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Vous aviez rebuté tous ceux qui en eussent été capables. Coraï, Thurot, Haase, repoussés une fois, ne se présentaient plus. Le pauvre Chardon de la Rochette qui, toute sa vie, fut si simple de croire obtenir, par la science, une place de savant, à peine désabusé, mourut. J'étais donc sans rivaux que je dusse redouter. Les candidats manquant, vous paraissiez en peine, et aviez ajourné déjà deux élections faute de sujets recevables. Les uns vous semblaient trop habiles, les autres trop ignorans; car sans doute vous n'avez pas cru qu'il n'y eût en France personne digne de s'asseoir auprès de Gail. Vous cherchiez cette médiocrité justement vantée par les sages. Que vous dirai-je enfin? Tout me favorisait, tout m'appelait au fauteuil. Visconti me poussait, Millin m'encourageait, Letronne me tendait la main; chacun semblait me dire: Dignus es intrare. Je n'avais qu'à me présenter; je me présentai donc, et n'eus. pas une voix.

Non, messieurs, non, je le sais, ce ne fut point votre faute. Vous me vouliez du bien, j'en suis sûr. Il y parut dans les visites que j'eus l'honneur de vous faire alors. Vous m'accueillites d'une façon qui ne pouvait être trompeuse; car pourquoi m'auriez-vous flatté? Vous me reconnûtes des droits. La plupart même d'entre vous se moquèrent un peu avec moi de mes nobles concurrens ; car, tout en les nommant de préférence à moi,

vous les savez bien apprécier, et n'ètes pas assez peu instruits pour me confondre avec messieurs de l'OEil-de-Bœuf. Enfin, vous me rendîtes justice, en convenant que j'étais ce qu'il fallait pour une des trois places à remplir dans l'Académie. Mais quoi? mon sort est de n'être rien. Vous eûtes beau vouloir faire de moi quelque chose, mon étoile l'emporta toujours, et vos suffrages, détournés par cet ascendant, tombèrent, Dieu sans doute le voulant, sur le gentilhomme ordinaire.

La noblesse, messieurs, n'est pas une chimère, mais quelque chose de très-réel, très-solide, trèsbon, dont on sait tout le prix. Chacun en veut tâter; et ceux qui autrefois firent les dégoûtés, ont bien changé d'avis depuis un certain temps. Il n'est vilain qui, pour se faire un peu décrasser, n'aille du roi à l'usurpateur et de l'usurpateur au roi, ou qui, faute de mieux, ne mette du moins un de à son nom, avec grande raison vraiment. Car voyez ce que c'est, et la différence qu'on fait du gentilhomme au roturier, dans le pays même de l'égalité, dans la république des lettres. Chardon de la Rochette (vous l'avez tous connu), paysan comme moi, malgré ce nom pompeux, n'ayant que du savoir, de la probité, des mœurs, enfin un homine de rien, abîmé dans l'étude, dépense son patrimoine en livres, en voyages, visite les monumens de la Grèce et de Rome, les bibliothèques, les savans, et devenu lui-même

un des hommes les plus savans de l'Europe, connu pour te par ses ouvrages, se présente à l'Académie, qui tout d'une voix le refuse. Non, c'est mal dire; on ne fit nulle attention à lui, on ne l'écouta pas. Il en mourut, grande sottise. Le vicomte Prevost passe sa vie dans ses terres, où foulant le parfum de ses plantes fleuries, il compose un couplet afin d'entretenir ses douces réveries. L'Académie, qui apprend cela (non pas l'Académie française, où deux vers se comptent pour un ouvrage, mais la vôtre, messieurs, l'Académie en us, celle des Barthélemi, des Dacier, des Saumaise), offre timidement à M. le vicomte une place dans son sein; il fait signe qu'il acceptera, et le voilà nommé tout d'une voix. Rien n'est plus simple que cela: un gentilhomme de nom et d'armes, un homme comme M. le vicomte, est militaire sans faire la guerre, de l'Académie sans savoir lire. La coutume de France ne veut pas, dit Molière, qu'un gentilhomme sache rien faire, et la même coutume veut que toute place lui soit dévolue, même celle de l'Académie.

Napoléon, génie, dieu tutélaire des races antiques et nouvelles, restaurateur des titres, sauveur des parchemins; sans toi la France perdait l'étiquette et le blason, sans toi...... Oui, messieurs, ce grand homme aimait comme vous la noblesse, prenait des gentilshommes pour en faire ses soldats, ou bien de ses soldats faisait des gentils

hommes. Sans lui, les vicomtes que seraient-ils? pas même académiciens.

Vous voyez bien, messieurs, que je ne vous en veux point. Je cause avec vous; et de fait, si j'avais à me plaindre, ce serait de moi, non pas de vous. Qui diantre me poussait à vouloir être de l'Académie, et qu'avais-je besoin d'une patente d'érudit, moi,qui sachant du grec autant qu'homme de France, étais connu et célébré par tous les doctes de l'Allemagne, sous les noms de Correrius, Courierus, Hemerodromus, Cursor, avec les épithètes de vir ingeniosus, vir acutissimus, vir præstantissimus, c'est-à-dire homme d'érudition, homme de capacité, comme le docteur Pancrace. J'avais étudié pour savoir, et j'y étais parvenu, au jugement des experts. Que me fallait-il davantage? Quelle bizarre fantaisie à moi, qui m'étais moqué quarante ans des coteries littéraires, et vivais en repos loin de toute cabale, de m'aller jeter au milieu de ces méprisables intrigues?

A vous parler franchement, messieurs, c'est là le point embarrassant de mon apologie; c'est là l'endroit que je sens faible et que je me voudrais cacher. De raisons, je n'en ai point pour plâtrer cette sottise, ni même d'excuse valable. Alléguer des exemples, ce n'est pas se laver, c'est montrer les taches des autres. Assez de gens, pourrais-je dire, plus sages que moi, plus habiles, plus philosophes (messieurs, ne vous effrayez pas), ont

fait la même faute et bronché en même chemin aussi lourdement. Que prouve cela? quel avantage en puis-je tirer, sinon de donner à penser que par là seulement je leur ressemble! Mais, pourtant, Coraï, messieurs...... parmi ceux qui ont pris pour objet de leur étude les monumens écrits de l'antiquité grecque, Coraï tient le premier rang, nul ne s'est rendu plus célèbre; ses ouvrages nombreux, sans être exempts de fautes, font l'admiration de tous ceux qui sont capables d'en juger; Coraï, heureux et tranquille à la tête des hellénistes, patriarche, en un mot, de la Grèce savante, et partout révéré de tout ce qui sait lire alpha et oméga; Coraï une fois a voulu être de l'Académie. Ne me dites point, mon cher maître, ce que je sais comme tout le monde, que vous l'avez bien peu voulu, et que jamais cette pensée ne vous fùt venue sans les instances de quelques amis moins zélés pour vous, peut-être, que pour l'Académie, et qui croyaient de son honneur que votre nom parût sur la liste, que vous cédâtes avec peine, et ne fûtes prompt qu'à vous retirer. Tout cela est vrai et votis est commun avec moi, aussi bien que le saccès. Vous avez voulu comme moi, votre indigne disciple, être de l'Académie. C'était sans contredit aspirer à descendre. Il vous en a pris comme à moi. C'està-dire qu'on se moque de nous deux. Et plus que moi, vous avez, pour faire cette demande, écrit

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