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CÉLIMÈNE.

Ne vous emportez pas,

Et courez démêler un pareil embarras.

ALCESTE.

Il semble que le sort, quelque soin que je prenne,
Ait juré d'empêcher que je vous entretienne;
Mais pour en triompher, souffrez à mon amour
De vous revoir, madame, avant la fin du jour.

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

ACTE V.

SCÈNE I.

ALCESTE, PHILINTE

ALCESTE.

LA résolution en est prise, vous dis-je.

PHILINTE

Mais, quel que soit ce coup, faut-il qu'il vous oblige....

ALCESTE.

Non, vous avez beau faire, et beau me raisonner,
Rien, de ce que je dis, ne me peut détourner;
Trop de perversité règne au siècle où nous sommes,
Et je veux me tirer du commerce des hommes.
Quoi! contre ma partie on voit tout à la fois,
L'honneur, la probité, la pudeur et les lois;
On publie en tous lieux l'équité de ma cause,
Sur la foi de mon droit mon âme se repose;
Cependant, je me vois trompé par le succès,
J'ai
pour moi la justice, et je perds mon procès!
Un traître, dont on sait la scandaleuse histoire,
Est sorti triomphant d'une fausseté noire!

Toute la bonne foi cède à sa trahison!

Il trouve, en m'égorgeant, moyen d'avoir raison! Le poids de sa grimace, où brille l'artifice, Renverse le bon droit et tourne la justice!

Il fait, par un arrêt, couronner son forfait;
Et, non content encor du tort que l'on me fait,
Il court, parmi le monde, un livre abominable,
Et de qui la lecture est même condamnable,
Un livre à mériter la dernière rigueur,

Dont le fourbe a le front de me faire l'auteur!
Et là-dessus on voit Oronte qui murmure,
Et tâche, méchamment, d'appuyer l'imposture!
Lui, qui d'un honnête homme à la cour tient le rang,
A qui je n'ai rien fait qu'être sincère et franc;
Qui me vient, malgré moi, d'une ardeur empressée,
Sur des vers qu'il a faits, demander ma pensée;
Et, parce que j'en use avec honnêteté,

Et ne le veux trahir, lui, ni la vérité,
Il aide à m'accabler d'un crime imaginaire!
Le voilà devenu mon plus grand adversaire!
Et jamais de son cœur je n'aurai de pardon,
Pour n'avoir pas trouvé que son sonnet fût bon!
Et les hommes, morbleu, sont faits de cette sorte!
C'est à ces actions que la gloire les porte!
Voilà la bonne foi, le zèle vertueux,

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La justice et l'honneur que l'on trouve chez eux! Allons, c'est trop souffrir les chagrins qu'on nous forge, Tirons-nous de ce bois et de ce coupe-gorge.

Puisqu'entre humains ainsi vous vivez en vrais loups, Traîtres, vous ne m'aurez de ma vie avec vous.

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Je trouve un peu bien prompt le dessein où vous êtes, Et tout le mal n'est pas si grand que vous le faites. Ce que votre partie ose vous imputer

N'a point eu le crédit de vous faire arrêter;
On voit son faux rapport lui-même se détruire,
Et c'est une action qui pourroit bien lui nuire.

ALCESTE.

Lui? De semblables tours il ne craint point l'éclat,
Il a permission d'être franc scélérat;

Et, loin qu'à son crédit nuise cette aventure,
On l'en verra demain en meilleure posture.

PHILINTE

Enfin, il est constant qu'on n'a pas trop donné
Au bruit que, contre vous, sa malice a tourné;
De ce côté déjà vous n'avez rien à craindre;
Et pour votre procès, dont vous pouvez vous plaindre,
Il vous est, en justice, aisé d'y revenir,

Et contre cet arrêt....

ALCESTE.

Non, je veux m'y tenir. Quelque sensible tort qu'un tel arrêt me fasse, Je me garderai bien de vouloir qu'on le casse; On y voit trop à plein le bon droit maltraité, Et je veux qu'il demeure à la postérité, Comme une marque insigne, un fameux témoignage De la méchanceté des hommes de notre âge. Ce sont vingt mille francs qu'il m'en pourra coûter; Mais pour vingt mille francs j'aurai droit de pester Contre l'iniquité de la nature humaine,

Et de nourrir pour elle une immortelle haine.

PHILINTE.

Mais enfin....

ALCESTE.

Mais enfin, vos soins sont superflus; Que pouvez-vous, monsieur, me dire là-dessus? Aurez-vous bien le front de me vouloir, en face, Excuser les horreurs de tout ce qui se passe?

PHILINTE.

Non, je tombe d'accord de tout ce qu'il vous plaît ; Tout marche par cabale, et par pur intérêt;

Ce n'est plus que la ruse, aujourd'hui, qui l'emporte, Et les hommes devroient être faits d'autre sorte. Mais est-ce une raison que leur

peu d'équité,

Pour vouloir se tirer de leur société ?

Tous ces défauts humains nous donnent, dans la vie, Des moyens d'exercer notre philosophie.

C'est le plus bel emploi que trouve la vertu ;

Et si de probité tout étoit revêtu,

Si tous les cœurs étoient francs, justes et dociles,
La plupart des vertus nous seroient inutiles,
Puisqu'on en met. l'usage à pouvoir, sans ennui,
Supporter dans nos droits l'injustice d'autrui;
Et, de même qu'un cœur d'une vertu profonde....

ALCESTE.

Je sais que vous parlez, monsieur, le mieux du monde.
En beaux raisonnemens vous abondez toujours;
Mais vous perdez le temps, et tous vos beaux discours.
La raison, pour mon bien, veut que je me retire,
Je n'ai point sur ma langue un assez grand empire;
De ce que je dirois je ne répondrois pas,
Et je me jetterois cent choses sur les bras.
Laissez-moi, sans dispute, attendre Célimène.

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