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La propriété rurale anglaise était, il est vrai, affranchie en partie d'une charge qui atteint largement la terre en France, l'impôt sur les successions, les mutations et les hypothèques; mais cette franchise, qui n'était réelle que pour les terres de franc-alleu ou freeholds, et qui manquait aux terres soumises aux droits seigneuriaux ou copyholds, vient d'être fortement réduite par une législation nouvelle : elle perd d'ailleurs beaucoup de son importance, quand on songe aux frais de tout genre qu'entraîne l'incertitude de la propriété anglaise en l'absence d'un bon système d'enregistrement.

Voilà donc un premier résultat de cette grande production anglaise, l'élévation possible de l'impôt. Je ne m'arrêterai pas à montrer la richesse qui en résulte pour le pays en général et pour l'agriculture ellemême, qui profite la première des dépenses faites avec son argent. Il est bien évident que, si la propriété rurale française pouvait payer plus d'impôt, ou en d'autres termes consacrer beaucoup plus d'argent à des dépenses d'intérêt commun, la face de nos campagnes changerait bien vite elles se couvriraient de chemins ruraux, de ponts, d'aqueducs, de travaux d'art, qui leur manquent aujourd'hui faute de fonds, et qui abondent chez nos voisins.

Après l'impôt viennent les frais accessoires de la culture tels sont les achats d'engrais artificiels, l'entretien des machines aratoires, les renouvellements de semences et d'animaux reproducteurs, etc.; c'est tout au plus si le cultivateur français peut consacrer en moyenne 4 ou 5 francs par hectare à ces dépenses si productives, tandis qu'on ne pouvait pas les évaluer, même avant 1848, à moins de 25 francs par hectare en moyenne pour tout le Royaume-Uni, et à moins de

50 francs pour l'Angleterre proprement dite. C'est, comme on voit, de huit à dix fois plus qu'en France, même avec la réduction de 20 pour 100. Tel est le second effet de cette production supérieure, plus on produit, plus on peut consacrer de ressources à l'accroissement de la production, et la richesse se multiplie par elle-même.

Malgré cette part faite à l'impôt et aux frais accessoires, quand ce qui reste du produit brut se divisait entre ceux qui avaient concouru à le former par leur capital, leur intelligence et leurs bras, la part, qui revenait à chacun d'eux, était plus grande en Angleterre qu'en France.

D'abord la rente du propriétaire ou le revenu du capital foncier. L'idée de la rente n'est pas aussi généralement dégagée en France qu'en Angleterre: elle se confond avec le profit de l'exploitant et le revenu du capital d'exploitation, quand le propriétaire dirige luimême la culture, et même avec le salaire proprement dit, quand il cultive son bien de ses propres mains. On peut cependant évaluer à 50 francs par hectare la rente moyenne des terres en France, c'est-à-dire le revenu net du capital foncier, déduction faite de tout revenu du capital d'exploitation, de tout salaire et de tout profit, soit en tout 1,500 millions pour nos 50 millions d'hectares cultivés ou non.

On sait plus exactement, par suite de l'organisation de la culture anglaise, qui sépare presque toujours la propriété de l'exploitation, quelle était avant 1848 la rente des propriétés rurales dans les diverses parties du Royaume-Uni.

Le minimum de la rente se trouve à l'extrémité nord de l'Écosse, dans le comté de Sutherland et dans les îles voisines, où elle descend jusqu'à 1 franc 25 centimes

par

hectare de valeur nominale, soit 1 franc de valeur comparative. L'ensemble des highlands, qui comprend, avons-nous dit, bien près de 4 millions d'hectares, ne rapporte en moyenne que 3 francs par hectare à ses propriétaires. Le maximum est obtenu dans quelques prairies des environs de Londres et d'Édimbourg, qui se louent jusqu'à 2,000 francs l'hectare; les rentes de 500 francs, 300 francs, 200 francs ne sont pas rares dans les Lothians et dans les parties de l'Angleterre qui avoisinent les grandes villes. Toute la partie centrale de l'île, qui comprend, outre le comté de Leicester, le plus central de tous, ceux qui l'environnent, rapporte en moyenne 100 fr. par hectare; c'est sans comparaison la région la plus riche des trois royaumes. A mesure qu'on s'éloigne de ce cœur du pays, la rente descend; au sud, elle tombe en moyenne, dans les comtés de Sussex, de Surrey et de Hants, à 50 francs l'hectare, au nord, dans ceux de Cumberland et de Westmoreland, à 30 francs; à l'ouest, dans les mauvaises parties du royaume de Galles, à 10. Pour l'Angleterre entière, la moyenne est de 75 francs.

Dans la basse Écosse, le million d'hectares qui entoure les deux embouchures du Forth et du Tay rapporte presque autant que le comté de Leicester et ses annexes; mais, à mesure qu'on s'éloigne de ces terres privilégiées, la rente descend, et la moyenne de la basse Écosse est égale en somme à celle de ses voisins d'Angleterre, les comtés de Cumberland, de Westmoreland et le pays de Galles.

En Irlande, nous trouvons dans le comté de Meath, en Leinster, et dans les comtés annexes de Louth et de Dublin, un autre million d'hectares dont la rente est aussi élevée que dans le centre de l'Angleterre, mais nous trouvons en même temps dans les montagnes de

l'ouest et dans le Connaught tout entier une moyenne beaucoup plus basse.

En résumé, en adoptant pour la classification des rentes les mêmes divisions que pour l'appréciation générale du produit brut, voici le résultat qu'on obtient :

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Tous ces chiffres doivent être réduits de 30 pour 100, d'après la base que nous avons adoptée; ils deviennent alors les suivants :

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En France, dans le département du Nord, la rente atteint en moyenne 100 francs l'hectare, ce qui le maintient au niveau et même au-dessus des meilleurs comtés anglais. Dans ceux qui le touchent de plus près, elle arrive encore à 80 francs, et elle descend progressivement jusqu'aux départements de la Lozère et des Hautes et Basses-Alpes, où elle tombe à 10. Dans l'île de Corse, elle est tout au plus de 3, comme dans les highlands d'Écosse.

En second lieu, le bénéfice des exploitants. On l'évaluait généralement en Angleterre à la moitié de la rente, soit 25 francs par hectare pour tout le RoyaumeUni ou en valeur réduite 20 francs. Cette richesse se divise en deux parts: le revenu des capitaux engagés

dans la culture, et le profit proprement dit, ou la rémunération de l'industrie agricole. Le revenu des capitaux étant évalué à 5 pour 100, la part du profit doit être égale, ce qui porte à 10 pour 100 le revenu du capital engagé. Le capital d'exploitation devait être alors, pour les trois royaumes, de 250 francs par hectare en moyenne ou 200 francs de valeur réduite. Ce capital appartenant presque universellement à des fermiers, c'est à eux que revenait à peu près en totalité cette part de produit brut. Dans l'Angleterre proprement dite, le revenu moyen des fermiers devait être de 40 francs par hectare en valeur nominale, ce qui supposait un capital d'exploitation de 400 francs, ou en valeur réduite 320.

En France, c'est tout au plus si l'équivalent de ce bénéfice s'élève à 10 francs par hectare, c'est-à-dire à la moitié de la moyenne du Royaume-Uni et au tiers de celle de l'Angleterre proprement dite. Il n'y a que le nord de l'Écosse et l'ouest de l'Irlande qui soient audessous de la moyenne française; le reste est généralement au-dessus. Il est, d'ailleurs, aussi difficile de distinguer en France le bénéfice que la rente. Un quart seulement du sol est affermé, et, dans les trois autres quarts, le bénéfice se confond, soit avec la rente, soit avec le salaire. En somme la moyenne du capital d'exploitation peut être évaluée chez nous à 100 francs l'hectare. Voilà une des plus grandes causes de notre infériorité, car, en agriculture, comme dans toute espèce d'industrie, le capital d'exploitation est un des agents principaux de la production.

Les fermiers de l'Angleterre proprement dite possèdent, à surface égale, le même revenu que nos propriétaires français au moins. Le fermier d'une terre de 100 hectares, par exemple, a l'équivalent de 3,000

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