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Tela, comme par inspiration, voulut, il y a trois semaines, quitter cette maison. Son hôte l'y retint à force d'instances et de caresses; avait-il dès-lors son dessein? On ne sait; les avis là-dessus sont partagés. Hier, il voit sa femme entrer dans la chambre du capitaine, pour lui remettre quelque linge qu'on avait lavé; il la suit, et lui porte trois coups de poignard. Elle eut pourtant encore la force de se sauver chez ses parens, où elle est morte cette nuit. Tela frappé au coeur, mourut à l'instant même. Mais une chose à remarquer, c'est le sang-froid de l'assassin. Venant de faire cette expédition, il rencontre sur l'escalier le colonel Huard, qui lui demande : Le capitaine est-il ici? Montez, dit-il, vous le verrez; et il paraissait aussi calme que si rien ne fût arrivé.

La ville est consternée. On craint les vexations auxquelles cela peut donner lieu de la part de gens habiles à saisir tous les prétextes. Nous cherchons fort le meurtrier; mais les malins disent que nous le cherchons partout où nous sommes sûrs de ne pas le trouver. L'affaire s'accommodera, et l'on n'y pensera plus. Voilà pourtant trois hommes que nous perdons ainsi de l'artillerie seulement, et sans qu'il en soit autre chose. Nulle punition, nulle plainte à ce governaccio de Naples. On se soucie peu des vivans et point du tout des morts.

[A cette époque, les préparatifs militaires de l'Autriche d nnant lieu de craindre une nouvelle guerre, Napoléon négocia avec le roi de Naples un traité de neutralité, en conséquence duquel les troupes qui occupaient Tarente et la Pouille furent rappelées vers le nord pour former la doite de l'armée d'Italie.

Le général en chef, Gouvion-Saint-Cyr, partit de Barletta le 9 octobre: Courier y demeura quelques jours encore, et joignit ensuite vers Pescara le quartier-général, avec lequel marchaient ses équipages confiés aux soins d'un sous-officier d'artillerie à cheval.]

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Mon cher Costolier, comme vous avez soin de mon cheval, j'ai soin ici de votre maîtresse. Peu après que vous fûtes parti (bien malgré moi; je fis ce que je pus pour l'empêcher; mais on le voulait), peu après, il y eut ordre à toutes les femmes de quitter l'armée, de s'en aller comme elles pourraient. Le général dit qu'il n'en veut plus. Il renvoie la sienne. Cent cinquante se sont embarquées à Bari sur d'assez mauvais bâtimens : le diable sait ce qu'elles vont devenir. J'ai fait rester votre Julie en qualité de vivandière. Elle

marche avec noùs. Je vois qu'on rôde au

tour d'elle, mais ma foi elle ne se laisse pas ferrer à tout le monde; elle vous aime et aussi toutes les femines ne sont pas p......, quoi qu'on en dise.

Ce n'est pas la peine de faire faire une housse à mon cheval, il ira bien tout nu. Faites-lui faire plutôt un mors, comme celui de ma jument grise, par notre éperonnier qui va aller vous joindre. Qu'on le mène par la longe, mon cheval s'entend; donnez-lui un peu de foin, de l'orge plutôt que de l'avoine, et du chiendent partout où vous en trouverez. Adieu.

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A M. LEDUC AINÉ.

De Bologne, le 14 novembre 1805.

Je t'ai écrit trois fois depuis notre départ de la Pouille. Je te marquais de m'adresser tes lettres à Rome, mais je n'ai pu y passer; ainsi je suis sans nouvelles de toi depuis le 10 août, date de ta dernière, par laquelle j'ai vu que ta fille était hors d'affaire. J'espère qu'elle court à l'heure qu'il est, et saute mieux que jamais più pazzarella che mai; j'en fais mon compliment à madame sa

mère, et voudrais être là pour vous embrasser tous. Nous marchons vers Ferrare. Le général Salvat a trouvé à Ancône une Vénitienne égarée dont il s'est emparé, ou c'est elle qui l'a pris et le mène par le nez. Je la vois tous les jours. Elle mange avec nous. Je suis le seul qui puisse lui parler eux ne savent pas trois mots d'italien. Te dire les conversations d'elle à moi, les spropositi, les sottises qui ne finissent point ou finissent par des risate sbudellate sgangherate. Il n'est pas possible de voir une meilleure pâte de fille, une créature plus gaie, plus folle, plus ce qu'on appelle bonne enfant : son vénitien est quelque chose qui vraiment me ravit. Salvat nous gêne un peu. Il n'entend pas un mot, et veut qu'on lui explique tout. Mais les explications sont belles ! nous avons mille inventions pour le dérouter, des noms de guerre... Lui, Salvat, est stentarello; elle a baptisé le secrétaire fa la nanna, cela le peint; l'aide-de-camp, elle l'appelle madama cocola; jamais nom ne fut mieux appliqué, c'est la femme-de-charge du général Salvat : il sera maréchal du palais, si Salvat devient empereur. Du reste vivant portrait de M. Vise-au-Trou. Tout cela me divertit, et nous passons ensemble des heures sans ennui; mais j'ai peur de n'en avoir pas long-temps le plaisir, car on dit que notre

Général d'artillerie.

ménage ne plaît point du tout à Saint-Cyr, et qu'il a trouvé fort mauvais l'équipage de la princesse et les chevaux et la voiture. On est contrarié en ce monde.

Monval me quitte, et m'a conté..... affaire vive à la Caldiera. Les nôtres ont eu du dessous. D'Anthouard et Demanelle sont tués. On aura fait là quelque bêtise qui nous mettrait ici en mauvaise posture. Mais ces gens ne profitent jamais de leurs avantages; ils sont persuadés que nous devons les battre; et quand nous avons l'air de nous laisser frotter, c'est une ruse; ils nous devinent. Au reste, on ne sait rien encore : je ne serai bien informé que quand nous aurons rejoint le quartier-général. Adieu.

L'autre jour, en lisant une pétition de quelqu'un qui protestait de son dévouement à la personne de l'empereur, nous trouvâmes que cette nouvelle formule ne contient guère plus de vérité que le très-humble serviteur, et que, pour être exact, il faudrait se dire dévoué à la caisse du payeur. Qu'en penses-tu? qu'en dit madame? tu peux lui lire ceci, mais non le reste de ma lettre, elle me croirait plus vaurien que je ne suis.

[Le général Saint-Cyr était arrivé à Padoue depuis le 45 no

Le 30 octobre.

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