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2,558 fermes dont l'étendue précise n'a pu être constatée manquent à ce tableau, ce qui porte le total des fermes de la Grande-Bretagne à 286,000 en nombre rond (exactement 285,936). Les deux tiers ont moins de 100 acres ou 40 hectares d'étendue; 1,132 seulement ont 1,000 acres ou 400 hectares et au delà. C'est ce millier de grandes fermes qui frappe les regards et trompe sur la division véritable des exploitations. L'étendue moyenne est de 102 acres ou 41 hectares de terre cultivée.

Pour l'état de la propriété, j'avais cru devoir aussi relever quelques-unes des exagérations qui ont cours et qui nous représentent l'Angleterre comme partagée en immenses terres substituées à perpétuité. Loin de voir dans la substitution un encouragement au progrès agricole, j'y voyais au contraire un obstacle, et j'avais affirmé que les Anglais tendaient beaucoup plus à la réduire qu'à l'étendre. Plusieurs faits survenus depuis 1853 m'ont donné raison. Des actes du parlement ont autorisé les détenteurs de biens substitués à emprunter sur hypothèque pour travaux de drainage et autres améliorations agricoles. Mais ce qui montre surtout la direction actuelle des idées, c'est le projet de loi qui vient d'être annoncé dans le discours de la reine à l'ouverture du Parlement, pour amender et simplifier les lois relatives à la transmission de la propriété foncière.

Les Anglais n'agissent jamais révolutionnairement; leur habitude est de marcher pas à pas, mais sans jamais s'arrêter ni revenir en arrière. Le nouveau mode d'enregistrement n'aura donc rien en apparence de bien radical; il ne sera, dit-on, que facultatif; au fond, ce n'est rien moins que l'abandon implicite des anciens préjugés sur l'immobilisation de la propriété. Un mot a été prononcé qui fait et fera son chemin, free trade in land, libre commerce de la terre; le free trade a trop bien réussi à l'Angleterre dans l'ordre industriel et commercial, pour qu'elle ne soit pas tentée de l'introduire de plus en plus dans le monde des intérêts ruraux. L'aristocratie elle-même est intéressée à posséder moins de terre et plus d'argent, et elle com

mence à le comprendre. L'unique obstacle vient des hommes d'affaires qui vivent de l'antique désordre des titres féodaux de propriété.

Des quatre grands concours annuels, tenus par la Société royale d'agriculture d'Angleterre depuis 1853, celui de 1854 a eu lieu à Lincoln, chef-lieu du comté agricole de ce nom; celui de 1855 à Carlisle, capitale du comté de Cumberland, sur la frontière de l'Écosse; celui de 1856 à Chelmsford, chef-lieu du comté d'Essex; celui de 1857 à Salisbury, capitale du comté de Wilts. Chacun de ces concours a continué les succès des précédents et confirmé les services rendus par la Société royale à l'agriculture.

On sait que nos voisins sont moins tourmentés que nous du besoin de nouveauté, de variété, et qu'ils cherchent moins leurs succès dans le changement que dans le perfectionnement continuel des mêmes procédés, ce qui ne les empêche pas d'être en fin de compte les plus grands novateurs qui existent, mais sans engouement et comme malgré eux. Il ne faut donc rien demander de bien nouveau à ces concours; comme gros bétail, ce sont toujours des durham, des hereford et des devon; comme moutons, des dishley, des south-downs et des cotswoeds; comme cultures, du froment, de l'orge et de l'avoine, des turneps, des pommes de terre, du trèfle et du ray-grass, comme instruments, des charrues, des rouleaux, des herses, des machines à fabriquer des tuyaux de drainage, et surtout des tentatives de plus en plus multipliées, de plus en plus heureuses, pour appliquer la vapeur aux travaux des champs. Ajoutons que, comme magnificence de mise en scène, les Anglais n'ont rien de comparable à notre exposition de 1856, et qu'il ne leur serait certainement jamais venu dans l'esprit de construire un palais de dix-huit millions pour y exposer des animaux.

Mais si ces concours sont moins splendides que les nôtres, ils sont plus sérieux. Presque tous les durham et les south-downs que renferme la France figuraient à notre grande exposition, tandis que ceux des expositions anglai

ses représentent bien réellement une population animale qui remplit au dehors les étables; ici, c'est l'Etat qui paye et qui gouverne tout à son gré; là-bas, ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui font volontairement tous les frais, et le public manifeste par son empressement, sur les coins les plus reculés du territoire, la part qu'il prend à ces utiles solennités. Bien que Salisbury ne soit qu'une petite ville de 10,000 âmes, 35,000 personnes ont payé cette année pour entrer dans l'enceinte du concours. «< Malgré cette foule énorme, dit M. Barral dans le Journal d'agriculture pratique, il n'y a pas eu le moindre désordre dans les rues se pressaient de longues lignes de piétons et circulaient des milliers d'équipages; dans l'intérieur de showyard, il n'y avait absolument ni agent de police, ni factionnaire, ni commissaire, ni sous-commissaire d'aucune espèce pour diriger ou gêner les visiteurs. Chacun circulait librement autour des instruments, ou examinait avec une égale liberté tous les animaux, sans se heurter contre quelqu'une de ces stupides consignes qu'en France des autorités secondaires ne manquent jamais d'imagi

ner. >>>

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Le même M. Barral remarque que l'exposition de Salisbury, bien qu'organisée par une simple société de souscripteurs, présentait une telle étendue, que le visiteur n'avait pas à faire moins de vingt kilomètres pour passer devant tous les objets offerts à son examen. Le prince Albert a donné l'exemple, il a voulu tout voir, et les hommes les plus élevés en dignité, les femmes les plus distinguées de la haute société anglaise, ont tenu à honneur de faire comme lui.

Nous ne connaissons pas les résultats des relevés statistiques que fait chez nous le gouvernement, et qui ne sont pas encore livrés à la publicité; mais, si j'en crois les renseignements qui m'arrivent de plusieurs points à la fois, le nombre de nos moutons s'est plutôt diminué qu'accru depuis dix ans. J'avais cru devoir l'évaluer en 1847 à 35 millions de têtes, c'est tout au plus s'ils atteignent aujourd'hui

ce chiffre. Dans le Royaume-Uni, au contraire, le nombre va toujours croissant. Il était comme chez nous d'environ 35 millions de têtes en 1847, on l'évalue aujourd'hui à 40 millions (Farmer's Magazine, no de janvier 1857, page 62). L'augmentation est peu notable pour l'Angleterre proprement dite, qui possédait déjà un si magnifique capital en moutons; l'Écosse et l'Irlande, qui en étaient beaucoup moins pourvues, ont fait des progrès plus rapides. D'après les documents les plus estimés, l'Irlande n'avait en 1847 que 2 millions de moutons, et l'Écosse 4 millions. Les nouvelles statistiques, faites avec une précision aussi complète que possible, ont relevé en Irlande, en 1856, l'existence de 4 millions de têtes, et en Écosse de 6 millions. Il est possible que les évaluations de 1847 fussent un peu au-dessous de la vérité; dans tous les cas, l'accroissement a dû être sensible la réduction progressive des importations de moutons en donne la preuve.

Pendant que la quantité s'accroît, la qualité ne cesse de s'améliorer. Les south-downs surtout se répandent de plus en plus; ce précieux animal, que sa toison rend heureusement insensible à l'humidité du climat anglais, est doué d'un tempérament vigoureux et énergique qui le met à l'abri des maladies épidémiques, si fatales à nos troupeaux. Un fermier du comté de Cambridge, M. Joseph Webb, bien connu de nos éleveurs, depuis qu'il a pris part à nos grands concours de 1856 et 1857, a maintenant la vogue pour cette race; ses béliers se louent aux enchères pour une saison, et on assure que la location de cette année lui a rapporté près de 80,000 fr.: un de ses béliers s'est loué 5,000 fr., et comme, suivant l'usage anglais, le prix de vente est le double du prix de location, celui qui l'avait loué l'a acheté ensuite 10,000 fr.

Pour l'espèce bovine, on cite des exemples non moins frappants. Le célèbre taureau courtes-cornes, master-butterfly, que nous avons vu à Paris l'année dernière, a été vendu pour l'Australie 30,000 fr. ; d'autres se sont vendus 25,000 fr. pour l'Amérique. Que ces prix aient été élevés

à dessein par les acheteurs eux-mêmes, pour donner à leur marchandise une plus grande valeur de l'autre côté de l'Océan, c'est possible et même probable, le génie de la spéculation et de la réclame n'abandonne jamais la race. anglo-saxonne; mais il y a un fond sérieux sous ces exagérations calculées, il vaut encore mieux payer un beau taureau 30,000 fr. que donner le même prix pour quelque rareté inutile, qui n'a pour elle que la fantaisie passagère de la mode.

La machine à moissonner, depuis si longtemps employée en Amérique, commence à pénétrer en Angleterre dans les cultures; elle s'est encore perfectionnée et ne laisse plus maintenant que bien peu de chose à désirer. La charrue à vapeur de M. Fowler, si elle n'a pas tout à fait touché le but, en a beaucoup approché; cette charrue a été importée en France, dans le département de Seine-et Marne, par M. de Baulny. Une autre machine, inventée par un Canadien nommé Robert Romaine et fabriquée par Crosskill, a été essayée publiquement le 11 septembre dernier, à Beverley, et avec un assez grand succès. Ce n'est pas, à proprement parler, une charrue, mais une machine à piocher; on l'appelle cultivateur à vapeur, steam cultivator; c'est celle dont j'avais entendu parler en 1853; elle diffère de la piocheuse française de MM. Barrat en ce qu'au lieu de faire marcher de véritables pioches, elle met en mouvement un énorme rouleau armé de pointes recourbées, comme la défonceuse Guibal.

De toutes ces inventions, la plus curieuse, la plus originale, celle dont le succès paraît le plus probable, est le cheval de vapeur, steam horse, de M. Boydell. C'est une locomobile portant avec elle un chemin de fer sans fin destiné à la soutenir; partout où elle a paru, elle a excité une sorte d'enthousiasme. Grâce à cette heureuse addition, elle va et vient sur les routes les plus mauvaises et sur les terrains les plus détrempés, elle gravit les pentes les plus escarpées, avance et recule à volonté. L'inventeur a la prétention de l'atteler comme un cheval à toute espèce de

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