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faire le sujet de ses efforts. Malgré son habileté et sa persévérance, il n'a pas pu la modifier assez profondément pour lui enlever ses défauts primitifs; la race à longues cornes est aujourd'hui abandonnée à peu près généralement; mais, si ce grand éleveur n'a pas tout à fait réussi dans son entreprise, il a du moins donné des exemples et des modèles qui ont été suivis de toutes parts et qui ont fini par transformer les races anglaises.

Il n'existe peut-être pas aujourd'hui dans la GrandeBretagne une seule tête de bétail qui n'ait été profondément modifiée suivant la méthode de Bakewell, et si aucune ne porte son nom, comme parmi les bêtes à laine, toutes ont également subi son empreinte.

Parmi ces races améliorées de longue main, figure au premier rang celle à courtes cornes de Durham. Elle a pris naissance dans la grasse vallée de la Tees, et paraît avoir été formée à son origine par le croisement de vaches hollandaises avec des taureaux indigènes. Cette race était déjà remarquable par son aptitude à l'engraissement et par ses qualités lactifères, quand les idées de Bakewell se répandirent en Angleterre. Les frères Collins, fermiers à Darlington, imaginèrent, vers 1775, d'appliquer ces procédés à la race de la vallée de la Tees, et ils obtinrent presque dès le début des résultats considérables. L'étable de Charles Collins avait acquis une telle réputation en trente ans, que lorsqu'elle se vendit aux enchères en 1810, les 47 animaux dont elle se composait, dont douze au-dessous d'un an, furent achetés 178,000 fr. La race à courtes cornes améliorée s'est propagée depuis cette époque dans tout le RoyaumeUni, elle s'introduit depuis quelque temps en France. Les animaux, qui en sont issus, peuvent s'engraisser dès l'âge de deux ans, et atteindre à cet âge un poids énorme

qu'aucune autre race ne peut donner aussi vite. Leur tête, leurs jambes, leurs os, ont été réduits à de si minces proportions, et les parties du corps les plus charnues si largement développées, qu'ils rendent près de trois quarts de leur poids en viande.

Après la race à courtes cornes de Durham, qui est pour les bœufs ce qu'est pour les moutons celle de Dishley, viennent celles de Hereford et de Devon, qui peuvent être comparées aux South-Downs et aux Cheviot.

La race de Hereford suit de près celle de Durham et est même plus généralement recherchée, comme offrant presque la même précocité, la même aptitude à l'engraissement, avec plus de rusticité. Le comté de Hereford, d'où elle est sortie, s'étend au pied des montagnes du pays de Galles, et, bien que renommé par ses bois, ses pâturages et ses sites, n'a que des terres d'une fertilité médiocre. Les bœufs qu'il produit sont rarement engraissés dans le pays, mais achetés jeunes par des herbagers qui les emmènent dans des cantons plus fertiles, où ils prennent leur entier développement, ce qu'il est difficile de faire pour les Durham, qui exigent dès leur naissance une alimentation plus abondante. Le comté de Hereford est ainsi, pour une grande partie de l'Angleterre, ce que sont en France l'Auvergne ou le Limousin, une contrée d'élevage dont les produits s'exportent de bonne heure et vont de proche en proche alimenter le marché de la capitale. C'est à un contemporain de Bakewell, nommé Tomkins, qu'est dû le perfectionnement des Hereford.

La race de Devon est une race de montagne, qui travaillait beaucoup autrefois et qui est encore soumise au travail sur quelques points; elle est petite, mais admirablement conformée.

Toutes les autres races de ia Grande-Bretagne, sans

avoir atteint précisément la même perfection, ont été améliorées dans le même sens. L'Écosse en produit plusieurs qui jouissent d'une grande réputation; beaucoup de bœufs écossais sortent de leurs montagnes vers trois ans pour venir s'engraisser en Angleterre; tels sont les bœufs dits de Galloway, la race noire sans cornes du comté d'Angus, et cette admirable race des highlands de l'ouest, une des plus merveilleuses créations de l'homme, qui vit sans abri, sur les plus sauvages montagnes du Nord, et qui, malgré la stérilité du sol et la rudesse du climat, arrive à un poids moyen extraordinaire, dont la valeur s'accroît encore par l'excellente qualité de sa viande 1.

Voici maintenant quels peuvent être à peu près les résultats comparatifs des deux systèmes :

En France, le nombre des bestiaux abattus annuellement pour la boucherie doit être de 4 millions de têtes, produisant en tout 400 millions de kilogrammes de viande, à raison de 100 kilos de poids moyen. La statistique officielle dit 300 millions seulement.

Dans les Iles-Britanniques, le nombre des bestiaux abattus annuellement est de 2 millions de têtes produisant en tout 500 millions de kilogrammes de viande, à raison de 150 kilos de poids moyen.

Ainsi, avec 8 millions de têtes et 30 millions d'hectares, l'agriculture britannique produit 500 millions de kilos de viande, tandis que la France, avec 10 millions de têtes et 53 millions d'hectares, n'en produit en tout que 400.

Cette nouvelle disproportion s'explique parfaitement, outre la différence des races, par la différence dans

1 Une collection complète de ces races précieuses avait été réunie en France à l'Institut national agronomique; elle a été dispersée par la destruction de cet établissement.

l'âge des animaux abattus. Les bœufs français sont abattus trop tôt ou trop tard. La nécessité de nourrir avant tout nos animaux de travail nous force à tuer un grand nombre de veaux, à l'âge où la croissance est la plus rapide; sur nos 4 millions de têtes figurent 2 millions et demi de veaux qui ne donnent pas plus de 30 kilos de viande nette en moyenne. Ceux qui survivent ne sont immolés qu'à un âge où la croissance a cessé depuis longtemps, c'est-à-dire après que l'animal a consommé pendant plusieurs années de la nourriture qui n'a pas servi à accroître son poids. Les Anglais, au contraire, ne tuent leurs animaux ni aussi jeunes, parce que c'est dans la jeunesse qu'ils font le plus de viande, ni aussi vieux, parce qu'ils n'en font plus; ils saisissent le moment précis où l'animal a pris son maximum de croissance.

Ces résultats, si favorables à l'économie rurale anglaise, s'atténuent, il est vrai, par la valeur du travail que donnent, en France, les bêtes bovines. Nous possédons en tout 2 millions environ de bœufs, qui travaillent pour la plupart, et, parmi nos vaches, il en est beaucoup aussi qui traînent la charrue. Si nous avions, comme les Anglais, supprimé à peu près partout le travail des bœufs, nous aurions été forcés de les remplacer par des chevaux; ces chevaux entraîneraient des dépenses qui représentent la valeur actuelle du travail des bêtes à cornes. En évaluant ce travail à 200 francs environ par attelage, ce serait une somme annuelle de 200 millions à ajouter au crédit de notre race bovine.

Le compte des produits du gros bétail, dans les deux pays, pourrait alors s'établir en gros de la manière suivante, en négligeant de part et d'autre la valeur des issues et celle des fumiers, qui doivent se compenser à

peu de chose près, et en évaluant le kilogramme de viande à 1 franc:

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soit 70 francs par tête et 14 francs par hectare:

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soit 110 francs par tête et 30 francs par hectare. Dans l'Angleterre proprement dite, ce produit doit être d'environ 50 francs par hectare.

Ces chiffres se contrôlent par un fait extrêmement simple et facile à constater: le prix moyen des animaux dans les deux pays. En genéral, le prix courant d'un animal donne une mesure assez exacte du bénéfice que l'acheteur espère en tirer; or, la valeur moyenne des bêtes à cornes est en Angleterre fort au-dessus de ce qu'elle est en France. Il n'est même pas nécessaire d'aller en Angleterre pour constater une semblable différence; nous avons en France deux régions, l'une où le gros bétail ne travaille pas, et l'autre où il est soumis au travail. Si nous recherchons sa valeur moyenne dans les deux régions, nous la voyons, dans la première, au-dessus de ce qu'elle est dans la seconde; et cependant l'art d'élever les bestiaux pour la boucherie est encore en France à peu près inconnu ; que serait-ce s'il était parvenu au point où il est aujourd'hui en Angleterre?

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