Ce qu'on admire ailleurs est ici hors de mode; Donne aux nouveaux venus souvent de quoi rougir. Et tant d'honnêtes gens, que l'on y voit ensemble, CLITON. Connaissez mieux Paris, puisque vous en parlez. DORANTE. Je ne suis point avare. CLITON. C'est un secret d'amour et bien grand et bien rare; Tel donne à pleines mains qui n'oblige personne : DORANTE. Laissons là ces lourdauds contre qui tu déclames, Et me dis seulement si tu connais ces dames. CLITON. Non cette marchandise est de trop bon aloi; Penses-tu qu'il t'en die? DORANTE. CLITON. Assez pour en mourir; Puisque c'est un cocher, il aime à discourir. Ay! SCÈNE II DORANTE, CLARICE, LUCRÈCE, ISABELLE. CLARICE, faisant un faux pas, et comme se laissant choir. DORANTE, lui donnant la main. Ce malheur me rend un favorable office, Puisqu'il me donne lieu de ce petit service; CLARICE. L'occasion ici fort peu vous favorise, Et ce faible bonheur ne vaut pas qu'on le prise. DORANTE. Il est vrai, je le dois tout entier au hasard; Ne me rend pas le sort plus doux que de coutume, CLARICE. S'il a perdu si tôt ce qui pouvait vous plaire, Je veux être à mon tour d'un sentiment contraire, A posséder un bien sans l'avoir mérité. J'estime plus un don qu'une reconnaissance; Qui nous donne fait plus que qui nous récompense; Et le plus grand bonheur au mérite rendu Ne fait que nous payer de ce qui nous est dû. La faveur qu'on mérite est toujours achetée; L'heur en croit d'autant plus, moins elle est méritée; DORANTE. Aussi ne croyez pas que jamais je prétende J'en sais mieux le haut prix; et mon cœur amoureux, Et si la recevant ce cœur même en murmure, Il se plaint du malheur de ses félicités, Que le hasard lui donne, et non vos volontés. Des faveurs qu'on lui fait sans dessein de les faire : CLARICE. Cette flamme, Monsieur, est pour moi fort nouvelle, SCÈNE III DORANTE, CLARICE, LUCRÈCE, ISABELLE, CLITON. DORANTE, C'est l'effet du malheur qui partout m'accompagne. Je vous cherche en tous lieux, aux bals, aux promenades; Vous n'avez que de moi reçu des sérénades; Et je n'ai pu trouver que cette occasion À vous entretenir de mon affection. CLARICE. Quoi! vous avez donc vu l'Allemagne et la guerre? DORANTE. Je m'y suis fait quatre ans craindre comme un tonnerre. Que lui va-t-il conter? CLITON. DORANTE. Et durant ces quatre ans Savez-vous bien, Monsieur, que vous extravaguez? Tais-toi. DORANTE. CLITON. Vous rêvez, dis-je, ou... DORANTE. Tais-toi, misérable. CLITON. Vous venez de Poitiers, ou je me donne au diable; Vous en revintes hier. (A Clarice.) DORANTE, à Cliton. Te tairas-tu, maraud? Mon nom dans nos succès s'était mis assez haut Et tous ces nobles soins qui m'avaient su ravir ISABELLE, à Clarice, tout bas. Madame, Alcippe vient; il aura de l'ombrage. CLARICE. Nous en saurons, Monsieur, quelque jour davantage. Adieu. DORANTE. Quoi! me priver si tôt de tout mon bien? CLARICE. Nous n'avons pas loisir d'un plus long entretien; Il faut que nous fassions seules deux tours d'allée. DORANTE. Cependant accordez à mes vœux innocents La licence d'aimer des charmes si puissants. CLARICE. Un cœur qui veut aimer, et qui sait comme on aime, N'en demande jamais licence qu'à soi-même. SCÈNE IV DORANTE, CLITON. DORANTE. Suis-les, Cliton. CLITON. J'en sais ce qu'on en peut savoir. La langue du cocher a bien fait son devoir. « La plus belle des deux, dit-il, est ma maîtresse ; Elle loge à la place, et son nom est Lucrèce. » Quelle place? DORANTE. CLITON. Royale, et l'autre y loge aussi. DORANTE. Ne te mets point, Cliton, en peine de l'apprendre. |