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taient avec enthousiasme ce rêve digne d'Arioste.

Voilà d'où partit Socrate, et en vérité on ne saurait trop admirer cet homme qui vient proclamer d'une voix ferme une intelligence supérieure, un Dieu unique, immatériel et tout-puissant; une âme immortelle destinée à une vie à venir, la vie présente n'étant qu'une épreuve à travers laquelle il faut passer pour arriver à la vie céleste, prison dont la mort seule brise les fers; homme qui cric aux peuples : Les dieux dont on vous fait peur sont des fables; et aux sophistes : Vous êtes des insensés; - cet homme qui, odieux aux défenseurs de l'ordre public, fut plus grand encore dans sa mort que dans sa vie, et légua à la postérité un nom tout glorieux de sa sainte révolte.

cet

Nous ne pensons pas que l'humanité ait reproduit cette gloire. Les martyrs du christianisme avaient sa force, mais ils n'avaient pas son génie.

Une des plus remarquables particularités de la vie de Socrate, c'est qu'il n'a pas écrit un seul ouvrage. Il était bien grand cet homme qui croyait assez à la force de sa parole pour être assuré qu'elle germerait dans le monde en sortant de sa bouche; il était bien peu sensible à l'orgueil qui porte ses semblables à léguer ainsi leurs pensées à l'avenir. Socrate a-t-il vu que dans son école même se trouvait un jeune homme appelé à orner de toutes les grâces de la poésie ses austères enseignemens? On raconte cependant qu'il redoutait l'ima

gination éblouissante et rêveuse de son élève, et qu'un de ses mots habituels était : Que de folies ce jeune homme me fait dire!

L'humanité n'a pas fait comme Socrate; elle a béni l'abondante verve de Platon; car elle lui doit un des plus splendides monumens de la pensée. Ce grand artiste philosophique a eu sur les siècles suivans une influence immense; il s'estiapproché du christianisme autant peut-être qu'il était donné à une intelligence créée. → La nature de l'âme, ses facultés, furent savamment analysées ; - l'amour substitué à la crainte comme mobile des actions humaines ; les deux mondes, l'invisible et le visible, le monde spiritualiste et le monde sensualiste, furent divisés avec une netteté admirable. Socrate s'était surtout occupé de l'homme, et en cela il avait été le philosophe grec par excellence (ses prédécesseurs avaient principalement étudié l'univers); Platon fit revivre dans ses écrits toutes les idées de son maître sur l'homme. Devoirs de l'homme envers Dieu, puis envers ses semblables. De là les écrits politiques, magnifiques utopies que nous avons vues se renouveler de siècle en siècle, sans beaucoup de fruits pour le bonheur des peuples. Enfin l'âme et Dieu réhabilités, le spiritualisme et la morale substitués à l'athéisme et à l'immoralité. Tel fut le but glorieux de Socrate et de son éloquent élève, et ceci est un des plus beaux spectacles que nous ayons à contempler dans

l'histoire de l'esprit humain; montons plus haut, et nous rencontrons Dieu.

La philosophie grecque se développa encore dans les mains d'Aristote, cet esprit encyclopédique qui sonda les mystères des sciences physiques, et donna à l'art des règles que l'aveuglement de quelques modernes a voulu éterniser, comme si l'immobilité intellectuelle était chose possible; il suivit souvent en morale les erremens de son maître Platon. Ce vaste génie passe encore aujourd'hui pour le représentant du sensualisme, comme Platon est celui du spiritualisme. Nous soupçonnons ces grands hommes de n'être pas tombés dans les erreurs exclusives qu'on leur reproche: seulement l'un aura plus spécialement analysé les faits de l'âme, et l'autre trouvant cette tâche remplie, se sera plus occupé du monde visible. Mais tous deux avaient, croyons-nous, une notion assez parfaite des deux élémens spiritualiste et sensualiste de l'âme et du corps, de l'invisible et du visible. Nous aurons occasion de répéter souvent cette observation dans la suite de ce travail.

Ce fut au milieu de tout ce monde que parut le grand poète tragique Euripide. Élève lui-même de Socrate, il fut entraîné par toutes ces brûlantes discussions, et son génie en porte de vives empreintes. Il se trouva placé entre la saine philosophie de Socrate et le verbiage abondant des sophistes qui encombraient les rues d'Athènes. De là

sans doute les nobles maximes exprimées dans ses beaux vers et l'insipide bavardage qui s'y rencontre aussi trop souvent.

Il est juste de reconnaître, avec Schlegel, que l'art tragique dégénérá dans les mains d'Euripide. Ce drame si harmonique, si solennel, si noblement touchant, que lui laissa Sophocle, perdit, en passant par sa voix, ses proportions si pures, et bien souvent aussi cette sévérité religieuse qui fait de Sophocle un prêtre. Mais ce que l'on n'a pas senti assez, ce sont ces cris de douleur qui échappent à l'âme profonde de l'auteur d'Hécube. Euripide est le chantre de la souffrance morale, et sous ce rapport il s'est créé une place à part dans l'histoire de la poésie grecque. Cette grande tristesse d'Euripide est peut-être née de la contemplation de son temps. Quand une civilisation va finir, quand le vieux culte s'en va, il y a dans les âmes des véritables grands hommes, de ceux qui sympathisent le plus vivement avec les destinées de l'humanité, je ne sais quel amer désenchantement qui se fait jour dans leurs œuvres, et montre que des larmes ont mouillé les pages que les peuples admirent. Le théâtre d'Euripide, considéré sous cet aspect, nous semble une sombre élégie sur le monde grec qui va périr. L'humanité gémit avec les sanglots du poète sur les funérailles de cette Grèce si étincelante, si artiste, si glorieuse! Nous sommes étonnés qu'Euripide n'ait pas frappé sous

ce rapport les hommes éminens qui se sont occupés de ce beau génie.

« Ménandre, dit Frédéric Schlegel, fut à Athènes le dernier poète qui représenta la vie d'une manière nouvelle et originale; il fonda ou perfectionna la haute comédie que nous pouvons, jusqu'à un certain point, connaître par les imitations ou traductions de Térence. C'est ainsi que la poésie dramatique, qui, dans Eschyle, avait commencé par le grand héroïque et le merveilleux, arriva alors au terme de sa décadence, en s'éloignant du vague et des grandes figures d'un passé poétique, pour se rapprocher toujours davantage du présent et finir par la peinture spirituelle de la vie civile ordinaire; et lorsque tous les sujets, caractères, développemens et situations qu'offre cette vie, furent également épuisés, elle avait achevé sa carrière et périt'.

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Nous avons négligé dans ce tableau, résumé rapide de la première partie de notre second volume, une foule de poésies gracicuses et frivoles, des noms qui brillent dans leur temps, et qui se trouvent plus tard écrasés par le voisinage des grands astres; nous n'avons à nous occuper ici que des hommes qui ont marqué dans l'histoire de l'esprit humain.

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