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tourmenter comme l'an passé. On prétend cependant que j'ai mal fait de remettre la vente. J'entends monter l'escalier; ce sont de mes gens qui sont sur mon dos. Ils me parlent pendant que j'écris je fais semblant de ne pas les écou ter. Ils m'offrent 11,600 fr., moitié comptant. Je ne sais qui diable leur a dit que je voulais 12,000 fr. Les voilà qui m'offrent 12,000 : je refuse : les voilà partis. Je vais dîner chez Bidaut.

A 10 heures du soir.

Ma foi c'est fait pour 12, 250 fr., à Beaujean ou Bonjean, dont tu dois te souvenir. Les paroles sont données, sans témoins à la vérité; mais foi de paysan vaut bien foi de gentilhomme je ne crois pas avoir mal fait. Le marché s'est fait chez Desnœuds (qui par parenthèse est mort: c'est le gendre qui tient la maison); j'étais là à jouer aux échecs: mon homme entre et me prend à part. Nos débats commencèrent à sept heures, et vers les dix heures nous conclûmes. J'ai écouté pendant trois heures toujours la même antienne : je suis connu, ce n'est pas pour dire, je vous paierai bien, demandez à M. un tel. Enfin nous avons frappé dans la main; si je suis attrapé, ma foi..., que veux-tu ? Les enchères n'ont été portées qu'à 11,500 fr. Tout le monde me conseillait d'adjuger à ce prix; on prétendait que, l'assemblée une fois rompue, je ne retrouverais plus les mêmes

offres. J'ai tenu bon, et j'ai gagné 750 fr. Ai-je bien fait, maître ?

Redemande un peu mon Longus à M. Méjean; il faut absolument ravoir ce livre : l'exemplaire m'est précieux à cause des notes que j'y ai

mises.

Tout est fini, on m'approuve fort. Il est certain que le bois a diminué d'un quart depuis deux ans. Enfin, tout le monde trouve mon affaire bien faite. L'opinion du public varie sur mon habileté : on me prend tantôt pour un nigaud, tantôt pour un fin matois.

:

Adieu je vais mettre ceci à la poste, et pars pour Luynes.

A MADAME COURIER.

13 novembre 1816.

Je suis allé dimanche à Luynes; j'ai dîné et couché chez les la Beraudière. Ils sont bien fâchés que tu ne sois pas venue. Il y avait chez eux deux émigrés rentrés, habitans du voisinage, qui sont bien ce qu'on peut voir de plus drôle au monde; deux figures à mettre aux Variétés. Ce ne sont que des révérences, complimens, cérémonies; tout tellement caricature,

qu'il y a de quoi crever de rire. Nous en avons bien ri quand ils ont été partis. Bonnes gens au demeurant. De Luynes je suis venu avec Odoux chez ce monsieur qui marchande notre Filonière, et je crois l'achètera; mais c'est une affaire qui n'est pas prête à se conclure. Nous avons dîné chez lui. C'est une maison charmante, à SaintCyr, sur le chemin de Luynes; tu dois te rappeler cet endroit sur la colline à mi-côte. On voit Tours et toute la Loire. Tu verras cela quelque jour. Ils ont grande envie de te voir; tu as une réputation dans tout le pays.

Ton projet de venir passer ici l'hiver ne peut s'exécuter; d'ailleurs il faut que j'imprime mon Ane cet hiver. Ce n'est point une chose indiffé rente. Enfin tout s'arrangera. Figure-toi que les propriétaires de terres sont toujours gueux, mais jamais ruinés.

Ce monsieur qui épouse la vieille ne m'étonne point du tout. Il vient de mourir ici un homme appelé M. A.; il n'avait point d'autre état que d'épouser de vieilles femmes, et de les enterrer. Il est mort veuf de la troisième, et riche; car, comme il les traitait fort bien pendant leur vie, elles le récompensaient à leur mort. J'avais prédit qu'il finirait par une fille de dix-huit ans qui l'enterrerait; mais je me suis trompé.

[ Courier, selon le projet dont il fait mention dans la lettre précédente, s'occupa, sitôt son retour à Paris, de l'impression de son Ane. En même temps il écrivit la Pétition. Alors seulement il connut son talent, ou plutôt la sympathie du public français avec ce talent. On sait assez quel effet produisit ce petit écrit de dix pages. Cependant il demeura fidèle à ses études grecques, et ne fut arrêté dans la correction de son Ane que par un nouveau crachement de sang, qui le prit au mois de février 1817, et le tint long-temps entre la vie et la mort. Obligé d'aller aux eaux pour se rétablir, il ne put reprendre son travail qu'au mois de décembre suivant. La mort de son beau-père, arrivée le 18 novembre de cette année, l'affecta si vivement, qu'il ne continua qu'avec découragement et de loin à loin les études qui avaient été communes entre eux pendant plusieurs années. Dans quelques lettres qui n'ont pu entrer ici, il parle, avec la touchante simplicité qu'on lui connaît, de sa douleur quand il rentra dans le cabinet de son beau-père, qu'il toucha les livres tant de fois feuilletés avec lui, revit sa place et son fauteuil vides. Ces regrets profonds et durables, comme toutes les impressions de l'ame de Courier, nous ont privés de plusieurs travaux qui, sans cela, eussent été achevés, et que le public ne connaîtra point: perte qu'on ne saurait trop vivement sentir.

En janvier 1818, Courier voulut, se voyant des forces, aller seul en Touraine. Il fut repris de son crachement de sang, et ramerré mourant.

La lettre suivante est une de celles qu'il écrivit pendant sa convalescence à sa femme, qui terminait à Tours les affaires abandonnées par lui. Il marque là le peu de souci que lui donne l'Institut, où se trouvaient alors trois places vacantes. On sait

l'histoire des nominations faites à ces places par l'Académie, après six mois employés à préparer ses choix. Les sollicitations de sa femme et de quelques amis avaient déterminé Courier, contre son gré et son caractère, à faire quelques démarches pour remplacer son beau-père. Il les fit, et s'en repentit, comme il l'a si plaisamment avoué, tout en se vengeant sur l'Académie du refus auquel il s'était exposé en prenant ses titres de savant pour des droits à une distinction de savant. La lettre qui vient ensuite est adressée à M. Raoul de Rochette, après le refus de l'Académie. ]

A MADAME COURIER.

Le 9 février 1818.

Tu vois comme je t'écris. Je te parle de moi. C'est comme il faut que tu fasses. Tout ce que tu fais, ce que tu penses, tout ce qui te vient à l'esprit sans examen, il me le faut coucher par écrit. Visconti est mort; je viens de recevoir son billet d'enterrement. Voilà trois places à l'Institut. En aurai-je une? Je ne sais. S'ils me reçoivent, j'en serai bien aise; s'ils me refusent, rirai : je ne vaudrai ni plus ni moins, et le public sera pour moi. Je crois que je serai reçu. Mon Ane va paraître, je crois, la semaine prochaine. Il semble que Bobée ait envie d'en finir.

j'en

Adieu. Je m'arrange avec Rosine on ne peut

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