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A M. CORNEILLE

SUR SA COMÉDIE LE MENTEUR

Eh bien, ce bean Menteur, cette piece famense,
Qui étonne le Khin, et fait rougir la Meuse,
Et le Tage et le Pò, et le Tibre romain,
De n'avoir rien produit d'égal à cette main,
A ce Plaute rené, à ce nouveau Térence,
La trouve-t-on si loin, ou de l'indifférence,
On du juste mépris des savants d'aujourd'hui ?
Je tiens tout au rebours, qu'elle a besoin d'appui,
De grâce, de pitié, de faveur affétée,
D'extrême charité, de louange empruntée.
Elle est plate, elle est fade, elle manque de sel,
De pointe et de vigueur; et n'y a carrousel
Où la rage et le vin n'enfantent des Corneilles
Capables de fournir de plus fortes merveilles.
Qu'ai-je dit? ah! Corneille, aime mon repentir;
Ton excellent Menteur m'a porté à mentir.
Il m'a rendu le faux si doux et si aimable,
Que, sans m'en aviser, j'ai vu le véritable
Ruiné de crédit et ai cru constamment

N'y avoir plus d'honneur qu'à mentir vaillamment.
Après tout, le moyen de s'en pouvoir dédire?

A moins que d'en mentir, je n'en pouvais rien dire.

La plus haute pensée au bas de sa valeur

Devenait injustice et injure à l'auteur.

Qu'importe donc qu'on mente, ou que d'un faible éloge A toi et ton Menteur faussement on déroge?

Qu'importe que les dieux se trouvent irrités

De mensonges ou bien de fausses vérités?

CONSTANTER.

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ACTE PREMIER

SCÈNE I

DORANTE, CLITON.

DORANTE

A la fin j'ai quitté la robe pour l'épée :
L'attente où j'ai vécu n'a point été trompée;
Mon père a consenti que je suive mon choix,
Et j'ai fait banqueroute à ce fatras de lois.
Mais, puisque nous voici dedans les Tuilerics,
Le pays du beau monde et des galanteries,
Dis-moi, me trouves-tu bien fait en cavalier?
Ne vois-tu rien en moi qui sente l'écolier?
Comme il est malaisé qu'au royaume du code
On apprenne à se faire un visage à la mode,
J'ai lieu d'appréhender...

CLITON.

Ne craiguez rien pour vous: Vous ferez en une heure ici mille jaloux. Ce visage et ce port n'ont point l'air de l'école, Et jamais comme vous on ne peignit Barthole: Je prévois du malheur pour beaucoup de maris. Mais que vous semble encor maintenant de Paris?

DORANTE.

J'en trouve l'air bien doux, et cette loi bien rude
Qui m'en avait banni sous prétexte d'étude.
Toi, qui sais les moyens de s'y bien divertir,
Ayant eu le bonheur de n'en jamais sortir,

Dis-moi comme en ce lieu l'on gouverne les dames.

CLITON.

C'est là le plus beau soin qui vienne aux belles âmes, Disent les beaux-esprits. Mais, sans faire le fin,

Vous avez l'appétit ouvert de bon matin!
D'hier au soir seulement vous êtes dans la ville,
Et vous vous ennuyez déjà d'être inutile!
Votre humeur sans emploi ne peut passer un jour!
Et déjà vous cherchez à pratiquer l'amour!
Je suis auprès de vous en fort bonne posture
De passer pour un homme à donner tablature;
J'ai la taille d'un maître en ce noble métier,
Et je suis, tout au moins, l'intendant du quartier.

DORANTE.

Ne t'effarouche point: je ne cherche, à vrai dire,
Que quelque connaissance où l'on se plaise à rire,
Qu'on puisse visiter par divertissement,

Où l'on puisse en douceur couler quelque moment.
Pour me connaître mal, tu prends mon sens à gauche.

CLITON.

J'entends; vous n'êtes pas un homme de débauche,
Et tenez celles-là trop indignes de vous
Que le son d'un écu rend traitables à tous :
Aussi que vous cherchiez de ces sages coquettes
Où peuvent tous venants débiter leurs fleurettes,
Mais qui ne font l'amour que de habil et d'yeux,
Vous êtes d'encolure à vouloir un peu mieux.
Loin de passer son temps, chacun le perd chez elles;
Et le jeu, comme on dit, n'en vaut pas les chandelles.
Mais ce serait pour vous un bonheur sans égal
Que ces femmes de bien qui se gouvernent mal,
Et de qui la vertu, quand on leur fait service,
N'est pas incompatible avec un peu de vice.
Vous en verrez ici de toutes les façons.
Ne me demandez point cependant de leçons;
Ou je me connais mal à voir votre visage,

Ou vous n'en êtes pas à votre apprentissage:

Vos lois ne réglaient pas si bien tous vos desseins, Que vous eussiez toujours un portefeuille aux mains.

DORANTE.

A ne rien déguiser, Cliton, je te confesse
Qu'à Poitiers j'ai vécu comme vit la jeunesse;
J'étais en ces lieux-là de beaucoup de métiers:
Mais Paris, après tout, est bien loin de Poitiers.
Le climat différent veut une autre méthode :

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