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HISTOIRE GÉNÉRALE

DE

LA PHILOSOPHIE

ANNÉE 1829. - PREMIER SEMESTRE

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PREMIÈRE LEÇON

TABLEAU DU DIX-HUITIEME SIÈCLE.

Sujet du cours Histoire de la philosophie en Europe pendant le dixhuitième siècle. Rappel du principe que la philosophie d'un siècle sort de tous les éléments dont ce siècle se compose; d'où la nécessité de chercher d'abord la philosophie du dix-huitième siècle dans l'histoire de ce siècle. Mission générale du dix-huitième siècle en finir avec le moyen âge; de là les deux grands caractères du dix-huitième siècle, la généralisation et la diffusion du principe de liberté. Politique. Religion. Mœurs. Littérature. - Arts. Sciences mathématiques, physiques et naturelles. Sciences morales. -Travail de tous ces éléments pendant le dernier quart du dix-huitième siècle. Nécessité d'une explosion. — Révolution française. Ses caractères. Le bien; le mal. Impuissance de l'extravagance et du crime. La Charte, comme résultat du travail légitime de la révolution et du dix-huitième siècle. — Différence de la mission du dix-huitième siècle et de celle du dix-neuvième.

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Je vous ai présenté l'année dernière une introduction à l'histoire de la philosophie : j'ai voulu avant tout que 45 X431

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vous pussiez reconnaître celui que vous aviez écouté autrefois avec quelque indulgence ; j'ai voulu vous signaler d'abord ma méthode et mon but, l'ensemble de mes idées et l'esprit général qui doit présider à cet enseignement. Mais si les généralités sont l'âme de la science, la science ne prend un corps en quelque sorte, elle ne se fonde et ne s'organise que dans la réalité des détails et par le travail des applications positives. Je viens donc éclaircir, étendre, affermir les principes historiques que je vous ai exposés l'été dernier, en les appliquant à une époque particulière, à quelque grand siècle de l'histoire de la philosophie.

J'avais pensé à vous conduire en Grèce je m'étais proposé de vous faire connaître cette époque célèbre de la philosophie ancienne à laquelle ont attaché leur nom deux hommes, égaux en génie comme en gloire, qui, quatre siècles avant notre ère, ont à jamais fixé dans l'Occident, l'un les idées fondamentales sur lesquelles roule la philosophie, l'autre la forme qui lui convient et qu'elle a gardée. Platon et Aristote ne sont pas seulement de grands hommes: ce sont de grands systèmes, des systèmes qui ont des racines si profondes dans la nature de l'esprit humain, qu'on peut dire avec une rigueur parfaite que la philosophie n'a depuis fait autre chose que d'aller tour à tour de l'un à l'autre, en les modifiant et en les perfectionnant sans cesse1. Ce sont là, vous le savez, mes études habituelles; il m'eût été commode à moi-même de les porter

1 PREMIERS ESSAIS DE PHILOSOPHте, p. 332.

à cette chaire j'aurais aimé à passer avec vous celte année entre Platon et Aristote, entre Sophocle et Phidias, entre Périclès et Alexandre. Mais de graves motifs m'ont détourné de ce dessein. L'histoire n'est pas faite seulement pour satisfaire une curiosité savante, ou pour fournir des tableaux à l'imagination de l'artiste ; elle est surtout une leçon adressée à l'avenir: un homme sérieux ne s'engage point dans l'étude difficile du passé pour y apprendre seulement ce qui fut, mais pour en tirer ce qui doit être ; et une histoire de la philosophie, qui veut être véritablement philosophique, doit tendre et aboutir à une doctrine. Tel est aussi mon dessein: de quelque siècle de l'histoire de la philosophie que je vous entretienne, j'ai toujours devant les yeux la France, et la France du dix-neuvième siècle. Or il m'a paru que je m'éloignais un peu trop de notre France, en reculant jusqu'à Aristote et jusqu'à Platon. Sans doute le système de Platon et celui d'Aristote contiennent des éléments immortels qui appartiennent à l'esprit humain et qui conviennent à tous les pays et à tous les siècles; mais la combinaison de ces éléments est toute grecque; elle a plus de deux mille ans, et, pour discerner et retrouver sous cette forme vieillie les problèmes éternels de la philosophie, il faut de ces problèmes une habitude à laquelle toute la sagacité du monde ne peut suppléer. D'ailleurs, pour vous dire toute ma pensée, j'ai considéré les circonstances particulières dans lesquelles se trouve parmi nous la philosophie, et j'ai jugé que, dans ces circonstances, sortir de la lice des discussions contemporaines et m'enfoncer dans l'antiquité, c'était déserter

mon poste et la cause de la vraie philosophie. Voilà pourquoi je me suis décidé à rester quelque temps encore dans les régions de la philosophie moderne; et comme dans les temps modernes je ne connais pas de siècle plus voisin du nôtre que le dix-huitième, j'ai pris celui-là pour le texte de mes leçons. Je ne me dissimule pas les difficultés qui m'attendent. Tout siècle, en se retirant de la scène du monde, et plus qu'aucun autre le dix-huitième, rempli de si grands événements, laisse après lui un long héritage d'intérêts contraires. Le dix-huitième siècle a nécessairement parmi nous des admirateurs et des adversaires ardents et ombrageux dans ce débat de passions opposées, l'indépendance philosophique serait mal à ̧ l'aise, si elle ne trouvait en elle-même sa force comme sa récompense.

C'est un des principes que je vous ai développés l'an passé avec le plus de soin et d'étendue, que la philosophie d'un siècle sort de tous les éléments dont ce siècle se compose, et que pour bien comprendre la philosophie d'une époque, il faut l'étudier d'abord dans la civilisation générale qui l'a produite'; d'où il suit que, pour vous donner une idée exacte de la philosophie du dix-huitième siècle, non-seulement en France, mais dans toute l'Europe, pour vous en faire saisir la nature et le caractère propre, je dois commencer par vous entretenir du dix-huitième siècle et de son histoire. Et comme je suppose que l'histoire de ce siècle vous est

1 INTRODUCTION A L'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE, leçon 1.

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