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l'éloquence sont peut-être incompatibles; du moins je ne vois pas d'exemple d'un homine qui ait primé dans l'une et dans l'autre. Ceci a tout l'air d'un paradoxe; la chose pourtant me paraît fort aisée à expliquer, et je vous l'expliquerais par raison démonstrative, comme le maître d'armes de M. Jourdain, si je vous adressais une dissertation et non pas ma lettre, et si je n'avais plus envie de savoir votre opinion que de vous prouver la mienne. Au reste, l'histoire du manuscrit prétendu trouvé parmi ceux d'Herculanum n'est pas moins pitoyable que l'ouvrage même. Tout cela prouve qu'il faut au public des livres nouveaux (car celui-ci n'a pas laissé d'avoir quelque succès), et que notre siècle manque non de lecteurs mais d'auteurs, ce qui peut se dire de tous les autres arts.

Puisque me voilà sur cet article, je veux vous bailler ici quelque petite signifiance de ce que j'ai remarqué de la littérature actuelle pendant mon séjour à Paris. Je me suis rencontré quelquefois avec M. Legouvé, dont le nom vous est connu. Je lui ai ouï dire des choses qui m'ont étonné à propos d'une pièce dont on donnait alors les premières représentations. Par exemple, il approuvait fort ce vers prononcé par un amant qui, ayant cru d'abord sa maîtresse infidèle, se rassurait sur les sermens qu'elle lui faisait du contraire :

Hélas! je te crois plus que la vérité même.

Cette pensée, si c'en est une, fut extrêmement applaudie, non-seulement par M. Legouvé, mais par tous les spectateurs, sans m'en excepter. Je sus bon gré à l'auteur d'avoir voulu enchérir sur cette expression naturelle, mais déjà hyperbolique, je t'en crois plus que moi-même, plus que mes propres yeux, et je compris d'abord qu'il ne serait pas facile à ceux qui voudraient quelque jour pousser plus loin cette idée de dire quelque chose de plus fort. Mais M. Legouvé me fit remarquer que, comme on ne croit pas toujours la vérité, mais ce qu'on prend pour elle, l'auteur, qui est un de ses amis, eût bien voulu dire, je te crois plus que l'évidence, mais qu'il n'avait pu réussir à concilier ce sens avec la mesure de ses vers. Je me rappelai alors une historiette où la même pensée se trouve bien moins subtilisée ou volatilisée, comme parlent les chimistes; il s'agit pareillement d'une amante et d'un amant : la première, infidèle, et surprise dans un état qui ne permettait pas d'en douter, nie le fait effrontément. Mais, dit l'autre, ce que je vois.... - Ah! cruel, répond la dame, tu ne m'aimes plus! si tu m'aimais, tu m'en croirais plutôt que tes yeux!

Cette pièce, dont je vis avec M. Legouvé la première représentation, était intitulée: Blanche et Montcassin. Je voudrais pouvoir vous dire toutes les remarques qu'il nous fit faire. Je vis bien alors, et depuis je l'ai encore mieux connu,

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que ses idées sont tout-à-fait dans le goût, je veux dire dans le genre à la mode, et je ne doute pas que ce genre ne règne dans ses ouvrages, lesquels d'ailleurs je n'ai point lus.

On me mena peu de temps après à une autre pièce, que peut-être vous connaissez, Macbeth, de Ducis, imitée, à ce que je crois, de Shakspeare, et toute remplie de ces beautés inconnues à nos ancêtres. Je vis là sur la scène ce que Racine a mis en récit,

Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux, et ce qu'il n'a mis nulle part, des sorcières, des rêves, des assassinats, une femme somnambule qui égorge un enfant presque aux yeux des spectateurs, un cadavre à demi découvert et des draps ensanglantés; tout cela, rendu par des acteurs dignes de leur rôle, faisait compassion à voir, selon le mot de Philoxene. Je n'ai pas assez l'usage de la langue moderne et des expressions qu'on emploie en pareil cas pour vous donner une idée des talens que tout Paris idolâtre dans Talma. C'est un acteur dont sans doute vous aurez entendu parler. J'ai senti parfaitement combien son jeu était convenable aux rôles qu'il remplit dans les pièces dont je vous parle. Partout où il faut de la force et du sentiment, je vous jure qu'il ne s'épargne pas; et dans les endroits qui ne demandent que du naturel, vous

croyez voir un homme qui dit : Nicole, apportemoi mes pantoufles; en quoi il suit ses auteurs, et me paraît à leur niveau. On a en effet aboli ces anciennes lois : Le style le moins noble.....

(Le reste manque.)

[Courier était arrivé à Rome à la fin de l'année 1798, peu de jours après la retraite de l'arinée napolitaine; il y fut laissé pour le service de l'artillerie, auquel, si on en juge d'après les lettres qui précèdent, il n'était cependant pas obligé de consacrer tout son temps.

Cependant la forteresse de Civita-Vecchia, qui avait relevé l'étendard papal pendant la courte occupation de Rome par les Napolitains, refusait de se soumettre, et soutenait depuis plus d'un mois une espèce de blocus. On résolut enfin d'employer la force pour la réduire, et Courier y marcha à la fin de février 1799 avec quelques canons; à peine arrivé, il fut envoyé avec un officier de dragons et un trompette pour faire aux habitans insurgés une dernière somination. La facilité avec laquelle il s'exprimait en italien lui avait valu cette commission, dont il comptait d'ailleurs profiter pour s'approcher sans péril de la place, et la mieux reconnaître. Les trois cavaliers étaient à peu de distance de la porte lorsque Courier s'aperçut qu'un rouleau de louis qu'il portait dans la poche de son habit y avait fait trou, et ne s'y trouvait plus. Il mit pied à terre pour le chercher, et après quelques perquisitions. inutiles il allait remonter à cheval pour rejoindre ses compagnons, lorsqu'il entendit le bruit d'une décharge de fusils, et vit bientôt ac

courir à lui le trompette tout seul : l'officier avait été tué. Il ne s'arrêta pas un instant de plus pour chercher son argent, et se consola bientôt d'une perte à laquelle peut-être il devait la conservation de sa vie. Enfin le 3 mars, à trois heures du matin, on tenta d'enlever Civita-Vecchia de vive force et escalade; cette entreprise ne réussit pas, mais elle servit du moins à intimider les assieges, qui se rendirent le 10 par capitulation.

Courier, de retour à Rome, fut logé chez un vieux seigneur du nom de Chiaramonte, qui le prit en amitié; il donnait à cette société une partie de ses soirées seulement, car le temps dont il pouvait disposer pendant le jour, il le passait à la bibliothèque du Vatican.

Cependant, l'armée qui avait conquis Naples se repliit vers le nord de l'Italie sous la conduite de Macdonald, et ses derniers bataillons traversaient Rome le 18 mai. Il restait à peine six mille Français, aux ordres du général Garnier, pour la défense de la nouvelle république romaine. Ces troupes se soutinrent pendant quatre mois contre tous les efforts des insurgés, des Napolitains et des Autrichiens meme; mais il fallut enfin céder, et consentir à un arrangement d'après lequel elles furent transportées en France. Le 29 septembre, les Français se retirèrent au château Saint-Ange, et les Napolitains prirent possession de Rome. Courier voulut faire ses adieux à la bibliothèque du Vatican, et n'en sortit qu'à la nuit, lorsqu'il ne restait plus un seul Français dans la ville. Il fut reconnu à la lumière d'une lampe allumée devant une madone on cria sur lui au Giaccobino, et un misérable lui tira un coup de fusil. La balle ne le toucha pas; mais ricochant contre la muraille, elle alla frapper une femme qui marchait à quelque distance en avant. Les cris de celle-ci firent une espèce de diversion dont il profita pour prendre la fuite et se réfugier dans son logement, qui était peu éloigné; il y passa la nuit, et le lende

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