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sieur, qu'il y ait rien de perdu. L'entreprise était telle qu'avant l'exécution, tout le monde s'en serait moqué, parce qu'en effet il y avait très-peu de personnes capables de l'exécuter. Les gens qui savent le grec sont cinq ou six en Europe; ceux qui savent le français sont en bien plus petit nombre. Mais ce n'est pas seulement le grec et le français qui m'ont servi à terminer cette belle copie, après avoir si heureusement rétabli l'original; ce sont encore plus les bons auteurs italiens, d'où j'ai tiré plus que des nôtres, et qui sont la vraie source des beautés d'Amyot; car il fallait, pour retoucher et finir le travail d'Amyot, la réunion assez rare des trois langues qu'il possédait et qui ont formé son style. Ainsi cette bagatelle, toute bagatelle qu'elle est, et des plus petites assurément, peu de gens la pouvaient faire.

Je comprends, monsieur, que votre jugement n'est pas celui de tout le monde, et que ce qui vous a plu semblera ridicule à d'autres; mais l'ouvrage n'étant connu que par votre rapport, la prévention du public doit, pour le moment, m'être favorable; et si cette prévention en faveur de ma traduction peut me faire absoudre du crime de lèse-manuscrit, je me moque fort qu'après cela on la trouve bonne ou mauvaise.

Qu'on examine donc si le mérite d'avoir complété, corrigé, perfectionné cette version que

tout le monde lit avec délices, et donné aux savans un texte qui sera bientôt traduit dans toutes les langues, peut compenser le crime d'avoir effacé involontairement quelques mots dans un bouquin que personne avant moi n'a lu, et que jamais personne ne lira. Si j'avais l'éloquence de M. Furia, j'évoquerais ici l'ombre de Longus, et, lui contant l'aventure, je gage qu'il en rirait, et qu'il m'embrasserait pour avoir enfin remis en lumière son œuvre amoureuse. Vous pouvez penser la mine qu'il ferait à M. Furia, qui le laissait manger aux vers dans le vénérable bouquin.

J'ai l'honneur d'être, monsieur, etc.

Tivoli, le 20 septembre 1810.

P. S. Est-ce la peine de vous dire, monsieur, pourquoi je ne vous envoyai ni le texte, ni la traduction que je vous avais promise? Accusé de spéculer avec vous sur ce fragment, dont je vous faisais présent, comme vous en convenez, le seul parti que j'eusse à prendre, n'était-ce pas de le donner moi-même au public? Je vous avoue aussi que votre ambition m'alarmait. Si, pour m'avoir accompagné dans une bibliothèque, vous disiez et vous imprimiez à Milan : Nous avons trouvé, et nous allons donner un Longus complet, n'était-il pas clair qu'une fois maître et éditeur de ce texte, vous auriez dit, comme Archimède: Je lai trouvé. Vous et M. Furia vous allez vous

parer de mes plus belles plumes, et je restais avec ma tache d'encre que personne ne me contestait. J'avais pensé faire deux parts; le profit pour vous, l'honneur pour moi : vous vouliez avoir l'un et l'autre, et ne me laisser que le pâté. Une pareille prétention rompait tous nos arrangemens.

LETTRE

A MESSIEURS

DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

ET BELLES-LETTRES.

MESSIEURS,

C'est avec grand chagrin, avec une douleur extrême que je me vois exclu de votre Académie, puisque enfin vous ne voulez point de moi. Je ne m'en plains pas toutefois. Vous pouvez avoir, pour cela, d'aussi bonnes raisons que pour refuser Coraï et d'autres qui me valent bien. En me mettant avec eux, vous ne me faites nul tort; mais d'un autre côté, on se moque de moi. Un auteur de journal, heureusement peu lu, imprime « Monsieur Courier s'est présenté, se

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présente et se présentera aux élections de l'A«< cadémie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui « le rejette unanimement. Il faut, pour être ad« mis dans cet illustre corps, autre chose que du

« grec. On vient d'y recevoir le vicomte Prevost << d'Irai, gentilhomme de la chambre, le sieur Jomard, le chevalier Dureau de La Malle, gens « qui, à dire vrai, ne savent point de grec, mais << dont les principes sont connus. »

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il

Voilà les plaisanteries qu'il me faut essuyer. Je saurais bien que répondre; mais ce qui me fâche le plus, c'est que je vois s'accomplir cette prédic tion que me fit autrefois mon père : Tu ne seras jamais rien. Jusqu'à présent je doutais (comme y a toujours quelque chose d'obscur dans les oracles), je pensais qu'il pouvait avoir dit : Tu ne feras jamais rien; ce qui m'accommodait assez, et me semblait même d'un bon augure pour mon avancement dans le monde; car en ne faisant rien, je pouvais parvenir à tout, et singulièrement à être de l'Académie ; je m'abusais. Le bouhomme sans doute avait dit, et rarement il se trompa Tu ne seras jamais rien, c'est-à-dire, tu ne seras ni gendarme, ni rat-de-cave, ni espion, ni duc, ni laquais, ni académicien. Tu seras PaulLouis pour tout potage, id est, rien. Tertible mot!

C'est folie de lutter contre sa destinée. Il y avait trois places vacantes à l'Académie, quand je me présentai pour en obtenir une. J'avais le mérite requis; on me l'assurait, et je le croyais, je vous l'avoue. Trois places vacantes, messieurs ! et notez ceci, je vous prie, personne pour les remplir.

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