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avec détail. On s'en entretenait presque autant que du camp de Chobbam et de la grande revue passée par la reine. Ici, dès qu'il s'agit de l'agriculture, toutes les attentions sont éveillées; ceux même qui ne s'y intéressent pas veulent avoir l'air de s'y intéresser, pour obéir à la mode. Il y a bien peu de familles riches qui ne comptent au moins un membre dans la Société royale, et, dans le monde le plus élégant, l'agriculture est un des sujets de conversation les mieux goûtés. La période de transition et de crise que l'agriculture anglaise vient de traverser ajoute à l'intérêt habituel qu'elle inspire. Tout le monde vent savoir si de nouveaux perfectionnements sont introduits dans la production du bétail, et surtout si l'emploi des machines, que l'on considère comme devant avoir un jour pour la culture les mêmes conséquences que pour l'industrie, fait des progrès. Rien ne manquait donc à l'attraction de la fête, comme disent nos voisins.

Glocester est une ville d'environ 40,000 âmes, à 114 milles anglais ou 45 lieues de Londres. On y va par le great Western Railway. Parti de Londres à huit heures et demie du matin, j'étais à Glocester vers une heure de l'aprèsmidi. Le chemin de fer remonte la vallée de la Tamise jusque près de sa source; on traverse les comtés de Bucks et de Berks, on passe sur les limites de ceux de Wilts et d'Oxford. Jusqu'à Reading, c'est l'argile tenace des environs de Londres; après Reading, la chaîne crayeuse qui court du comté de Cambridge à celui de Wilts; après Didcot, le terrain oolithique du Sud-Ouest; on arrive à Glocester par les plateaux ou cotswolds. Sur tout ce parcours, notamment dans la partie crayeuse, le sol est généralement plus que médiocre. Le paysage n'est cependant pas sans charme; partout ce sont les mêmes champs carrés, entourés de haies, où se succèdent les cultures de l'assolement quadriennal; ici, le sol préparé pour les turneps; plus loin, de l'orge ou de l'avoine, puis du trèfle, et enfin du froment; de distance en distance, quelques prairies qui venaient d'être fauchées, et dont le foin blanchis

sait sous la pluie, avec de nombreux pâturages livrés au bétail.

La ville de Glocester avait bien fait les choses. Les rues ornées d'arcs de triomphe de feuillage, les maisons pavoisées de drapeaux aux couleurs nationales, des guirlandes de fleurs formant des devises appropriées à la circonstance Honneur à l'agriculture! Dieu protège la charrue! le mot welcome, bienvenue, inscrit de toutes parts, la population entière sur pied, les saltimbanques, les théatres ambulants, les chanteurs des rues, les marchands de fruits et de ginger beer, tout avait un air de fête. Après avoir jeté un coup d'œil sur la cathédrale, qui a une grande réputation et qui la mérite, je m'acheminai, avec le nombreux concours de curieux arrivés en même temps que moi, vers le théâtre de l'exposition, situé à un mille anglais de la ville. La route était couverte d'omnibus, de voitures, de cavaliers, de piétons, qui allaient et venaient

sans cesse.

Suivant l'usage éternellement suivi en Angleterre, on payait à la porte, pour entrer dans l'enceinte, une demicouronne ou environ 3 francs, pour voir les machines, le lendemain une autre demi-couronne pour voir les animaux, un schilling pour acheter chacun des deux catalogues, en tout 9 francs que tout visiteur devait payer à la Société. J'ai calculé combien chacun des étrangers venus à Glocester avait dû dépenser pour son voyage, et j'ai trouvé au moins 100 francs par tête; le lit seul coûtait pour une nuit une demi-guinée ou 13 francs. Je doute qu'en France l'amour de l'agriculture attirât beaucoup de monde dans de pareilles conditions. J'ai ouï dire qu'au dernier concours d'Orléans, dont le gouvernement avait pourtant fait tous les frais, et qui n'était qu'à trente lieues de Paris, il n'y avait pas une bien nombreuse assistance; à Glocester, plus de 40,000 personnes ont payé à la porte pour entrer. Cet empressement des Anglais est d'autant plus remarquable, que le concours de la Société royale n'est pas le seul; il n'y a presque pas de comté qui n'ait

sa société particulière et ses concours spéciaux, dont le public volontaire paye également la dépense. La chose commence à être poussée à l'excès, cette succession si rapide de meetings et d'exhibitions impose aux cultivateurs qui veulent se tenir au courant un véritable sacrifice de temps et d'argent.

L'exhibition de la Société royale était divisée en deux parties, les machines et les animaux; les produits agricoles n'y sont pas appelés, je ne sais pourquoi. Il me paraîtrait utile de comparer aussi les blés, les orges, les avoines, les racines, les fromages, les beurres, etc.

Le département des machines, de beaucoup le plus important, couvrait 10 acres ou 4 hectares de terrain. En 1839, à la première exposition de la Société royale, il y avait en tout 23 instruments, et dans ce temps-là les gentlemen farmers protestaient en toute occasion qu'ils ne s'étaient jamais servis et ne se serviraient jamais que des instruments connus de leurs pères. Cette année, plus de deux mille machines, envoyées par 121 exposants, prenaient part au concours. Sans doute, plusieurs sont encore à l'essai, et ce sont les plus dispendieuses; mais le plus grand nombre est d'un usage courant, et, d'un bout à l'autre de la Grande-Bretagne, les fabricants en vendent des quantités considérables. Les prix des plus recherchées baissent d'année en année, ce qui indique un débit croissant; ainsi, le célèbre rouleau de Croskill, qui se vendait dans l'origine 20 livres, se donne aujourd'hui pour 14, avec six mois de crédit ou 5 p. 100 d'escompte, et, quand on en prend trois à la fois, l'escompte est de 15 p. 100; 14 livres sterling ou 350 francs, c'est encore beaucoup pour un rouleau, sans compter les frais de port qui peuvent être énormes, car c'est une lourde machine qui ne peut être traînée que par trois chevaux: il n'en est pas moins remarquable, pour quiconque la connaît, qu'on puisse la donner pour ce prix-là, surtout avec la hausse du fer.

On retrouvait à Glocester tous les instruments dont l'expérience de ces dernières années a prouvé l'utilité, et qui

font partie aujourd'hui de toute ferme bien tenue: tels sont, avec le rouleau brise-mottes de Crokill, la herse de Norwège du même fabricant, qui coûte le même prix que son rouleau; les semoirs de Garrett, qui se vendent jusqu'à 1,000 et 1,200 francs; la houe à cheval du même, du prix de 400 francs; la charrue de Ransome, du prix de 100 francs; le scarificateur de Biddell, de 500 francs; celui de Bentall, qui n'en coûte que 170; les machines à fabriquer les tuyaux de drainage, les hache-paille, les coupe-racines, etc., etc. L'attention se détournait de ces excellents instruments, maintenant généralement connus, pour se porter sur les instruments nouveaux, comme un distributeur d'engrais exposé par Garrett, une machine fort compliquée par le même pour éclaircir les turneps, et, par-dessus tout, les machines à moissonner et les machines à vapeur. 12 machines à moissonner, 23 machines à vapeur, attestaient par leur nombre et leur importance, l'intérêt qui s'attache aujourd'hui en Angleterre à ces nouveaux progrès de l'art agricole; tous les grands fabricants d'instruments aratoires avaient tenu à honneur d'envoyer leur contingent.

On sait le bruit que fit en 1842, lors de son apparition à l'Exposition universelle, la machine américaine à moissonner de Mac-Cormick, venue du fond de l'Illinois. Je l'avais vue alors fonctionner dans une ferme près de Londres, et j'avais pu apprécier ce qu'elle avait à la fois d'ingénieux et d'incomplet. Parfaitement à sa place dans un pays comme l'Illinois, où la terre est pour rien et la main-d'œuvre hors de prix, elle ne répondait pas encore suffisamment aux besoins d'un pays comme l'Angleterre, où la perfection du travail n'est pas moins à considérer que la promptitude; mais l'imagination des agronomes anglais avait été frappée du résultat obtenu : il était désormais évident qu'une machine à moissonner était possible, il ne s'agissait plus que de la perfectionner. Or, l'utilité d'une pareille machine devient de plus en plus sensible depuis que les troupes d'Irlandais faméliques qui venaient tous les ans couper les blés en Angleterre, sont en train de disparaître

par l'émigration, et que la demande croissante de travail pour le commerce, les manufactures et l'agriculture ellemême, fait monter les salaires en quelque sorte à vue d'œil.

On attache donc un grand prix au succès de la machine à moissonner, reaping machine. J'ai fait le voyage de Londres à Glocester avec de simples fermiers, non des millionnaires qui se ruinent à cultiver pour leur agrément, mais des cultivateurs praticiens ayant de lourdes rentes à payer, qui faisaient leurs cinquante lieues uniquement pour voir par eux-mêmes si le problème était résolu : tous disaient que la difficulté de trouver des moissonneurs devenait un sérieux embarras. Je n'ai pas besoin d'ajouter qu'ils étaient déjà munis de machines à battre, thrashing machines. Ces sortes d'instruments, qui coûtent en moyenne un millier de francs, sont maintenant très répandus; il y en avait vingt-quatre à l'Exposition de Glocester. Mes compagnons de voyage disaient qu'avec leur secours, ce qui coûtait autrefois des shillings s'obtenait aujourd'hui avec des pence, et ils espéraient bien que la machine à moissonner finirait un jour ou l'autre par leur donner les mêmes avantages. Je le souhaite, car ils m'avaient l'air de bien braves gens et tout entiers à leur affaire. Ils n'ont pas dit un mot pendant tout le voyage qui ne s'appliquât à des questions agricoles; ils paraissaient fort au courant de tout ce qui se fait en culture d'un bout à l'autre de l'Angleterre, et doivent être des lecteurs assidus du Mark lane Express et du Farmer's Mazarine.

Le prix de 20 souverains (500 francs) promis par la Société royale pour la meilleure reaping machine n'a pas encore été décerné; on veut attendre l'époque de la moisson pour essayer sur place celles qui ont été envoyées au concours. On s'est borné à en choisir six sur douze pour les admettre à l'épreuve définitive. Celle qui paraît avoir le plus de chances de l'emporter, pour toutes sortes de raisons, est celle dite de Bell. Au moment où la machine américaine de Mac-Cormick excitait la plus grande rumeur, il y a deux ans, on apprit tout à coup qu'un Écossais

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