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produits de la laiterie, si les fromages anglais sont en général supérieurs aux nôtres; le beurre français est au-dessus du beurre anglais; il n'y a rien en Angleterre de comparable aux bonnes qualités de beurre que produisent la Bretagne et la Normandie. Malgré ces avantages incontestables, le produit total des vaches anglaises en lait, beurre et fromage, dépasse de beaucoup le produit des vaches françaises, bien que cellesci soient plus nombreuses, et sur certains points aussi bonnes ou meilleures laitières. C'est la généralité d'une pratique qui peut seule donner de grands résultats en agriculture, et l'entretien d'une ou plusieurs vaches laitières est une pratique universelle en Angle

terre.

La race laitière par excellence de l'empire britannique est originaire de ces îles de la Manche, fragments détachés de notre Normandie. On la désigne généralement sous le nom de l'île d'Alderney, qu'on appelle en français Aurigny. Les précautions les plus minutieuses sont prises pour maintenir la pureté de cette race, qui n'est, au bout du compte, qu'une variété des nôtres. Les îles de la Manche produisent beaucoup de génisses vendues pour l'Angleterre, et fort recherchées par les gens riches pour leurs laiteries de campagne. Quiconque a fait le voyage de Jersey a pu admirer ces jolies bêtes, à l'air si intelligent et si doux, qui peuplent les pâturages de cette île, et qui font partie de la famille chez tous les cultivateurs. Naturellement bonnes, les soins affectueux dont elles sont l'objet n'ont pas peu contribué à les rendre si productives. Les habitants de Jersey en sont fiers et jaloux comme d'un trésor unique au monde.

Cette race trouve cependant une rivale dans une autre qui lui ressemble beaucoup, et qui doit en être sor

tie par des croisements, celle du comté d'Ayr, en Écosse. Il n'y a pas longtemps que l'Écosse, en général, était dans un état d'inculture presque complet; le comté d'Ayr, en particulier, n'a été cultivé avec quelque soin que depuis cinquante ou soixante années. Cet ancien pays de bruyères et de marais est devenu une sorte d'Arcadie. Robert Burns, le berger poète, y est né ; ses poésies champêtres, qui datent de l'époque de la révolution française, ont été contemporaines du réveil agricole de son pays natal. La même inspiration, qui a produit les chansons bucoliques de Burns, a créé cette charmante race laitière d'Ayr, dont les formes gracieuses, le pelage bariolé, l'humeur paisible, les larges mamelles, le lait abondant et crémeux, réalisent l'idée de la vie pastorale. Une bonne vache de cette espèce peut donner plus de 4,000 litres de lait par an; elles en donnent en moyenne 3,000, et on les rencontre partout, soit en Écosse, soit en Angleterre.

On peut dire qu'une vache, qui n'a pas de lait, est une exception dans ce pays. L'Irlande elle-même possède deux races de vaches laitières: l'une petite et rustique, tout à fait analogue à notre race bretonne et originaire des montagnes sauvages du Kerry; l'autre, grande et forte, qui s'est développée dans les riches pàturages des bords du Shannon.

La consommation du lait sous toutes les formes, a pris chez les Anglais un développement énorme; leurs habitudes sont anciennes sous ce rapport: il y a bien longtemps que César disait d'eux: Lacte et carne vivunt. Ils n'ont pas, comme une grande partie des Français, l'usage de préparer leurs aliments à la graisse ou à l'huile; le beurre leur sert pour toutes les préparations culinaires, le fromage figure à leurs principaux repas. Les quantités de beurre et de fromage qui se fabriquent

d'un bout à l'autre des Iles-Britanniques passent toute idée; le comté de Chester produit à lui seul pour un million sterling ou 25 millions de fromages par an. Non contents de ce que donnent leurs laiteries, ils font encore venir beaucoup de beurre et de fromage de l'étranger, et cette circonstance, qui montre jusqu'à quel point est poussé le goût national, explique pourquoi le prix moyen du lait est plus élevé chez eux qu'en France. Quand nos producteurs obtiennent tout au plus 10 centimes par litre de lait, les producteurs anglais en obtiennent 20.

En somme, on peut évaluer la production en lait des vaches anglaises à 3 milliards de litres, dont 1 milliard environ sert à la nourriture des veaux et 2 à la nourriture de l'homme; soit une moyenne d'environ 1,000 litres par tête de vache. La production de la France doit être tout au plus de 2 milliards de litres, à raison de 500 litres par tête, dont la moitié au moins est absorbée par les veaux.

Ainsi, quand les producteurs français n'ont à vendre pour la consommation humaine qu'un milliard de litres, les producteurs anglais en vendent deux, et, comme ils obtiennent de leur lait un prix double de celui qu'en obtiennent les nôtres, il s'ensuit que le revenu des laiteries doit être quatre fois plus élevé en Angleterre qu'en France; les deux produits seraient alors représentés par les chiffres suivants :

100 millions.

France, 1 milliard de litres à 10 c..........
Iles-Britanniques, 2 milliards de litres à 20 c. 400

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Ces différences, quelle que soit leur gravité, n'étonneront pas quiconque aura comparé, même en France, le produit des vacheries sur les différents points du territoire. Entre une étable de Normandie, par exemple,

où la production et la manipulation du lait sont habilement entendues, et une étable du Limousin ou du Languedoc, où la faculté lactifère n'a pas été développée chez les vaches, le contraste est plus grand qu'entre une étable française en général et une étable anglaise. Non seulement la quantité de lait est infiniment moindre, mais le prix qu'on en retire est moindre aussi ; le producteur du Centre ou du Midi ne sait que faire de son lait, quand il en a ; le producteur du Nord en tire au contraire admirablement parti. Par tout pays, l'art de produire et d'utiliser le lait est une excellente industrie, et les contrées qui fabriquent du beurre et du fromage sont toujours plus riches que les autres.

Si le travail que nous imposons à notre gros bétail nous prive d'un grand revenu en lait, il nous prive aussi d'un revenu non moins important en viande de boucherie.

Il semble, au premier abord, que le travail de la race bovine ne doive avoir que peu d'influence sur son rendement en viande; on peut même se persuader aisément que ce travail, en utilisant la vie du bœuf, permet de faire de la viande à meilleur marché. L'expérience a démontré que, si c'était quelquefois une vérité de détail, c'était une erreur d'ensemble. L'habitude du travail forme des races dures, vigoureuses, tardives, qui, comme les hommes livrés à un labeur pénible, mangent beaucoup, engraissent peu, développent leur charpente osseuse, font en définitive peu de chair et la font tard. L'habitude de l'inaction crée au contraire des races molles, tranquilles, qui s'engraissent de bonne heure, prennent des formes rondes et charnues, donnent, à nourriture égale, un plus beau produit à l'abattoir. Les soins de l'éleveur viennent en aide à cette disposition naturelle, et l'accroissent en quelque sorte

a l'infini. A cette cause générale de supériorité peuvent se joindre des causes secondaires qui dérivent toutes du même principe. Ainsi, quand on se préoccupe avant tout de la somme de travail que peut donner un animal on ne l'abat que quand il a fini sa tâche; si, au contraire, on ne lui demande que de la viande, on saisit pour l'abattre le moment où il peut en donner le plus. Ainsi encore, pour les animaux de trait, les cultivateurs pauvres sont facilement entraînés à en multiplier le nombre en proportion du besoin qu'ils en ont, sans s'inquiéter de la nourriture qu'ils peuvent leur donner; ils sont amenés à produire des races petites et maigres qui remplissent après tout, comme l'âne, leur destination, mais qui ne sont d'aucune ressource au delà; quand, au contraire, on ne spécule que sur la viande, on apprend bien vite à n'avoir de bêtes que celles qu'on peut bien nourrir. parce que la nourriture leur profite mieux.

Cet ensemble de causes fait que, contrairement aux apparences, ce sont les races de boucherie qui payent le mieux ce qu'elles consomment, et que le travail des bêtes à cornes, nécessaire ou non, au lieu d'être un bénéfice, est une perte.

C'est encore le célèbre fermier de Dishley-Grange, Robert Bakewell, qui a donné l'élan en Angleterre pour le perfectionnement de la race bovine, considérée exclusivement au point de vue de la boucherie. Il se servait des mêmes procédés que pour les moutons. Seulement, il a moins bien réussi personnellement. Le mouton produit par Bakevell est resté le type le plus parfait du mouton de boucherie; la race de bœufs qu'il a créée n'a pas eu la même fortune. C'est une race défectueuse à beaucoup d'égards, celle à longues cornes du centre de l'Angleterre, qu'il avait choisie pour en

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