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nombre des ses aînés, vous allez porter despremiers dans le sein de la patrie les fruits de cette excellente culture.

Je n'ai eu jusqu'à ce moment que la douce habitude de vous aimer, mais je vous avouerai que je mêle à cet amour un vrai respect, quand je me représente votre destinée honorable. Vous n'aviez reçu en naissant qu'un nom et de la pauvreté, c'était beaucoup que le premier de ces dous; mais la cruelle médiocrité rend cet honneur bien pesant: et qui sait si cette fàcheuse compagne vous aurait permis de vivre et de mourir avec toute la pureté de votre naissance?

Heureusement pour vous et pour vos pareils, dans un de ces momens où Dieu parle aux cœurs des bons rois, celui qui nous gouverne a jeté les yeux sur la pauvre noblesse de son royaume. Son ame s'est ouverte au mouvement le plus généreux; il a adopté sur-le-champ une foule d'enfans illustres et infortunés; un édit plein de grandeur leur imprime sa protection royale, et a consolé par cet appui les mânes plaintifs de leurs pères.

Bénissons, mon cher frère, les circonstances qui ont fait éclore un acte aussi grand, dans ces premières années de votre vie; dix ans plus tard, ce bienfait n'eût existé que pour vos concitoyens: mais bénissons sur-tout ces ames vraiment héroïques qui ont embrassé et exécuté un projet aussi noble et aussi paternel.

Vous voilà donc, grâces à cet établissement, muni des leçons de Phonneur le plus pur et des plus belles lumières; votre éducation a été une espèce de choix parmi les autres éducations: et l'état vous a prodigué ses soins les plus précieux et les plus chers. En vérité, mon cher frère, je considère avec joie tant d'avantages; mais je ne saurais m'empêcher de murmurer un peu contre mon sexe, qui, en me aissant sentir toutes ces choses comme vous, met entre votre bonheur et le mien une si grande différence. Suivez donc vos destins, puisqu'il le faut: augmentez même, j'y consens, ma jalousie : je ne vous dissimulerai pourtant pas que votre tâche me paraît un peu difficile; vos secours passés augmentent vos engagemens, et des succès ordinaires ne vous acquitteraient peut-être pas. Si les inspirations du cœur valaient toujours celles de la raison; je romprais sans doute le silence, et je risquerais auprès de vous ces conseils que l'amitié me suggère sur votre conduite et sur vos devoirs:

1. Mon cher frère, je me figurerais à votre place qu'en tout état et en tout temps je dois être modeste; et quoique les bienfaits du roi honorent ses plus grands sujets, je m'en tiendrais dans ce sens fort glorieux: mais j'irais aussi jusqu'à considérer dans ce bienfait ma patrie entière, et je ferais en sorte que ma conduite fût l'expression de ma reconnaissance.

2. J'aurais un courage prudent et rassis; point de tons, point de prétentions; je céderais, dès que je pourrais descendre avec décence; je voilerais même mes forces; et je serais plus touché d'obtenir les suffrages que de les contraindre.

3. J'aimerais mieux être un homme estimé qu'un homme aimable,

un officier de nom qu'un joli cavalier; et je prendrais en talens, si je pouvais, la part de mérite que les Français cherchent trop souvent en agrémens et en amabilité.

4. Je fuirais les passions, je les crois au moins une trève à nos de voirs; cependant, comme il serait peu raisonnable d'aller sur ce point jusqu'au précepte, je ferais en sorte de n'avoir dans mes goûts que des objets respectables: c'est le seul moyen de restituer par un côté, ce que l'amour fait toujours perdre de l'autre à l'exacte vertu.

J'allais mettre 5, mon cher frère; mais la crainte de faire un sermon m'arrête; et puis, je me persuade qu'il faut de courtes leçons aux grands courages: c'est ainsi que mon ame se plaît à parler à la vôtre; et j'entre à merveille, comme vous voyez, dans l'éducation que vous avez reçue.

Il faut pourtant que j'ajoute à mes avis le pouvoir de l'exemple, je suis assez heureuse pour le trouver dans notre sang; de tels exemples sout, comme vous savez, des commandemens absolus. Je ne sais si c'est cette raison seule qui me détermine à vous les transcrire ici; mais quand j'y mêlerais un peu d'orgueil, c'est peut-être là toute la gloire de notre sexe: la vôtre consiste à les imiter.

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Barry, notre grand-oncle, était gouverneur de Leucate en Languedoc, sous le règne de Henri IV. Les ligueurs, l'ayant fait prisonnier, le conduisirent dans la ville de Narbonne, qu'ils avaient en leur pouvoir; là on le manaça de la mort la plus rigoureuse, s'il ne livrait la place sa réponse fut qu'il était prêt à mourir. Barry avait une jeune épouse qui s'était renfermée dans Leucate; les ligueurs la crurent plus facile à vaincre; ils l'avertirent du dessein de son mari, et luj promirent sa vie, si elle livrait la ville: la réponse de la femme de Barry fut que l'honneur de son mari lui était encore plus cher que ses jours. La grandeur fut égale de part et d'autre: Barry souffrit la mort; et sa femme, après avoir défendu la place avec succès, alla ensevelir sa douleur et sa jeunesse dans un couvent de Beziers, où elle mourut.

Le fils de ce généreux Barry succéda à son gouvernement en 1637. Serbelloni, après avoir investi cette place, tenta de le corrompre; il lui promit des avantages considérables, s'il embrassait le service des Espagnols: l'histoire de son père fut la seule réponse que le général Espagnol en reçut.

Voilà, mon cher frère, deux Barry qui n'ont point eu d'école militaire pour berceau, et qui ont été pourtant bien grands l'un et l'autre. Souvenez-vous d'eux, je vous conjure, toute votre vie; souvenez-vous-en le jour d'une bataille et dans toutes les occasions où il s'agira de bien faire; dites-vous sans cesse: je suis devant les yeux de mes ancêtres, ils me voient; et ne soyez pas après cela digne d'eux, si vous le pouvez: ma main tremble en vous écrivant ceci, mais c'est moins de crainte que de courage.

Entrez donc, mon cher frère, de l'école dans la carrière militaire;

portez les armes que vos pères out portées, et que ce soit avec honneur comme eux. Que je vous trouve heureux d'avoir tant d'obligations à devenir un sujet distingué, et de devoir au roi votre vie et vos services, au double titre de votre maître et de votre père ! Vous porterez toute votre vie sur votre personne les signes glorieux de sa bonté (la croix de l'ordre de St. Lazare), mais je suis sûre qu'on les reconnaîtra encore mieux à vos actions; je suis certaine encore que vous ne perdrez jamais le souvenir de ce que vous devez à ceux qui vous ont dirigé dans l'école que vous.quittez, et principalement à ce citoyen vertueux, que ses grandes qualités ont, pour ainsi dire, associé à l'œuvre immortelle de ce règne. Je vous aimerai alors de tendresse et de fierté et tandis que, continée dans un château, je partagerai ma vie entre les soins de mon sexe et des amusemens littéraires; je vous perdrai de vue dans le chemin de la gloire. Vous cueillerez des lauriers, et votre sœur disputera aux jeux floraux leurs couronnes; elle s'élèvera peu-à-peu à un style plus noble: et si vous devenez jamais un grand guerrier, vous lui apprendrez à vous chanter; et vous aurez de sa part un poëme. Je meurs d'envie d'avoir quelque jour le talent, et vous sentez par-là ce que mon ambition vous demande.

Adieu, mon cher frère, pardonnez à ina jeunesse ces réflexions; mais sachez en gré à mon amitié. J'ai voulu vous écrire dans l'époque la plus importante de votre vie; et mon cœur a volé pour cela jusqu'à vous, c'est lui qui m'a dicté tout ce que cette lettre contient: vous aime trop pour avoir pu se tromper.

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CE n'est pas seulement à ceux qui ont reçu du Ciel le talent éminent de peindre la nature, que nous adressons ce Traité; c'est à tous ceux qui ne sont pas aussi heureusement nés, et aussi privilégiés que ces génies du premier ordre, que nous allous révéler, non le secret de cet art sublime, connu sous le nom de poésie, mais la connaissance des règles qu'il faut suivre, en Français, quand on est appelé à cette merveilleuse destination. Nous ne pouvons le dissimuler, tout ce que nous allons enseigner sur l'art des vers, ne formera pas un poéte; mais personne ne le deviendra sans avoir appris ce que nous allons dire de la versification. Eh! comment des règles sur la rime, sur la cé. sure, sur le nombre des syllabes prescrites pour la facture du vers, serviraient-elles à former un poéte? Il suffirait, pour se désabuser d'une si folle prétention, de réfléchir, un instant, après la lecture d'une belle tragédie de l'immortel Racine, sur tout ce qu'il a fallu de talens pour une si étonnante composition.

En effet, qu'est-ce qu'un véritable poéte, et quelles doivent être ses dispositions, pour mériter ce titre? Que faut-il qu'il trouve en luimême, pour se répondre qu'il peut, sans présomption, saisir, avec confiance et d'une main hardie, le pinceau d'Homère, de Virgile, et de Racine, pour peindre, à grands traits, d'après les modèles que la nature lui présente sans cesse, des copies tellement ressemblantes, qu'on croie, en les voyant, ne voir que des originaux et des modèles aussi parfaits que ceux qu'il voulait imiter?

Ah! qui pourrait s'y tromper? Le poéte sent, de bonne heure, une sorte de feu intérieur, qu'on nomme imagination, et qui s'enflamme facilement, à la vue des moindres traits échappés au grand tableau de la nature; c'est celui dont le cœur suit naturellement l'élan brûlant de l'imagination; celui dont l'oreille du cœur est encore plus sensible que l'oreille organique à la magie enchanteresse du nombre et de l'harmonie; celui dont l'ame s'élève, à mesure que s'élèvent, dans leurs peintures, les peintres audacieux qui montent jusqu'au sommet de la montagne où l'antiquité fabuleuse plaçait, et les neuf Muses, et cet Apollon si sévère qui repousse dans le marais qui entoure le mont sacré tant de téméraires rimeurs. Le poéte est celui qui, fier d'avoir conçu une vaste pensée, la voit s'agrandir et se développer dans une ame heureusement féconde; c'est celui dont l'ame de feu sent l'irré

sistible besoin de se répandre, et de communiquer ces idées qui peignent si bien les objets dont elles sont les images, ces idées qui se pressent dans un esprit qui ne peut plus les contenir.

Que chacun se compare à ce portrait, et qu'il se juge; qu'il se contente de connaître l'art des vers et de jouir, par la lecture, de tous ceux qui sont, depuis long-temps, en possession de l'admiration unverselle, sans aspirer à l'honneur de partager avec les vrais poétes ce sentiment auquel il ne peut avoir jamais aucun droit. Traçons encore, plus pour celui-ci que pour ces esprits privilégiés, ces règles de la versification que le génie a devinées, et dont les lecteurs des bon vers ne peuvent se passer.

Les vers, à ne les considérer que sous le rapport de leur mécanisme, sont des paroles arrangées selon certaines régles fixes et déter. minées.

Ces règles regardent sur-tout le nombre des syllabes, la césure, la rime, les mots que le vers exclut, les licences qu'il permet, et enfin les différentes manières dont il doit être arrangé dans chaque sorte de Poëme.

Des différentes espèces de Vers Français.

On compte ordinairement cinq sortes de vers Français. C'est ar le nombre des syllabes qu'on les distingue.

1o. Ceux de douze syllabes, comme :

Dans le ré-duit obs-cur d'u-ne al-co-ve en-fon-cée
S'é-lève un lit de plu-me à grands frais a-ma-ssée:
Qua-tre ri-deaux pom-peux, par un dou-ble con-tour,
En dé-fen-dent l'en-trée à la clar-té du jour.

Ces vers s'appellent alexandrins, héroïques ou grands verā.
2o. Ceux de dix syllabes comme:

Du peu qu'il a le sa-ge est sa-tis-fait.

3o. Ceux de huit syllabes, comme :

L'hi-po-cri-te en frau-des fer-ti-le,
Dès l'en-fan-ce est pé-tri de fard;
Il sait co-lo-rer a-vec art
Le fiel que sa bou-che dis-ti-lle.

4° Ceux de sept syllabes, comme:

Grand Dieu! vo-tre main ré-cla-me

Les dons que j'en ai re-cus.

E-lle vient cou-per la tra-me
Des jours qu'e-lle m'a ti-ssus.
Mon der-nier so-leil se lè-ve,
Et vo-tre sou-fle m'en-lè-ve.

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