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trouvé un poète de mes anciens amis'. Bologne, où j'allai ensuite, est une ville vraiment belle. Les pluies qui y sont fréquentes, comme dans toute cette partie de l'Italie, n'empêchent pas qu'on ne puisse parcourir toute la ville sans être mouillé, parce que dans toutes les rues il y a des galeries latérales comme au Palais-Royal, qui, outre la commodité, forment une perspective extrêmement agréable. Je m'y arrêtai deux ou trois jours à copier des inscriptions. J'en partis le 4 octobre, et j'arrivai le II à Ancône. Je trouvai, en passant à Fano et à Sinigaglia, des inscriptions très-curieuses; mais je ne pus les copier toutes parce que la saison s'avançait, et que je craignais d'ètre arrêté par les torrens, j'attendais plus tard à passer les montagnes des Abruzzes. Après avoir traversé Lorette, j'arrivai

le

si

19 à Giulia-Nova qui est le premier village du royaume de Naples; j'y arrivai le 19 octobre; je fus fort bien logé et nourri chez les cordeliers, dont le couvent est la seule maison habitable de l'endroit : j'ai été traité de la même manière dans tout le royaume, toujours logé dans la meilleure maison et servi aussi bien que l'endroit le comportait. Tout le pays est plein de brigands par la faute du gouvernement, qui se sert d'eux pour vexer et piller ses propres sujets. J'en ai rencontré beaucoup; mais, comme ils ne voulaient pas

'Lamberti.

alors se brouiller avec l'armée française, ils me laissèrent passer. Figurez-vous que dans tout ce royaume une voiture ne peut se hasarder en campagne sans une escorte de cinquante hommes armés, qui souvent dévalisent eux-mêmes ceux qu'ils accompagnent. J'arrivai à Pescara le 20; cette ville passe pour la plus forte de cette partie du royaume de Naples, quoique la fortification en soit très-mauvaise. La maison où je fus logé avait été saccagée comme toute la ville par les bandits du cardinal Rufo, après la retraite des Français il y a cinq ans. Ceux qui se distinguerent alors par leur brigandage sont aujourd'hui les favoris du gouvernement, qui les emploie à lever des contributions. La canaille est le parti du roi, et tout propriétaire est jacobin: c'est le haro de ce pays-ci. Le 22, je fus logé à Ortona chez le comte Berardi, qui me raconta que le gouverneur de la province était un certain Carbone, d'abord maçon, puis galérien, ensuite ami du roi lors de la retraite des Français, aujourd'hui Pacha. Ce Carbone lui envoya, peu de jours avant mon arrivée, un ordre de payer douze mille ducats, environ 50,000 fr.; il en fut quitte pour la moitié. Voilà comme ce pays-ci est gouverné : c'est la reine qui mène tout cela; elle affiche la haine et le mépris pour la nation qu'elle gouverne.

Le 24, à Lanciano, je trouvai un régiment français de chasseurs à cheval: un des officiers me

vendit pour dix louis une paire de pistolets que je jugeai à propos d'ajouter à mon armement. Le colonel me donna un guide pour me rendre au Vasto; mais le guide m'égara, et nous manquâmes ètre tués dans un village dont les paysans, sortant de la messe et animés par leurs prêtres, voulurent faire la bonne oeuvre de nous assassiner. Bien m'en prit d'entendre la langue et de ne pas mettre pied à terre. Le 29, je trouvai au Vasto un petit détachement d'infanterie légère avec lequel je poussai jusqu'à Termoli; je fus logé dans la meilleure maison de ce bourg: mais au milieu de la nuit la populace vint m'arracher de mon lit, et en un moment ma chambre et toute la maison furent remplies de cette canaille armée. Ils me montrèrent un homme auquel, disaientils, un soldat avait volé son manteau; je leur demandai s'ils connaissaient le voleur; ils me dirent que oui, et qu'ils savaient la maison où il était logé ; je leur dis de m'y conduire. Arrivé à cette maison, au milieu des hurlemens, je trouvai un soldat ivre qu'on me dit être le voleur. Comme rien n'indiquait qu'il eût dérobé, je crus qu'ils prenaient ce prétexte pour nous chercher querelle, et je n'étais guère en état de leur résister, mes sept ou huit compagnons étant dispersés dans autant de maisons. Je fis entendre aux braillards que je soupçonnais quelque autre, et les priai de me conduire à la mai

son où logeaient le sergent et le caporal du détachement. Arrivé là, je les fis lever et armer, ayant l'air de les menacer; mais dans le fait je leur disais de tâcher d'assembler leurs hommes: deux qui demeuraient vis-à-vis sortirent et se joignirent à nous. Je prêchais toujours mes hurleurs, qui criaient: Mort aux jacobins ! Mais nous commencions à être en force. Enfin nous arrivâmes à une maison où logeaient deux autres soldats; l'un desquels me dit que l'homme ivre avait en effet volé un manteau, et qu'il devait l'avoir caché quelque part. Nous retournâmes à l'ivrogne, que nous trouvâmes couché sur le manteau volé. Nous soupçonnâmes que si nous ne l'avions pas trouvé d'abord, c'était parce que l'hôte avait volé le voleur, et remis ensuite le manteau sous lui, crainte des recherches: sans cela nous auríons été obligés d'en venir aux mains avec beaucoup de désavantage.

Le Vasto, dont je vous ai parlé, est un endroit assez joli au milieu d'une forêt d'oliviers: j'y logeai chez les pères della Madre di Dio. Le propriétaire auquel appartiennent tous les bourgs des environs est un grand seigneur descendant du fameux marquis del Vasto (du Guast, dans nos historiens), qui prit François Ier à Pavie. A Termoli je quittai la mer, et vins le 31 à Serra Capriola, jolie petite ville dans les terres. Là, comme on ne voulait pas loger mes chevaux avec

moi, j'essayai de faire un peu de bruit, et menaçai d'enfoncer la porte de l'écurie; mais je n'étais pas assez fort pour soutenir ce langage. L'hôte, qui paraissait un homme d'importance, me dit : J'ai là cinquante Albanais bien armés, ne nous cherchez point de querelles. Je vis en effet ces Albanais, qui sont des coupe-jarrets enrôlés; ils me servirent à table la dague au côté : ils causaient avec moi fort amicalement. On voulut m'en don

ner une escorte à mon départ, je la refusai. Ils me dirent que leur patron les payait 6 carlini - par jour, environ 55 sous de France.

J'allai le 1 novembre à San-Severino, où je logeai chez les célestins, ensuite à Foggia le 2. Je marchais au milieu de plus de cent mille moutons qui descendaient des montagnes de l'Aquila pour passer l'hiver dans les plaines de la Pouille; je causai avec leurs bergers, qui sont des espèces de sauvages. Il y avait aussi de grands troupeaux de chèvres tout cela est au roi. Mon hôte, don Celestino Bruni, me donna le lendemain 4 sa voiture, dans laquelle je vins à Civignola, où Gonsalve de Cordoue livra une fameuse bataille; je passai sur le pont que Bayard défendit seul contre les Espagnols : il est long, et si étroit que deux voitures ne peuvent y passer de front.

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Enfin le 5 novembre j'arrivai à Barletta, où je trouvai le quartier-général. C'est une ville de vingt mille ames, passablement bâtie, sans pro

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