cents ans après notre ère. Elle a donc eu douze siècles d'existence, douze siècles de développement régulier, pendant lesquels elle a produit, avec une fécondité admirable, une infinité de systèmes différents, dont les rapports chronologiques nettement déterminés nous permettent d'embrasser et de suivre ce vaste mouvement dans ses commencements, dans son progrès et jusqu'à sa fin.

Un caractère commun domine les commencements de la philosophie grecque; et remarquez bien ce caractère, parce qu'il vous révèle celui de toute philosophie naissante. Les systèmes philosophiques qui remplissent les deux premiers siècles de la philosophie grecque, depuis six cents ans jusqu'à quatre cents ans avant l'ère chrétienne, se rapportent au monde et à la nature plutôt qu'à l'homme et à la société. La pensée, dans le premier essai de ses forces, au lieu de se replier sur elle-même, est entraînée au dehors; le premier objet qui la sollicite est ce monde qui l'environne, et dont elle ne sait pas encore se bien distinguer. La philosophie grecque, à son début, a été une philosophie de la nature. Dans ces étroites limites, il y a encore deux points de vue possibles. Quand on considère la nature, on peut être frappé de deux choses, ou des phénomènes en eux-mêmes ou de leurs rapports. Les phénomènes tombent sous les sens, ils sont visibles, tangibles, etc.; nous ne les connaissons qu'à la condition de les avoir vus, touchés, sentis; mais les rapports de ces phénomènes, vous ne les touchez pas, vous ne les voyez pas, vous ne les sentez pas vous les concevez. Que la philosophie de la nature s'applique surtout à l'étude des phénomènes, et la voilà sur la route de la pure physique. Au contraire, qu'elle néglige un peu les termes et s'arrête davantage à leurs rapports, la voilà sur la route de l'abstraction mathématique. De là, avec le temps, deux écoles, qui toutes deux seront des écoles de philosophie naturelle, mais dont l'une sera particulièrement une école de sensua

« PreviousContinue »