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Ses flots ont fécondé tout le moyen-âge artistique. L'invocation religieuse, dit encore M. Quinet, la lente consécration aux dieux de la terre et des eaux occupe la pensée cosmogonique du Mahabarat de l'Inde, se prolonge dans les chants des Titans d'Orphée et de Linus, et ne fait place à l'action héroïque que dans le poème de l'lonie. Avec lui commence ce récit abondant et paisible qui n'aura plus de fin. Comment les peuples de l'Italie auraient-ils fermé le cercle de l'Iliade? Eux qui marquaient le prolongement du monde grec, ne pouvaient qu'y ajouter un brillant épisode. Ils gravèrent un tableau vivant sur le bouclier d'airain d'un dieu d'Homère.

Nous ne ferons pas aux détracteurs d'Homère l'honneur de les réfuter. Toutes ces disputes qui ont agité les deux derniers siècles paraîtraient bien puériles au nôtre. On peut se passer du suffrage de Lamothe-Houdart, quand on a pour admirateurs Alexandre, Dante et Napoléon.

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Hésiode est un poète très-fatigant à lire, mais curieux à étudier sous le rapport des traditions gigantesques renfermées dans ses poèmes. Quoiqu'il soit postérieur à Homère, dont il a, dit-on, balancé la gloire aux yeux de ses contemporains," chose dont je doute un peu, ses livres sembleraient plus anciens que ceux du chantre de l'Iliade. Ils ont quelque chose de plus mystérieux, de plus primordial; et sous le rapport de l'art, ils indiquéraient une époque bien moins avancée. Cela tenait sans doute à certaines dispositions d'esprit, et surtout à une grande infériorité, car il y a loin d'Homère à Hésiode. Son poème des Travaux et des

jours, qui a donné peut-être à Virgile l'idée de ses Georgiques, offre cependant de grandes beautés. Les Ages du monde présentent des peintures larges et fortes; mais ce poème est déparé par une foule de préceptes d'agriculture qui se succèdent sans poésie et rendent cette lecture insupportable. On peut extraire de cet ouvrage quelques descriptions d'un pittoresque grandiose, que Virgile a imitées avec son bonheur accoutumé.

La Théogonie d'Hésiode est après les poèmes d'Homère la plus abondante source mythologique où se soient abreuvés les poètes. Elle a bien pu contribuer à allumer la colère du grand spiritualiste Platon; car, comme Schlegel l'a remarqué avec sa raison ordinaire, elle est d'un matérialisme complet.

«D'après son système, le monde est né du chaos. » Sans rappeler toutes ses idées absurdes et incon>> venantes de la Divinité, je me bornerai à remar» quer que dans différens symboles il ne parle de la »> nature que sous le rapport de sa plénitude de vie >> et de son inépuisable fécondité; symboles qui se » résolvent en dernière analyse dans la notion d'un » animal infini. Dans ce système de théogonie poé»tique, la vie de la nature n'est considérée que » comme une alternative perpétuelle d'amour et de >> haine, d'attraction et de répulsion; on n'y dé› couvre pas le moindre pressentiment d'un esprit supérieur, qui, de même qu'il se manifeste à la

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Sous le rapport philosophique, la Théogonic rappelle les premiers travaux de l'école ionienne; ce sont les mêmes rêves et les mêmes erreurs, et le poète a pu égarer les philosophes. Comme œuvre d'art, il n'y a rien de plus ennuyeux que cette interminable généalogie de dieux et de déesses, surtout lorsqu'elle est privée de la suave harmonie du vers grec.

Hésiode se réveille pour chanter la révolte des Titans contre les dieux. C'est la première fois que cette tradition païenne apparaît dans la poésie, et c'est digne de remarque; car on sait qu'elle se représente dans toutes les religions: cette révolte d'un être supérieur à l'homme contre la divinité, cette première punition de l'orgueil, est une croyance universelle. Ici Hésiode prend un caractère d'incontestable grandeur : tout ce fracas de la lutte des Titans contre Jupiter, ces vers qui se choquent avec un bruit si étrange, sont dignes d'admiration. Puis vient la peinture du Tartare qui engloutit les rebelles. C'est un tableau qu'ont imité Virgile, Dante et surtout Milton.

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Voici un passage que, selon nous, les plus malgrands poètes pourraient envier à Hésiode; heureusement notre prose ne donnera pas l'idée

' SCHLEGEL, Histoire de la littérature.

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