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petit nombre pour utiliser convenablement les vastes étendues qu'on leur abandonne; il vaudrait mieux y nourrir des moutons. Je comprends ces réclamations quand il s'agit de l'Angleterre, où quelques riches landlords s'obstinent à laisser incultes pour leurs chasses, au milieu de districts populeux, de grands terrains qui pourraient rapporter des récoltes: tel est, par exemple, Cannok-Chase, dans le comté de Stafford, qui a bien près de 6,000 hectares; mais dans la haute Écosse, j'ai peine à croire que la perte soit bien grande. Quelques milliers de moutons de plus ou de moins n'ajouteraient pas beaucoup à l'alimentation nationale, et on y perdrait le dernier refuge de la nature sauvage dans la Grande-Bretagne. Toujours des moutons, c'est bien monotone; il ne faut pas que la manie s'en mêle. Dépouiller la vie rurale de toute poésie, n'est-ce pas aller trop loin, dans l'intérêt même de la culture, et ne doiton pas craindre de détruire le charme principal qui attire les riches hors des villes?

Les pêcheries des Highlands ne sont pas moins renommées que les chasses. Dans un pays où l'eau découle de toutes parts, le poisson doit abonder; le saumon surtout a donné lieu à un commerce énorme. Dans les premiers temps qui ont suivi la pacification de l'Écosse, quiconque possédait une chute sur une rivière a fait immédiatement fortune. Simond parle d'une pêcherie sur le Tay, qui s'affermait, avant 1800, 5 guinées par an, et qui rapportait, en 1810, 2,000 livres sterling, ou 50,000 francs. « Ce n'est pas, dit-il, qu'il y ait plus de poisson, mais plus d'industrie à le prendre et plus de consommateurs. » On a tant fait que le saumon et la truite ne se trouvent plus en aussi grand nombre qu'autrefois; mais un art nouveau, la pisciculture, vient depuis quelques années ranimer les

espérances. Le duc d'Athol actuel est un de ceux qui recherchent avec le plus de soin les moyens de repeupler les lacs et les rivières; de nombreuses expériences montrent qu'on y réussit. Tout annonce que cette richesse naturelle de la haute Écosse sera conservée et peut-être grossie par l'industrie humaine. Telle est la véritable tâche de l'homme dans un pareil pays; tel est, avec le pâturage et la forêt, le seul genre de culture possible et profitable.

Cette sécurité profonde dont on jouit maintenant dans les Highlands, ce calme infini d'une terre sans habitants, ces lacs, ces rochers, ces cascades, ces bruyères, ces souvenirs romanesques et poétiques, tout cet ensemble singulier donne à l'habitation dans ces montagnes un vif attrait, malgré la tristesse du climat. Aux huttes renversées des clans ont succédé des résidences confortables. Non seulement les anciens chefs se sont fait bâtir des châteaux sur les ruines des chaumières, mais on a vu de riches Anglais acheter des territoires entiers pour y transporter leur demeure. Il n'y a presque plus sur la surface des Highlands de site un peu remarquable où ne s'élève un château moderne. La terre y vaut en moyenne environ 100 francs l'hectare, ce qui permet d'avoir à bon marché de vastes espaces; les habitations sont à plusieurs lieues les unes des autres, et les domaines qui en dépendent peuplés uniquement de troupeaux et de grouse; mais si l'extérieur de la maison est inculte et désert, l'intérieur présente toutes les jouissances du luxe : contraste éternellement piquant.

D'excellentes routes, des bateaux à vapeur établis sur les lacs et les golfes, facilitent l'accès des recoins. les plus solitaires. L'aspect général du pays est celui d'un vaste parc de plusieurs millions d'hectares, où le

plus grand des jardiniers paysagistes a multiplié à l'infini les effets les plus sublimes. Des milliers de touristes s'y répandent dans la belle saison, si toutefois on peut appeler ainsi l'été de ces contrées, nouvelle source de profits non moins fructueuse que les autres, et que le génie spéculateur des Écossais se garde bien. de négliger.

La plus belle de ces résidences seigneuriales est le château de Taymouth, appartenant à lord Breadalbane, et situé au point où la rivière du Tay sort du lac de ce nom, dans le comté de Perth. Lord Breadalbane descend des chefs du clan des Campbell, un des plus puissants de la haute Écosse; ces domaines ont 100 milles anglais ou 40 lieues de long et vont à peu près d'une mer à l'autre on y fait le vide par les mêmes moyens qu'ailleurs, et le clan proprement dit n'existe plus; mais à la place de l'antique manoir s'élève aujourd'hui un véritable palais, dont la splendeur a étonné la reine elle-même quand elle est venue le visiter. Le parc, traversé par les eaux bondissantes du Tay naissant, planté d'arbres magnifiques, tout peuplé de lièvres, de perdrix et de faisans, émaillé de massifs de fleurs, réunit aux beautés naturelles de ces gorges agrestes les grâces que peut seul donner l'art le plus exquis et qui paraissent incompatibles. Pour vaincre ainsi le sol et le climat, il faut beaucoup d'argent ; ce sont les pâturages qui l'ont fourni depuis qu'ils ne sont habités que par des troupeaux.

Je suis arrivé à Taymouth par une longue soirée. d'été, en longeant la rive gauche du Tay, qui n'a pas moins de six lieues de long; quelques fermes apparaissent de distance en distance sur les bords de cette petite mer, avec leurs champs de turneps et d'avoine; mais sur la montagne proprement dite, on ne voyait aucune

trace d'hommes ou d'habitations. Des moutons à tête noire paissaient sans gardien sur les pentes, et nous montraient, en nous regardant passer, leur petite face de nègre effarouché; les vaches west-Highlands, dont la silhouette se dessinait sur les rochers frappés des derniers rayons, remplissaient l'air, à notre approche, de véritables hurlements; et au moment d'arriver au pont de Kenmore, nous vîmes, sous les grands mélèzes plantés par le père du lord actuel, des daims qui descendaient à la faveur des ombres naissantes, pour aller boire dans le lac. Ces tableaux paisibles valent bien les scènes sanglantes qui se sont passées dans ces lieux mêmes, et qu'a si bien racontées Walter Scott. dans la Jolie fille de Perth.

Les Shetland, les Hébrides et les autres îles qui se groupent autour des Highlands, n'ont pas encore été également visitées par la civilisation; mais les paquebots à vapeur établissent maintenant des communications régulières avec elles, et dans peu d'années l'emploi des mêmes procédés y aura porté les mêmes conséquences. Un spéculateur anglais, sir James Matheson, a acheté la plus grande des Hébrides, l'île de Lewis tout entière, qui a environ 150,000 hectares d'étendue, et y a commencé une série d'améliorations, dont le point de départ est l'émigration plus ou moins volontaire d'une grande partie des habitants.

CHAPITRE XXIII

L'Irlande.

Autant l'histoire agricole de l'Angleterre et de l'Ecosse est brillante, autant celle de l'Irlande est lamentable, au moins jusqu'à ces dernières années. L'avenir de cette île malheureuse a été longtemps une énigme sans mot; aujourd'hui le problème s'éclaircit, mais à qnel prix !

Ce ne sont pas pourtant les ressources naturelles qui lui manquent. De l'aveu même des Anglais, l'Irlande est supérieure à l'Angleterre comme sol. Par une conformation particulière, ses montagnes s'élèvent presque toutes le long des côtes, et l'intérieur forme une vaste plaine. Sa superficie est en tout de 8 millions d'hectares; les rochers, les lacs et les marais en couvrent environ deux, deux autres sont formés de terrains médiocres, tout le reste, c'est-à-dire la moitié environ du territoire, est une terre grasse à sous-sol calcaire, ce qui se peut concevoir de mieux. « C'est le plus riche sol que j'aie jamais vu, dit Arthur Young en parlant des comtés de Limerik et de Tipperary, et le plus propre à tout. » Le climat, plus humide encore et plus doux qu'en Angleterre, y rend les extrêmes de la chaleur et du froid plus complètement inconnus, au moins dans les trois

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