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la bataille de Culloden; mais le sentiment d'un ordre meilleur fit de rapides progrès chez elle, et cinquante. ans après, aucune partie de la Grande-Bretagne n'était plus attachée à la maison de Hanovre, personnification de la liberté moderne. Ce peuple, si longtemps fidèle à ses traditions hiérarchiques, s'est trouvé tout à coup, au contact des mœurs et des lois anglaises, un des plus propres à comprendre les bienfaits de l'indépendance individuelle et du self-governement, il a même été du premier coup plus loin que l'Angleterre elle-même; on peut dire que sous le rapport politique, l'Écosse est l'Angleterre perfectionnée.

Nulle part en Europe l'appareil gouvernemental et administratif n'est moindre; il faut aller jusqu'en Amérique pour trouver une pareille simplicité. La centralisation administrative, cette méthode si vantée, qui rançonne les trois quarts de la France au profit de l'autre quart, et qui étouffe partout l'initiative personnelle ou locale, y est absolument inconnue : les fonctionnaires sont peu nombreux, et pour la plupart gratuits. Aucun des abus qui se sont perpétués en Angleterre par la puissance de l'habitude n'a pu s'y établir. Cette église nationale dont l'entretien absorbe dans le reste du Royaume-Uni plus de 200 millions de dîmes, n'y existe pas; les taxes de paroisse et de comté ont été réduites au strict nécessaire; la taxe des pauvres, récemment introduite, n'a pris que peu de développement, et pour tout dire en un mot, la somme des impôts de tout genre payés directement par le sol, qui atteint en Angleterre 25 francs par hectare, dépasse à peine 1 fr. 50 cent. L'income-taxe lui-même n'est perçu qu'avec des ménagements particuliers. Il rapporte 500,000 livres sterl., tandis qu'en Angleterre son produit est dix fois plus élevé.

Les dépenses utiles, que l'impôt alimente ailleurs, ne sont cependant pas négligées. C'est l'Angleterre qui s'est chargée des plus coûteuses, comme l'entretien des forces militaires et l'établissement de routes stratégiques. L'Écosse est en grand ce qu'est en petit l'île de Jersey. Débarrassée du soin de la défense nationale, qui est à la fois le plus grand intérêt et la plus lourde charge des peuples, elle peut consacrer toutes ses ressources au développement de sa prospérité. Cet esprit d'ordre et d'économie, que chacun apporte dans ses propres affaires, passe dans le manie ment des deniers publics; on fait plus avec peu d'argent qu'ailleurs avec beaucoup. Ce que l'impôt ne peut pas exécuter, l'esprit d'association ou d'entreprise privée l'accomplit mieux, plus vite et à meilleur marché. La science économique est là à son berceau, ses enseignements y ont naturellement trouvé leur application la plus immédiate et la plus complète. Un Écossais ne songe jamais à chercher d'autre appui que lui-même, ou ceux qui ont le même intérêt que lui. Il ne perd pas son temps en agitations et en démarches stériles; il n'a rien à demander, à solliciter; tout entier à ses affaires, il les mène bien, parce que rien ne l'entrave ou ne le détourne. Point de ces rivalités que l'ambition fait naître; tout le monde vit à sa guise dans son intérieur, sans chercher à régler l'intérieur d'autrui; et quand on a besoin les uns des autres, ce qui arrive souvent, on s'entend aisément dans une pensée d'utilité commune. Dans ce petit pays de moins de 3 millions d'âmes, la solidarité des intérêts, cette vérité fondamentale que la science a tant de peine à faire comprendre ailleurs, est apparente et sensible pour tous l'Écosse est une famille.

Peut-on s'étonner que l'agriculture ait profité d'un

pareil concours de circonstances? Ses progrès ont été surtout extraordinaires de 1790 à 1815, c'est-à-dire au moment où ces causes réunies ont commencé à agir avec quelque intensité. Le débouché anglais s'est mon tré pendant cette période tout à fait indéfini le blé et la viande étaient montés en Angleterre à des prix énormes, qui, dans un pays neuf comme l'Ecosse, ne pouvaient manquer de donner un essor immense à la production.

S'il est vrai, comme le dit Ricardo, qu'une petite quantité de capital appliquée à une terre vierge suffit pour en tirer plus de fruits qu'une quantité croissante n'en peut créer plus tard, cet axiome économique s'est réalisé pleinement alors on a vu le revenu de certaines terres décupler dans le court espace de quelques années. L'aisance moyenne s'était accrue en même temps à un tel point, qu'au dire du voyageur français, Simond, qui visita Édimbourg en 1810, on montrait alors dans la vieille ville les maisons où avaient vécu naguère les personnes les plus considérables, occupées par les ouvriers et le bas peuple. « Un porteur de chaises, dit un des correspondants de sir John Sinclair, vient de quitter la maison de lord Dunmore comme n'étant plus logeable; celle du marquis de Douglas est occupée par un charron, celle du duc d'Argyle par un marchand de bas qui paye 12 livres sterling de loyer. »

Après la baisse des prix, qui a suivi la paix de 1815, cette progression s'est ralentie; il était impossible qu'elle se soutînt longtemps à la même hauteur, mais elle ne s'est point arrêtée. La création des chemins de fer a cu en Écosse de plus grands effets qu'en Angleterre, en ce sens que l'union des deux pays est devenue plus intime. L'économie des frais de transport, la

promptitude des communications, la suppression des intermédiaires pour le commerce des denrées agricoles, ont contribué à soutenir les cours, que d'autres causes venaient abattre, et cette circonstance a rendu la crise de ces dernières années infiniment moins

rude en Écosse qu'en Angleterre. Très peu de plaintes sont venues d'au delà de la Tweed; propriétaires et fermiers ont fait également bonne contenance, et en réalité ils ont peu souffert; l'extrême esprit d'économie des uns, la sage modération des autres, la libre énergie de tous, avaient préparé ce que l'extension des débouchés a achevé.

CHAPITRE XXI

Les Lowlands.

Ce que je viens de dire s'applique surtout aux basses terres ou Lowlands, qui comprennent la moitié environ de l'Écosse. Les neuf dixièmes du produit total sont obtenus dans cette moitié, qui est de beaucoup la meilleure.

La plus mauvaise partie de la basse Écosse, parce qu'elle n'a de basse que le nom, est celle qui touche à l'Angleterre, et que traversent les ramifications des montagnes du Northumberland. Elle se compose des trois comtés de Dumfries, Peebles, Selkirk, et de la région montagneuse de celui de Roxburgh, formant ensemble environ 500,000 hectares.

Les comtés de Selkirk et de Peebles sont de véritables highlands, dont le dixième seulement est cultivable; c'est le pays rendu si célèbre sous le nom de Borders (frontières) par le génie de Walter Scott; la Tweed le traverse et baigne de ses eaux pures la demeure du grand romancier, Abbotsford. Les scènes principales du Lai du dernier Ménestrel, de Marmion, du Monastère, se passent dans ces défilés, où retentit si souvent le cri de guerre de deux peuples voisins et

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