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Jugez par ce discours quel malheur nous menace.
Voilà cet accident qui le fait retirer;

Voilà ce qui le trouble, et qui me fait pleurer;

Voilà ce que je crains; et voilà les alarmes

D'où viennent ses soupirs, et d'où naissent mes larmes.

PHILISTE.

Ce n'est pas là, Dorante, agir en cavalier.

Sur ma parole encor vous êtes prisonnier;
Votre liberté n'est qu'une prison plus large;
Et je réponds de vous s'il survient quelque charge.
Vous partez cependant, et sans m'en avertir!
Rentrez dans la prison dont vous vouliez sortir.

DORANTE.

Allons, je suis tout prêt d'y laisser une vie
Plus digne de pitié qu'elle n'était d'envie;
Mais après le bonheur que je vous ai cédé,
Je méritais peut-être un plus doux procédé.

PHILISTE.

Un ami tel que vous n'en mérite point d'autre :
Je vous dis mon secret, vous me cachez le vôtre,
Et vous ne craignez point d'irriter mon courroux,
Lorsque vous me jugez moins généreux que vous !
Vous pouvez me céder un objet qui vous aime;
Et j'ai le cœur trop bas pour vous traiter de même,
Pour vous en céder un à qui l'amour me rend
Sinon trop mal voulu, du moins indifférent.
Si vous avez pu naître et noble et magnanime,
Vous ne me deviez pas tenir en moindre estime;
Malgré notre amitié, je m'en dois ressentir :
Rentrez dans la prison dont vous vouliez sortir.
CLEANDRE.

Vous prenez pour mépris son trop de déférence,
Dont il ne faut tirer qu'une pleine assurance
Qu'un ami si parfait, que vous osez blâmer,
Vous aime plus que lui, sans vous moins estimer.

CORNEILLE T. III.

31

Si pour lui votre foi sert aux juges d'otage,
Permettez qu'auprès d'eux la mienne la dégage,
Et sortant du péril d'en être inquiété,
Remettez-lui, monsieur, toute sa liberté;

Ou si mon mauvais sort vous rend inexorable,
Au lieu de l'innocent arrêtez le coupable :
C'est moi qui me sus hier sauver sur son cheval,
Après avoir donné la mort à mon rival;
Ce duel fut l'effet de l'amour de Climène,
Et Dorante sans vous se fût tiré de peine,
Si devant le prévôt son cœur trop généreux
N'eût voulu méconnaître un homme malheureux.
PHILISTE.

Je ne demande plus quel secret a pu faire

Et l'amour de la sœur et l'amitié du frère :

Ce qu'il a fait pour vous est digne de vos soins.

Vous lui devez beaucoup, vous ne rendez pas moins :

D'un plus haut sentiment la vertu n'est capable,

Et puisque ce duel vous avait fait coupable,
Vous ne pouviez jamais envers un innocent
Être plus obligé ni plus reconnaissant.
Je ne m'oppose point à votre gratitude;
Et si je vous ai mis en quelque inquiétude,
Si d'un si prompt départ j'ai paru me piquer,
Vous ne m'entendiez pas, et je vais m'expliquer.

On nomme une prison le nœud de l'hyménée; L'amour même a des fers dont l'âme est enchaînée; Vous les rompiez pour moi; je n'y puis consentir : Rentrez dans la prison dont vous vouliez sortir.

DORANTE.

Ami, c'est là le but qu'avait votre colère?

PHILISTE.

Ami, je fais bien moins que vous ne vouliez faire.
CLEANDRE.

Comme à lui je vous dois et la vie et l'honneur.

MÉLISSE.

Vous m'avez fait trembler pour croître mon bonheur.

PHILISTE, à Mélisse.

J'ai voulu voir vos pleurs pour mieux voir votre flamme, Et la crainte a trahi les secrets de votre âme.

Mais quittons désormais des compliments si vains.

(A Cléandre.)

Votre secret, monsieur, est sùr entre mes mains;
Recevez-moi pour tiers d'une amitié si belle,
Et croyez qu'à l'envi je vous serai fidèle.

CLITON, seul.

Ceux qui sont las debout se peuvent aller seoir,
Je vous donne en passant cet avis, et bonsoir.

FIN DE LA SUITE DU MENTEUR.

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PARIS. IMPRIMERIE ET LIBRAIRIE CENTRALES DE NAPOLÉON CHAIX ET Cie.

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