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veau sous un titre ancien. C'est tout le contraire de ce que font les auteurs actuels. Vous m'étonnez bien davantage en m'apprenant que l'autre épisode, à la louange de la beauté, est assez connu. Je le croyais de mon invention. Du reste, toutes vos critiques sont justes, et vous avez découvert les endroits où j'ai bronché. Je ne me rends pas cependant à ce que vous dites sur le mot créature. Toutes ces fautes ne sont pas aussi aisées à corriger que vous croyez, et mon imagination refroidie ne me fournit rien qui vaille. Je ne voudrais pas qu'on jugeât par ces échantillons de ce que je puis faire aujourd'hui; car c'est, comme je vous l'ai dit, une vieille composition retouchée à froid, méthode qui ne produit rien de bon. Bref, il y a peu d'endroits où je ne voulusse rien changer c'est beaucoup qu'il se trouve làdedans quelque chose d'agréable.

a fort

Marquez-moi si je puis encore compter sur votre libraire. Il m'ennuierait fort d'en chercher un autre.

[Après avoir prolongé son congé de semestre autant qu'il lui fut possible, Courier fut enfin obligé de partir à la fin de juillet, et de se rendre à Douai, où sa compagnie avait été envoyée. Il trouva là madame Pigalle, sa cousine, dans la maison de laquelle il fut reçu comme un ami. Mais, malgré l'agrément qu'il y trouvait, il ne put tenir à Douai plus de deux mois, au bout desquels il revint à Paris.

Les généraux Duroc et Marmont s'employaient alors en sa faveur, et il dut à leur crédit d'être nommé chef d'escadron, le 27 octobre 1805. Il fallait partir sans délai et joindre à Plaisance le premier régiment d'artillerie à cheval, aux ordres du colonel d'Anthouard le déplaisir de quitter Paris fut compensé par l'idée de retourner en Italie, et l'espérance de revoir Rome, la ville de son choix; cependant il ne se pressa pas beaucoup, et n'arriva à Plaisance que le 18 mars 1804, après avoir passé un mois en Touraine.]

:

A. M. N.

A Plaisance, le . . mai 1804.

Nous venons de faire un empereur, et pour ma part je n'y ai pas nui. Voici l'histoire. Ce matin, d'Anthouard nous assemble, et nous dit de quoi il s'agissait, mais bonnement, sans préambule ni péroraison. Un empereur ou la république, lequel est le plus de votre goût? comme on dit rôti ou bouilli, potage ou soupe, que voulez-vous? Sa harangue finie, nous voilà tous à nous regarder, assis en rond. Messieurs, qu'opinez-vous? Pas le mot. Personne n'ouvre la bouche. Cela dura un quart d'heure ou plus, et devenait embarrassant pour d'Anthouard et pour

tout le monde, quand Maire, un jeune homme, un lieutenant que tu as pu voir, se lève et dit : S'il veut être empereur, qu'il le soit; mais, pour en dire mon avis, je ne le trouve pas bon du tout. Expliquez-vous, dit le colonel; voulez-vous, ne voulez-vous pas? Je ne le veux pas, répond Maire. A la bonne heure. Nouveau silence. On recommence à s'observer les uns les autres comme des gens qui se voient pour la première fois. Nous y serions encore si je n'eusse pris la parole. Messieurs, dis-je, il me semble, sauf correction, que ceci ne nous regarde pas. La nation veut un empereur, est-ce à nous d'en délibérer? Ce raisonnement parut si fort, si lumineux, si ad rem... que veux-tu, j'entrainai l'assemblée. Jamais orateur n'eut un succès si complet. On se lève, on signe, on s'en va jouer au billard. Maire me disait : Ma foi, commandant, vous parlez comme Cicéron; mais pourquoi voulez-vous donc tant qu'il soit empereur, je vous prie? Pour en finir et faire notre partie de billard. Fallait-il rester là tout le jour? Pourquoi, vous ne le voulez-vous pas? Je ne sais, me dit-il, mais je le croyais fait pour quelque chose de mieux. Voilà le propos du lieutenant, que je ne trouve point tant sot. En effet, que signifie, dis-moi....., un homme comme lui, Bonaparte, soldat, chef d'armée, le premier capitaine du monde, vouloir qu'on l'appelle majesté. Être Bonaparte, et se faire sire! I aspire à descendre: mais

non, il croit monter en s'égalant aux rois. Il aime mieux un titre qu'un nom. Pauvre homme, ses idées sont au-dessous de sa fortune. Je m'en doutai quand je le vis donner sa petite sœur à Borghèse, et croire que Borghèse lui faisait trop. d'honneur.

La sensation est faible. On ne sait pas bien encore ce que cela veut dire. On ne s'en soucie guère, et nous en parlons peu. Mais les Italiens, tu connais Mendelli, l'hôte de Demanelle. Questi son salti! questi son voli! un alfiere, un caprajo di Corsica che balza imperatore! Poffariddio, che cosa! sicchè dunque, commandante, per quel che vedo un Corso ha castrato i Francesi.

Demanelle', je crois, ne fera pas d'assemblée. Il envoie les signatures avec l'enthousiasme, le dévouement à la personne, etc.

Voilà nos nouvelles; mande-moi celles du pays où tu es, et comment la farce s'est jouée chez vous. A peu près de même sans doute.

Chacun baise en tremblant la main qui nous enchaîne...

Avec la permission du poète cela est faux. On ne tremble point. On veut de l'argent, et on ne baise que la main qui paie.

Ce César l'entendait bien mieux, et aussi c'était un autre homme. Il ne prit point de titres

• Colonel d'un régiment d'artillerie à pied.

usés, mais il fit de son nom même un titre supé

rieur à celui de roi.

Adieu, nous t'attendons ici.

A M. LEJEUNE,

A SAUMUR.

Barletta, le 24 mai 1805.

Monsieur, depuis environ six mois que je suis à cette armée, je n'ai point reçu de lettre qui m'ait fait autant de plaisir que la vôtre. Vous êtes assuré de m'en faire toujours beaucoup toutes les fois que vous me donnerez de vos nouvelles.

Ayant reçu ordre à Plaisance de me rendre ici pour commander l'artillerie à cheval de cette armée, j'achetai trois beaux et bons chevaux de selle, et je partis avec mon domestique. Je m'arrêtai quinze jours à Parme, où je trouvai une belle bibliothèque j'y travaillai sur Xénophon. Je vis la Virginie, peinte par Doyen; et ce tableau, qui n'est pas trop bon, me rappela mes anciennes études de dessin. De Parme j'allai à Modène en passant par Reggio, jolie ville où j'ai

:

L'armée française, qui occupait alors Tarente et la Pouille, commandée par le général Gouvion-Saint-Cyr.

Le 14 septembre 1804.

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