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tions d'hydrostatique, il lui répondit naïvement: Monsieur, je ne sais rien sur cette matière, mais si vous m'accordez quelques jours je m'en informerai. Ce peu de temps passé, il se présenta de nouveau, et donna à l'examinateur une si haute idée de son intelligence qu'il en obtint d'être classé avantageusement parmi les autres élèves. Nommé lieutenant à la date du 1er juin 1795, il vint d'abord pour embrasser ses parens, et se rendit ensuite à Thionville, où sa compagnie tenait garnison.

Au mois d'août de 1792, M. Courier subit un premier examen, à la suite duquel il fut admis en qualité d'élève sous-lieutenant d'artillerie à la date du 1er septembre.

Mais l'extrême agitation qui régnait alors à Châlons par l'effet de la présence de l'armée du roi de Prusse dans le voisinage, avait interrompu le cours des études; les élèves étaient employés à la garde des portes de la ville, où on avait placé quelques pièces de canon. Ce ne fut donc qu'au mois d'octobre et après la retraite des ennemis que l'école reprit son régime habituel.

M. Courier ne s'y distingua pas par son application : les auteurs grecs avaient repris sur lui tout leur empire, et les mathématiques étaient abandonnées; la discipline de l'école paraissait d'ailleurs fort dure à un jeune homme vif et passionné, qui jusque-là avait joui d'une liberté presque entière, et n'avait même jamais été renfermé dans un collége. Aussi lui arriva-t-il souvent d'oublier le soir l'heure à laquelle les portes de l'école se fermaient, et d'y rentrer en grimpant par-dessus les murs.]

A SA MÈRE,

A PARIS.

Thionville, le 10 septembre 1793.

Toutes vos lettres me font plaisir et beaucoup, mais non pas toutes autant que la dernière, parce qu'elles ne sont pas toutes aussi longues, et parce que vous m'y racontez en détail votre vie et ce que vous faites. C'est une vraie pâture pour moi que ces petites narrations dans lesquelles il ne peut guère arriver que je n'entre pour beaucoup.

Il n'y a aucune apparence qu'on nous tire d'ici cette année ni peut-être la suivante, en sorte que je n'en partirai que quand je me trouverai lieutenant en premier; car il me faudra peut-être passer dans une autre compagnie. Ce qu'à Dieu ne plaise.

Mon camarade est employé à Metz aux ouvrages de l'arsenal. Il m'a quitté ce matin, et son absence, qui cependant ne saurait être longue, me donne tant de goût pour la solitude, que je suis déjà tenté de me chercher un logement particulier. Mon travail souffre un peu de notre société, et c'est le seul motif qui puisse m'engager à la rompre; car du reste je me suis

fait une étude et un mérite de supporter en lui une humeur fort inégale, qui, avant moi, a lassé tous ses autres camarades. J'ai fait presque comme Socrate, qui avait pris une femme acariâtre pour s'exercer à la patience, pratique assurément fort salutaire, et dont j'avais moins besoin que bien des gens ne le croient, moins que je ne l'ai cru moi-même. Quoi qu'il en soit, je puis certifier à tout le monde que mon susdit compagnon a, dans un degré éminent, toutes les qualités requises pour faire faire de grands progrès dans cette vertu à ceux qui vivront avec lui.

Si vous n'avez pas encore fait partir mes livres qui sont achetés, joignez-y celui-ci, qui me sera fort utile, à ce que me disent les ingénieurs d'ici, OEuvres diverses de Bélidor sur le génie et l'artillerie. Ces ingénieurs sont de rudes gens : ils ont en manuscrit des ouvrages excellens sur leur métier; je les ai priés de me les communiquer, ils m'ont refusé sous de mauvais prétextes; ils craignent apparemment que quelqu'un n'en sache autant qu'eux.

Cherchez parmi mes livres deux volumes in-8°, c'est-à-dire du format de l'Almanach royal, brochés en carton vert; l'un est tout plein de grec et l'autre de latin: c'est un Démosthènes qu'il faut m'envoyer avec les autres livres. Ces deux volumes sont assez gros l'un et l'autre, et assez sales aussi.

Mes livres font ma joie, et presque ma seule société. Je ne m'ennuie que quand on me force à les quitter, et je les retrouve toujours avec plaisir. J'aime surtout à relire ceux que j'ai déjà lus nombre de fois, et par là j'acquiers une érudition moins étendue, mais plus solide. A la vérité, je n'aurai jamais une grande connaissance de l'histoire, qui exige bien plus de lectures; mais je gagnerai autre chose qui vaut autant, selon moi, et que je n'ai guère l'envie de vous expliquer, car je ne finirais pas si je me laissais aller à je ne sais quelle pente qui me porte à parler de mes études. Je dois pourtant ajouter qu'il manque à tout cela une chose dont la privation suffit presque pour en ôter tout l'agrément à moi qui sais ce que c'est ; je veux parler de cette vie tranquille que je menais auprès de vous. Babil de femmes, folies de jeunesse, qu'êtes-vous en comparaison! Je puis dire ce qui en est, moi qui, connaissant l'un et l'autre, n'ai jamais regretté, dans mes momens de tristesse, que le sourire de mes parens, pour me servir des expressions d'un poète.

A SA MÈRE,

A PARIS.

Thionville, le 6 octobre 1793.

Je viens de recevoir une lettre qui m'apprend que je vais être bientôt premier lieutenant. Je n'ai donc plus que six semaines ou deux mois à rester ici. La saison sera bien avancée alors, et, selon toute apparence, la compagnie où j'irai sera en quartier d'hiver, ce qui me console un peu de me voir arraché d'ici. Si la chose tournait autrement, et qu'il me fallût camper au milieu de l'hiver, comme cela est possible, ce serait pour moi un apprentissage un peu rude.

J'ai reçu, il y a quelques jours, la caisse que vos lettres me promettaient. Tout y est admirablement bien. Mon camarade, qui assistait à l'ouverture, fut d'abord comme moi surpris de la beauté des étoffes. A mesure que nous avancions, ses éloges augmentaient; les livres en eurent leur part. C'était bien, quant à moi, ce que j'estimais le plus. Mais lorsque nous en vînmes aux rubans et aux autres petits paquets, dont il y avait un grand nombre, tous accompagnés de billets, et arrangés de manière qu'un aveugle y eût reconnu, je crois, la main maternelle, nos réflexions à tous les deux

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