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réussi, mais aussi rien n'a complétement échoué. Ce ne sont que des palliatifs, mais enfin ce sont des palliatifs. Lequel faut-il employer cette fois? On n'en sait rien encore. et on attend. Le gouvernement ne prendra un parti que lorsqu'il y sera forcé par les événements et qu'une opinion publique quelconque sera formée en Angleterre sur la question. >>

On le voit, le temps a été mis à profit; cet esprit curieux s'est informé de tout avec une précipitation en quelque sorte naïve; et ceux qui depuis ont visité le pays ont pu reconnaître leurs propres impressions dans ces lignes auxquelles l'habitude de se contraindre n'avait pas encore enlevé leur première fleur. Le ciel est sombre, la ville est accablante par son immensité, étourdissante par l'activité fiévreuse de certains quartiers. Les maisons sont laides au dehors, mais le bien-être vous envahit dès qu'on y entre. Il y manque cependant quelque chose, il semble. que la tristesse de la rue s'y soit glissée à votre suite, qu'est-ce donc? Eh! mon Dieu, toujours la même chose, l'absence de lumière, rien n'est là pour réfléchir et animer, pour ainsi dire, cet intérieur si gracieux, il manque des glaces. Et ainsi de tout. C'est encore l'homme du Midi, l'homme de la lumière, l'homme de la conversation qui aux surprises vile connues du parc anglais préfère les longues allées du jardin français où, en jouissant inconsciemment de l'air pur et de la fraîcheur, on peut suivre d'attachantes causeries sans qu'un rayon de soleil vienne vous éblouir tout à coup, sans que votre pied vienne buter contre un rocher factice ou se tremper dans un torrent au lit soigneusement cimenté.

On aime ces appréciations sans parti pris; on les retrouve avec plaisir en ce qui touche la littérature, l'art et le théâtre. Tout cela lui a semblé languissant et il l'a dit comme il le pensait. Que d'autres y eûssent rencontré des beautés incompréhensibles à quiconque n'avait pas comme eux cet avantage rare d'avoir traversé la Manche. Admirateur passionné de Shakespeare, il a été entraîné, par sa

ferveur même, à craindre que Macready restât, comme Garrick, sans successeur dans sa tentative pour faire revivre tant de chefs-d'œuvre. Dix ans ne s'étaient pas écoulés que partout où résonnait la langue anglaise, on courait avec enthousiasme entendre ce merveilleux répertoire. Il pensait aussi que cette partie fantastique si charmante qui comprend la Tempête et le Songe d'une nuit d'été ne saurait se passer des prestiges de la scène. Que n'a-t-il entendu miss Fanny Kemble lire sans appareil, sans gestes, devant un auditoire recueilli! Cette voix touchante en caressant l'oreille évoquait bien plus sûrement que tous nos grossiers artifices les ravissantes visions du poète, elle prêtait à la langue sifflante et saccadée de nos voisins une douceur surpassant la mystérieuse harmonie que le même sujet avait inspiré à Mendelsohn.

En dehors des appréhensions nées d'un sentiment artistique exquis, tout a subsisté de ce qu'il écrivait à propos d'une fugitive excursion.

L'Italie l'a bien moins intéressé, il l'a bien vue, mais. sans l'étudier aussi curieusement, ce n'est que par épisode qu'il en parle.

« Tu sais combien l'aspect de la campagne de Rome fait. d'impression sur moi. Je n'ai pu revoir de sang froid cette plaine onduleuse comme une mer aux grandes vagues qui aurait été fixée par quelque pouvoir surnaturel, et qui serait restée infertile et maudite. Je ne puis me défendre d'une horreur secrète devant ce spectacle de mort. II. a fallu bien des ravages, bien des guerres civiles, pour réduire ces champs immenses à un tel état de dépopulation et de stérilité; mais enfin tout à péri, et la puissancede vie elle-même semble s'être retirée. De quel épouvantable pouvoir de destruction l'homme est armé contre luimême. Il peut parvenir à force de persévérance et de colère à fermer même le sein de la terre et à rendre l'air mortel.

« Dès qu'on arrive au pied des Apennins, tout change. Autant la campagne de Rome est inculte et inhabitée, au

tant la vallée où l'on entre au sortir de la plaine est riche, fertile et charmante. De beaux arbres, comme je n'en ai vu qu'en Italie et dans les tableaux de Cl. Lorrain, font de la route une allée. Des deux côtés sont des champs aussi bien cultivés que ceux que tu peux voir de ta fenêtre, dans ton manoir de Normandie. Des pentes abruptes et couvertes d'une végétation vigoureuse s'élèvent comme des murs de verdure et bornent le regard, qui s'égarait en liberté un moment auparavant sur une plage infinie. Rien de plus calme, de plus frais, de plus heureux. On se dit en y passant ce qu'on dit à tout moment dans cette belle Italie! C'est là que je voudrais m'arrêter et vivre. Et on ne s'arrête pas plus là que dans la vie, quoiqu'on le puisse davantage! >>

Ces lignes datent de 1848, et il est assez curieux de voir que le coup d'œil purement artistique y laissait déjà place à des vues plus positives, alors qu'il n'était encore aucunement question de l'enseignement agricole. Peut-être cette façon d'envisager la campagne venait-elle du voyage fait en Algérie. Le seul intérêt que pourrait prendre un grand propriétaire à la culture des pays qu'il traverse ne l'eût pas porté à en écrire.

Le voyage en Algérie a inspiré, comme toujours, un article de la Revue, puis un chapitre du livre sur l'Économie rurale de la France. L'un et l'autre ont un fonds commun, mais le premier, paru en mai 1848, est plus particulièrement politique. L'auteur applaudit à la conquête, seul moyen d'écraser la piraterie barbaresque, cette honte des puissances chrétiennes, mais il lui semble qu'on ne sau rait la restreindre dans des bornes trop étroites. D'après lui il suffirait de s'établir dans les villes, de développer les relations avec les indigènes en les laissant s'organiser comme bon leur semblerait, d'occuper les plus remuants en les prenant à la solde de la France, puis de donner au pays liberté entière pour choisir sa constitution, disposer de ses ressources, entreprendre ses grands travaux d'intérêt général; la métropole n'accorderait que la protection armée.

La répugnance à toute action gouvernementale, surtout après les tentatives colonisatrices de 1848, est poussée fort loin. L'Angleterre, qu'on proposait manifestement comme modèle, a fait une chose dans les Indes, une autre au Canada, elle n'a pas appliqué les deux systèmes à un même pays; elle a été sage, voyons-nous cependant qu'elle ait réussi à se renfermer derrière l'Himalaya, sans parler des aventures équivoques du Transvaal?

Quand, désireux, comme tous ses collègues, comme tous ses élèves, de montrer par des œuvres la fausseté du prétexte invoqué pour détruire l'Institut de Versailles, il repassait la Manche en quête d'un sujet intéressant, quelle différence pour lui entre ce voyage et celui de 1843! En moins de quatre ans il avait vu deux fois les troubles politiques de la France renverser les positions qu'il s'était faites si laborieusement; pourquoi s'étonner si cette Angleterre, où pareils soubresauts sont depuis longtemps inconnus, revêtait une partie du charme couvrant autrefois la patrie. N'en était-il pas arrivé autant à ce Voltaire qu'il connaissait si bien et qu'il aimait tant à citer? Qu'à cette disposition on joigne l'accueil hospitalier que les Anglais réservent à quiconque leur est une fois présenté, on verra que l'admiration devenait facile, la critique moins commode. D'ailleurs la bienveillance, pourvu qu'elle ne tombe pas dans une niaise confiance,- et il n'y avait pas ceci à craindre avec M. de Lavergne, est plus favorable pour bien observer un pays qu'un parti pris de dénigrement.

Au retour il écrivit ces neuf articles qui, du 15 jan vier 1853 au 1er février 1854, passèrent en revue l'Économie rurale du Royaume-Uni. Réunis en un volume, ils eurent une vogue extraordinaire, ils furent traduits dans toutes les langues de l'Europe et donnèrent naissance à toute une littérature ayant cours parmi les gens du monde étonnés de l'intérêt qui s'attache aux choses de l'agriculture.

Avant cela les adeptes seuls étudiaient les ouvrages où les préceptes de l'art étaient exposés en phrases senten

cieuses surchargées de termes du métier. Quelques curieux de notre vieille langue se hasardaient à lire l'admirable Théâtre de l'agriculture et ménage des champs d'Olivier de Serres pour les autres, autant eût valu leur demander de traduire les Scriptores rei rusticæ ou le Prædium rusticum du P. Vanière que de feuilleter Mathieu de Dombasle, si remarquable cependant par sa netteté et sa simplicité presque élégante.

La plupart des livres faits d'après ce modèle et qui lui empruntèrent jusqu'à son titre sont des plus recommandables, une partie de la louange qui leur est due remonte bien justement à celui qui a suscité leur publication en inaugurant un genre aussi solide qu'attachant.

La Société centrale d'agriculture de France lui donna, le 15 mars 1854, la place laissée vacante par le passage de M. Louis Vilmorin de la section de grande culture à la section des cultures spéciales. La « Royal agricultural Society of England » le nomma membre honoraire. Enfin l'Académie des sciences morales et politiques l'appela en 1855 à succéder à son ami Léon Faucher qui lui aussi devait ce titre à de magnifique études sur l'Angleterre. Il ne lui manquait plus que d'entrer à l'Académie française, un illustre patronage l'y conviait, il crut devoir s'effacer par condescendance envers des personnes considérables, il laissa passer l'occasion qu'il ne retrouva jamais plus.

L'exposition de 1855 l'invita à reprendre la plume, il en résulta plusieurs articles de la Revue des Deux-Mondes qui formèrent en 1855 l'ouvrage intitulé: l'Agriculture et la Population. Six autres articles parus entre le 1er juillet 1861 et le 15 janvier 1863 formèrent les Assemblées provinciales. En 1860, il avait rédigé, sur la demande de l'Académie des sciences morales et politiques, l'Economie rurale de la France depuis 1789. Les recherches au sujet des deux derniers ouvrages lui firent entreprendre la publication de notices sur divers économistes tant français qu'étrangers de la fin du dix-huitième siècle.

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