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ennemis. Walter Scott y recueillit dans sa jeunesse, sous la hutte des pâtres montagnards, les légendes nationales qui ont inspiré ses premiers chants. Cette contrée, autrefois si troublée, jouit aujourd'hui de la sécurité la plus parfaite; ses maigres pâturages ne pouvant guère nourrir que des moutons, on s'y livre. uniquement à l'élève de ces innocents animaux, et on n'y voit plus d'autre lutte que celle des cheviots contre l'ancienne race des black-faced ou têtes noires, qui recule peu à peu devant ses rivaux, comme les bandits et les chevaliers du temps passé ont disparu euxmêmes devant les bergers. La rente moyenne peut être de 10 à 12 francs par hectare, ce qui est beaucoup pour de simples pâtures 1. Des tempêtes terribles règnent en hiver sur ces hauteurs et y ensevelissaient autrefois des troupeaux entiers, mais on a aujourd'hui des abris suffisants.

Abbotsford est situé précisément sur la limite de ces montagnes et des pays plus fertiles et mieux cultivés. Le comté de Roxburgh, autrement appelé Teviotdale ou vallée de la Teviot, contient des parties où fleurit la culture la plus avancée. C'est par là qu'elle a commencé à s'introduire. Un fermier de Roxburghshire, nommé Dawson, a été l'Arthur Young de l'Écosse; et plus heureux qu'Arthur Young, il a pu joindre les succès de la pratique aux leçons de la théorie. Ses exemples se sont répandus autour de lui; aujourd'hui le pays est couvert d'excellentes cultures.

Je me souviens de m'être arrêté un jour dans une de ces fermes, située sur la rive gauche de la Tweed, juste en face d'Abbotsford. Le sol en est plus que mé

1 Le Cultivateur écossais trouve cette moyenne trop basse; il connait, dit-il, de simples pâtures à moutons, dans les Borders, qui rapportent plus du double.

diocre, et une grande partie est en parcours; elle est cependant louée 50 francs l'hectare. Le fermier me montra avec un certain orgueil ses instruments et son bétail : il avait une machine à battre mise en mouvement par un courant d'eau, et se proposait d'acheter l'année suivante une machine à vapeur; sa provision de tourteaux pour l'engraissement du bétail en hiver était déjà faite elle s'élevait à 16,000 kilos. 11 me mena voir ses champs qui couvraient le penchant de la montagne. Je le suivais admirant d'un œil ses orges et ses avoines, mais un peu distrait, je l'avoue, par la vue d'Abbotsford, qui déployait sous nos yeux toutes ses tourelles réfléchies par la Tweed. « Si Scott vivait encore, me disais-je, ce brave homme deviendait sans doute un des héros des Contes de mon hôte. » Qui ne se rappelle la charmante peinture de la ferme de Charles-Hope dans Guy-Mannering, avec les bonnes figures du fermier Dinmont et de la fermière Aylie, et les joyeux incidents de la chasse au renard et de la pêche au saumon? Charles-Hope était tout près de là, dans la vallée du Liddell, derrière les cimes bleuâtres qui fuyaient à l'horizon; Dinmont signifie dans la langue locale un mouton antenais.

Quelques milles plus loin vers l'est, quand on descend des hauteurs de Lammermoor, autre nom que la poésie et la musique ont transfiguré, apparaissent les plaines ondulées qui entourent Édimbourg sur une égale étendue d'environ 500,000 hectares, et qu'on appelle les Lothians. Ici la culture devient véritablement sans pareille. Les rentes de 100, 200, 300 francs T'hectare, sont assez communes; la moyenne est de 95 fr., avec un bénéfice à peu près égal pour le fermier. C'est dans les prairies situées près d'Édimbourg, et qui reçoivent les égouts de cette ville, que le maximum

de la rente jusqu'ici obtenu dans la Grande-Bretagne, 2,000 fr. l'hectare, a été atteint1.

Les Lothians se distinguent par la culture des céréales, ils produisent à eux seuls presque tout le froment recueilli en Écosse. Ce sol était considéré autrefois comme ne pouvant pas même porter du seigle; on n'y cultivait que l'orge et l'avoine, qui sont encore les seules céréales généralement usitées dans le reste du pays; on raconte qu'un champ de 8 acres ou 3 hectares, semé en froment, à un mille d'Édimbourg, en 1717, fut l'objet de la curiosité universelle. Aujourd'hui un cinquième des terres, ou 100,000 hectares environ, est en froment; et on y récolte dans les bonnes années de 30 à 40 hectolitres par hectare. C'est encore l'assolement de Norfolk, plus ou moins modifié, suivant les circonstances locales, mais conservant ses caractères généraux, qui a produit cette fécondité. La culture des turneps, base de cet assolement, n'est nulle part mieux entendue. Toutes les améliorations agricoles sont réalisées dans les Lothians plus tôt qu'en Angleterre. Un drainage complet a été depuis longtemps effectué; chaque ferme, ou à peu près, a sa machine à vapeur; la stabulation du gros bétail est une pratique ancienne et générale. La machine à battre, thrashing machine, a été inventée, à la fin du siècle dernier, par un Écossais nommé Meikle, et l'Écosse s'en est servie avant l'Angleterre; c'est encore un Écossais, nommé Bell, qui vient d'inventer la machine à moissonner, ce qui a eu la priorité pour cette invention sur les Américains. Près de Haddington, chez le marquis de Tweeddale, ont eu lieu les plus grandes et les plus heureuses ten

1 Ces prairies, dit en note le Cultivateur écossais, sont coupées six ou huit fois.

tatives qui aient été faites jusqu'ici dans les trois royaumes, pour labourer à la vapeur.

Dans ce seul comté de Haddington, qui n'a pas tout à fait 60,000 hectares, c'est-à-dire à peine l'étendue d'un de nos plus petits arrondissements français, on a compté, en 1853, 185 machines à vapeur employées à l'agriculture, d'une force moyenne de 6 chevaux, soit une par 300 hectares, et 81 machines mues par l'eau.

Autrefois, dans les Lothians comme dans le reste de l'Écosse, les terres d'une ferme étaient partagées entre ce qu'on appelait l'infield et l'outfield. L'outfield restait absolument inculte et servait de pâturage; dans l'infield, au contraire, les récoltes de céréales se succédaient sans interruption, orge et avoine coup sur coup; il serait difficile d'imaginer une pratique plus vicieuse. L'usage de la jachère a été un progrès sur cette barbarie son introduction a eoïncidé avec celle du froment de 1725 à 1750; on en attribue principalement l'honneur au sixième comte de Haddington, qui en avait vu les bons effets en Angleterre. Voilà la distance qui a été parcourue en si peu de temps. Si le point d'arrivée est ce qu'il y a de plus parfait, le point de départ est ce qu'il y avait au monde de pitoyable.

Toutes les fermes des Lothians sont bonnes à visiter. Je n'en citerai qu'une, celle de M. John Dickson, à quelques milles d'Édimbourg, formée de la réunion de trois anciennes fermes. Sa contenance est de 500 acres d'Écosse ou 257 hectares; elle est louée 5 liv. sterl. l'acre ou 243 francs l'hectare, soit en tout 62,450 francs. Cette ferme est une exception par son étendue; il y en a peu de ce genre dans les Lowlands; celles qui l'entourent ne sont pas aussi grandes, mais on y retrouve

1 L'acre d'Écosse vaut 51 ares 41 centiares.

partout les mêmes procédés, et il en est dans le nombre qui sont louées encore plus cher. Malgré ces loyers énormes, les fermiers des Lothians font très bien leurs affaires. Ils ont presque tous de jolies habitations, et quelle que soit la frugalité nationale, ils vivent au moins aussi bien que beaucoup de nos propriétaires aisés. Les salaires profitent comme à l'ordinaire de la richesse commune; ils sont payés moitié en argent, moitié en nature, et s'élèvent en tout à 2 fr. ou 2 fr. 50 par jour.

Je comprends, avec les Lothians proprement dits, pour former 500,000 hectares, toutes les plaines qui s'étendent le long de la mer, de Berwick à Dundee, non seulement au sud, mais au nord du golfe du Forth, même celles qui vont au delà de Perth et qu'on appelle le carse de Gowrie. C'est le quinzième environ de l'étendue totale de l'Écosse et moins du septième des Lowlands. Nous avons vu qu'une étendue égale était couverte par les montagnes des frontières. Les 2,800,000 hectares restants forment la région intermédiaire, qui n'est ni aussi riche que les Lothians ni aussi rude que les Borders. La rente moyenne s'élève à 25 francs environ, et la principale industrie est l'élève du gros bétail.

De ce nombre est d'abord la contrée spéciale qui a reçu le nom de Galloway, chemin des Gallois ou des Celtes, parce qu'elle forme une presqu'île au sud-ouest de l'Écosse, qui semble aller au-devant du pays de Galles et de l'Irlande, et par où des migrations de Celtes sont arrivées dans tous les temps. Elle comprend les deux comtés de Wigton et de Kirkudbright, et une portion de ceux d'Ayr et de Dumfries. Sa surface est tout entrecoupée de ce que les Anglais appellent hills, hauteurs, qui ne sont ni des montagnes proprement dites, ni de simples collines. Le climat est extrêmement

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