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nurie des capitaux, la moitié au lieu du quart du produit brut; il ne reste pour le bénéfice de l'exploitant et pour les frais accessoires, c'est-à-dire pour ce qu'il y a de plus productif, que le tiers de ce qui leur revient en Écosse. Le bénéfice, qui est en France le dixième environ du produit brut et le tiers de la rente, est en Écosse le quart du produit brut et les quatre cinquièmes de la rente. En Angleterre, le produit brut moyen est double, et la division à peu près la même proportionnellement, sauf que, les impôts étant en Écosse infiniment moins. élevés, la part des fermiers y profite de la différence presque entière.

La plus grande supériorité de l'économie rurale écossaise, c'est le petit nombre de ses travailleurs. Nous avons vu qu'en France la population rurale était de 40 têtes environ par 100 hectares, et en Angleterre de 30; elle est de 12 seulement dans la basse Écosse, pour une production moyenne au moins égale à celle de la France et à la moitié de celle de l'Angleterre ; c'est probablement la proportion la plus basse qui existe en Europe, et elle ira encore en se réduisant, car la production ne cesse de s'accroître, tandis que la population rurale reste stationnaire ou à peu près.

Il y avait autrefois dans la basse Écosse, comme partout, beaucoup de cottiers ou crofters, c'est-à-dire de petits cultivateurs exploitant misérablement quelques hectares de terre, comme métayers, avec des taksmen ou middlemen, c'est-à-dire des régisseurs ou fermiers généraux qui administraient pour le compte du maître. Tous ces cottiers ont disparu; les uns sont devenus ouvriers dans les mines et manufactures, d'autres fermiers, très peu simples ouvriers ruraux. L'étendue moyenne des fermes s'est accrue, sans être encore bien grande, puisqu'elle ne dépasse pas 60 ou 80 hectares, et les fer

miers forment à eux seuls la moitié de la population rurale; les journaliers et domestiques ne font que l'autre moitié. Dans cette seconde moitié, les domestiques payés à l'année et vivant près du maître, dont ils partagent les travaux, forment de beaucoup la majorité ; les journaliers proprement dits font plutôt l'exception que la règle.

Cette organisation me paraît supérieure à celle de l'Angleterre, où les hommes qui vivent uniquement de salaires sont encore trop nombreux, et elle est plus facile à imiter en France que l'organisation anglaise. Nous avons de plus un élément qui manque à l'Écosse, et que je persiste à considérer comme utile dans une certaine mesure, la petite propriété. Avec la petite propriété, pourvu qu'elle ne soit pas poussée trop loin, et que la culture soit bien constituée à d'autres égards, on peut arriver à une combinaison meilleure encore.

Pour le moment, c'est l'organisation écossaise qui est, à mon sens, et malgré le défaut que je viens de signaler, ce qu'il y a de mieux. Si l'on n'y a pas le bon côté de la petite propriété, on n'y a pas non plus le mauvais. Les fermiers écossais, plus sages qu'aucune autre catégorie de cultivateurs, savent parfaitement n'entreprendre que ce qu'ils sont en état de mener à bien. Non seulement, dans ce pays-là, on n'a pas la prétention d'être propriétaire, quand on n'a que le capital nécessaire pour être fermier, mais on se garde bien de louer 50 hectares, quand on n'a que le capital nécessaire pour en exploiter convenablement 25. On sait vivre plutôt au-dessous qu'au-dessus de son revenu, et tel qui voudrait chez nous faire le bourgeois, ne rougit pas de mettre la main à la charrue. On y aime mieux en toute chose la réalité que l'apparence; le malheureux préjugé d'amour-propre qui fait en France tant de victimes,

n'y tient pas contre le bon sens national. Le voyage d'Écosse ne serait pas moins utile, sous ce rapport comme sous beaucoup d'autres, à nos petits et moyens propriétaires qu'aux grands.

L'Écosse a vu d'ailleurs depuis longtemps une révolution qui n'est pas encore faite en France, et qui, en Angleterre même, n'est pas aussi complète, la suppression des communaux. Il n'y a vraiment rien de possible en grand, pour la bonne distribution du travail et de l'aisance, tant qu'une notable partie du sol reste nécessairement à l'état inculte, et ne sert qu'à entretenir la misère et l'oisiveté. Qu'on en garde çà et là quelques échantillons pour servir de promenade publique, comme près de Londres, il n'y a pas de mal; mais il n'en faut pas trop. Les communaux forment encore le vingtième de notre territoire. L'Angleterre en a beaucoup moins; depuis cinquante ans, les actes d'inclosure se sont heureusement multipliés ; un million d'hectares environ a été divisé, enclos et cultivé; mais chaque communal ne peut être divisé dans ce pays que par une loi spéciale. En Écosse, au contraire, il suffit de la demande des intéressés; la législation, qui l'autorise, date de 1695 c'est un des derniers actes et un des meilleurs du parlement d'Écosse. On a remarqué avec raison que, si une loi pareille avait été rendue à la même époque par le parlement anglais, l'agriculture anglaise aurait fait plus de progrès.

Depuis 1695, les communaux écossais ont été successivement livrés à la propriété, surtout dans les lowlands; tout ce qui était cultivable est maintenant cultivé, et les terres cultivables elles-mêmes sont l'objet d'une exploitation intelligente et fructueuse. Quand on remonte à deux ou trois siècles en arrière, on retrouve partout en Europe à peu près la même organisation rurale ;

on s'est plus ou moins éloigné depuis de la barbarie primitive. Cet état de communauté, qui fleurit encore aujourd'hui parmi les paysans de la Russie, a existé partout, et partout a reculé devant la culture.

La population ne s'est pas accrue dans tous les lowlands comme dans les comtés de Lanark et de Renfrew; si dans quelques-uns, comme ceux d'Ayr et d'Édimbourg, elle a triplé depuis un siècle dans beaucoup d'autres, même les plus riches, comme ceux de Haddington et de Linlithgow, qui font partie des Lothians, elle a marché très lentement. Dans l'ensemble, elle a doublé; elle est aujourd'hui d'un peu plus d'une tête pour 2 hectares ou l'équivalent du pays de Galles et des départements du centre de la France, ceux de la HauteVienne, de la Creuse, de la Dordogne et de la Corrèze. Cet accroissement de la population est bien loin d'être en rapport avec l'augmentation de richesse. Dans le même laps de temps, la population de l'Angleterre a triplé, celle de l'Irlande a quadruplé.

Mème sur cette question délicate de la population, les Écossais en savent d'instinct aussi long que les plus grands économistes. Dès que s'élève suffisamment la demande de travail, la population s'accroît pour y faire face; mais la demande de travail ne s'élève pas également partout, et dans les districts exclusivement agricoles, elle tend plutôt à se réduire. L'Écosse vit ainsi à l'abri des inquiétudes et des souffrances que fait naître l'excès de population; elle n'a jamais rien à craindre pour sa subsistance, puisqu'elle exporte volontairement beaucoup de ses produits agricoles; et le petit nombre comme la sobriété de ses consommateurs lui permet de transformer en capital une grande partie de ses revenus.

Nous allons voir dans les Highlands une application bien autrement rigoureuse du même principe.

CHAPITRE XXII

Les Highlands.

Les Highlands, ou hautes terres, comprennent les quatre grands comtés d'Argyle, Inverness, Ross et Sutherland, et la plus grande partie de ceux de Perth, Aberdeen, Banff, Elgin et Narni. En y ajoutant les Hébrides, les Shetland et les autres îles, c'est au moins la moitié de l'Écosse.

J'ai déjà dit quel aspect présentent ces régions désolées presque pas d'arbres, à peine des bruyères, partout des rochers nus et escarpés, des torrents d'eau sous toutes les formes, lacs, cascades, ruisseaux écumants, immenses fondrières, des neiges et des pluies perpétuelles, les vents terribles de l'Océan septentional. Il semble que l'économie rurale ne puisse avoir rien à démêler avec un pareil pays. Les Highlands ont cependant eu leur part de la transformation qui s'est opérée en Écosse, cette part a même été la plus grande, car ces montagnes ont été le théâtre d'une des plus complètes révolutions de ce siècle si fécond en révolutions. Ce qui s'y est passé doit être raconté à part, d'autant plus que la légitimité et l'utilité d'un changement si radical ont été fort contestées. La polémique soulevée à ce sujet a

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