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au contraire avec une passion marquée, sous la direction d'un professeur du collége royal nommé Vauvilliers. Il eut en même temps un maître de dessin et un maitre de danse, mais ce dernier fut bientôt abandonné.

En 1789 Courier avait dix-sept ans. Sa santé était tout-à-fait affermie. Leste et infatigable, il s'adonnait avec ardeur aux exercices du corps, tels que la course ou la paume, et leur consacrait tout le temps qui n'était pas réclamé par les études.

Le 14 juillet, lors de l'enlèvement des armes aux Invalides, il se trouvait aux Champs-Élysées, jouant au ballon. La curiosité lui fit bientôt quitter sa partie, et se mêlant aux flots du peuple, il pénétra dans l'hôtel d'où il rapporta un pistolet.

Cependant son père, qui l'avait destiné à servir dans le corps du génie, lui faisait continuer l'étude des mathématiques; à M. Callet avait succédé un autre savant nommé Labbey. Le jeune élève conçut pour son nouveau professeur un attachement très-vif qui aida ses progrès; car malgré sa capacité pour ce genre d'étude, ce n'était jamais sans regret qu'il quittait les poètes et les philosophes grecs pour s'occuper d'algèbre ou de géométrie.]

A SON PÈRE,

A LANGEAIS, PRÈS TOURS,

Paris, le 29 septembre 1791.

Hier mercredi, je me suis rendu à mon ordinaire chez M. Labbey. Il a reçu en ma présence une lettre du ministre par laquelle on lui annonce que le roi vient de le nommer à la place de professeur de mathématiques dans l'école d'artillerie qui s'établit maintenant à Châlons. Il a paru assez sensible aux regrets que j'ai témoignés fort expressivement et tout aussi sincèrement de me le voir enlever. Après quelques réflexions, qui n'ont duré qu'un instant, j'ai pris sur-le-champ mon parti, et en lui faisant entendre qu'il ne m'était pas possible de me séparer de lui, je lui ai déclaré, d'un air qui n'a pas dû lui déplaire, que s'il le trouvait bon, je le suivrais partout où il irait. Il m'a répondu d'abord fort obligeamment, et m'a dit que, n'ayant ni amis ni connaissances en Champagne, il entrait dans son plan d'emmener avec lui quelqu'un de ses élèves. Nous nous sommes séparés là-dessus, et il m'a dit, en me conduisant, qu'on pourrait faire ses réflexions. Les miennes sont déjà faites, et l'ont été à l'in

stant même où j'ai su sa nomination. Rien ne serait, ce me semble, plus avantageux pour moi que de me trouver avec lui dans un pays où nous serions presque seuls, et où ses occupations lui laisseraient sans doute assez de temps pour me faire travailler utilement. Ainsi, je ne pense pas que vous blàmiez mon projet. Il est encore à remarquer que là je me trouverais nécessairement plusieurs fois sous les yeux de mes examinateurs, au centre des mathématiques, perpétuellement environné des maîtres les plus habiles et d'élèves plus ardens au travail qu'aucun de ceux que je voyais autrefois. Peut-être même que s'il se rencontrait des obstacles imprévus dans la carrière du génie, si des circonstances qui pourraient alors naître m'offraient plus d'avantages ou plus de facilités en prenant parti ailleurs, peut-être dans ce cas pourrais-je tourner mes vues d'un autre côté, et faire servir ma science à demander quelque autre place militaire; ce que je dis toutefois sans avoir changé de projet. En un mot, si vous pensez comme moi, il ne tient qu'à M. Labbey de m'emmener à Châlons.

Maintenant je sacrifie tout à mon dessein principal; mais je ne renonce pas pour cela totalement aux poètes grecs et latins. C'est un effort dont ma vertu n'est pas capable. D'un autre côté, moins je me livre à cette étude, plus aussi je le fais avec plaisir toutes les fois qu'il m'est permis de

quitter un instant les rochers d'Euclide silvestribus horrida dumis pour me promener dans des plaines semées de fleurs et entrecoupées de ruis

seaux.

[Le projet dont cette lettre rend compte fut exécuté, et Courier suivit son professeur à Châlons.]

A SA MÈRE,

A PARIS.

Chalons, le 30 mars 1793.

Vous n'avez pas d'autre parti à prendre que de vous rendre en Touraine; votre vie y sera plus heureuse qu'à Paris. Elle serait certainement pour nous trois aussi heureuse qu'elle peut l'être si nous étions réunis; mais il faut s'en interdire jusqu'à l'idée. Cependant, voici comment j'imagine que nous pourrons du moins nous voir pour quelque temps: l'examen sera indubitablement avancé, et peut-être plus qu'on ne croit; il est possible que tout soit terminé dans cinq ou six semaines; alors il dépendra de moi d'aller à Paris, j'irai vous trouver, je demanderai à être envoyé vers l'Espagne (je l'obtiendrai selon toute apparence), et, vos arrangemens étant pris,

nous partirons ensemble pour la Touraine, d'où je me rendrai, au temps prescrit, à mon régiment. Il se présente une autre manière de nous réunir, toujours dans la supposition que je serai employé sur la frontière d'Espagne : vous pouvez vous rendre la première en Touraine, et moi m'y rendre d'ici. De quelque manière que les choses tournent, il me devient nécessaire de vous embrasser l'un et l'autre avant la campagne, et j'espère que j'en viendrai à bout; mais il faut bien vous garder de venir à Châlons, où je ne pourrais passer avec vous qu'une très petite partie de la journée, sans parler des autres inconvéniens, qui sont sans nombre.

La tristesse de votre ame ne me surprend pas; il n'est personne, je crois, qui pût supporter la solitude où vous vous trouvez, jointe à une mauvaise santé. Le séjour de Paris ne conviendrait guère plus à mon père qu'à vous. J'espère être dans peu à portée de raisonner avec vous deux de tout cela. Vous savez bien que ma plus grande joie est de rencontrer des occasions de pouvoir vous procurer quelque consolation, et de répandre quelque agrément sur votre vie.

[L'époque de l'examen approchant, Courier se mit au travail, mais le temps lui manqua. Lorsque M. Delaplace en vint aux ques

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