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Les dunes méridionales du Sussex sont des rangées de collines calcaires de deux lieues de largeur moyenne sur vingt-cinq de longueur environ, qui courent de l'est à l'ouest le long des côtes de la Manche, en face de la France. L'élégante ville de Brigthon, célèbre par ses bains de mer, qui attirent tous les ans une grande partie du beau monde anglais, est située au pied de ces collines, qui présentent un aspect particulier à l'Angleterre ; elles sont entièrement dépouillées de bois, semées çà et là de quelques bruyères, et couvertes sur toute la surface d'une herbe courte, fine et serrée. De tout temps, ces pâturages ont servi à nourrir des moutons à qui ils conviennent parfaitement; mais l'ancienne race de ces South Downs, petite et rustique, donnait peu de viande, leur chair était d'ailleurs très estimée et leur laine recherchée pour certaines espèces de drap.

Un propriétaire du pays, nommé John Ellmann, entreprit, vers 1780, d'appliquer à l'amélioration de cette espèce les procédés qui réussissaient si bien à Bakewell pour le perfectionnement des races à longue laine. Unc circonstance particulière lui permettait de tenter cet essai avec quelque chance de succès; le long des collines du Sussex s'étend une bande de terres basses et cultivées, qui pouvait fournir un supplément de nourriture artificielle pour les moutons des dunes pendant l'hiver. Ce qui retient en effet les moutons de montagne dans un état chétif, c'est moins la maigreur du pâturage en été que le défaut à peu près complet de nourriture en hiver; cette vérité a été surabondamment démontrée par les expériences d'Ellmann et de ses successeurs sur le mouton des dunes.

Dès que ce mouton a ajouté à son régime d'été un bon régime d'hiver, on l'a vu prendre rapidement des

proportions plus fortes, et comme, en même temps, par un choix de bons reproducteurs, on s'appliquait à lui donner, autant que possible, l'aptitude à l'engraissement précoce et la perfection de formes qui caractérisaient le Dishley, il a fini par devenir presque le rival de la création de Bakewell. Aujourd'hui, après soixante-dix ans de soins bien entendus, les moutons South Downs donnent en moyenne 40 à 50 kilos de viande nette. Ils s'engraissent en général vers deux ans et se vendent après leur seconde tonte. Leur chair est considérée comme meilleure que celle des nouveaux Leicester. Le poids de leur toison a doublé, comme celui de leur corps, et comme ils ont conservé l'habitude du pâturage pendant l'été, ils ont gardé leur tempérament robuste et leur rusticité primitive.

On a calculé que les dunes du comté de Sussex, et les plaines qui les avoisinent, devaient nourrir aujourd'hui un million de moutons améliorés, et la race n'est plus renfermée dans ses anciennes limites, elle en est sortie pour se répandre au dehors, soit en se substituant purement et simplement aux variétés locales, soit en s'y mêlant et en les transformant de fond en comble par des croisements; elle a pénétré partout où le sol, sans être assez riche pour nourrir des Dishley, l'est assez cependant pour joindre à de bons pâturages d'été une suffisante alimentation d'hiver elle domine dans toutes les contrées de formation calcaire, tend à remplacer les anciennes espèces des comtés de Berks, de Hants et de Wilts, et dans le nord, on la retrouve jusque dans le Cumberland et le Westmoreland.

L'histoire des moutons Cheviot n'est pas tout à fait aussi brillante que celle des Dishley et des South Downs. Cette race n'est pourtant pas moins précieuse que les autres en ce qu'elle permet de tirer tout le parti pos

sible de régions froides et incultes. Sortie des montagnes intermédiaires entre les hautes chaînes de l'Angleterre et les terres cultivées, elle a dû son amélioration, comme les South Downs, à un supplément de nourriture artificielle pendant l'hiver, autant du moins que l'ont permis les lieux agrestes où elle vit; elle a été de plus, autant qu'aucune autre, l'objet de sélections conduites avec beaucoup de soin, et ses formes sont aujourd'hui aussi parfaites que possible. Les moutons Cheviot perfectionnés s'engraissent dans leur troisième année, ils donnent en moyenne 30 à 40 kilos d'excel lente viande. Leur toison est épaisse et courte ; ils passent l'hiver sur leurs montagnes, exposés à toutes les intempéries des saisons, et ne s'abritent que bien rarement dans des bergeries.

En Angleterre, les Cheviot n'ont guère été introduits hors de leur pays natal que dans les parties les plus montagneuses du pays de Galles et de Cornouailles. En Écosse, où ils ont été importés par sir John Sainclair, ils se sont répandus en très grand nombre; ils ont commencé par envahir les highlands du sud, et ont pénétré de là, en suivant les monts Grampians, jusqu'aux extrémités septentrionales, où ils se propagent avec rapidité. Partout, dans ces régions élevées et orageuses, ils disputent le terrain à une autre race encore plus rustique, la race à tête noire des bruyères, qui leur abandonne peu à peu les meilleures pâtures pour se réfugier sur les cimes les plus sauvages.

Ces trois races tendent aujourd'hui à absorber toutes les autres et à envahir la Grande-Bretagne tout entière. Quelques variétés locales persistent cependant et se développent à part telles sont celle des marais de Rommey dans le comté de Kent, celle des plateaux ou cots wolds du comté de Glocester, les races de Lincoln

et de Teeswater à laine longue, celle de Dorset et de Hereford à laine courte, etc. Toutes ces espèces sont améliorées par des procédés analogues à ceux qui ont été suivis pour les Dishley, les South Downs et les Cheviol. Dans toute l'Angleterre, l'éleveur de moutons s'attache avant tout aujourd'hui, soit en perfectionnant sa race par elle-même, soit en la croisant avec d'autres déjà perfectionnées, soit en substituant une de ces races. à la sienne, suivant que l'un ou l'autre de ces moyens lui paraît le plus efficace, à augmenter la précocité et à arrondir les formes de ses produits. On peut dire que le génie de Bakewell a pénétré tous ses compatriotes.

Essayons maintenant de comparer approximativement les produits annuels que les deux pays retirent de ce nombre égal de moutons.

La production de la laine doit être en France de 60 millions de kilos environ; la même production est évaluée en Angleterre à 550,000 packs de 240 livres anglaises, soit encore 60 millions de kilos. Les deux pays seraient donc sur un pied d'égalité pour la laine; mais l'Angleterre prend le dessus dans une proportion énorme dès qu'il s'agit de la viande.

On abat tous les ans dans les Iles-Britanniques environ 10 millions de têtes, dont 8 millions en Angleterre seulement, qui donnent, au poids moyen de 36 kilos de viande nette, 360 millions de kilos.

On doit abattre en France environ 8 millions de têtes, qui au poids moyen de 18 kilos de viande nette, c'està-dire la moitié des moutons anglais, donnent 144 millions de kilos.

D'où il suit que le produit des 35 millions de moutons français serait représenté par les chiffres suivants:

Laine......
Viande..

60 millions de kilos. 144

Et le revenu des 35 millions de moutons anglais par ceux-ci :

Laine....
Viande..

60 millions de kilos. 360

Sans doute ces chiffres ne sont pas d'une exactitude mathématique, mais ils se rapprochent assez de la vérité pour donner une idée suffisante des faits généraux. J'ai plutôt réduit qu'accru les résultats donnés par les statistiques en ce qui concerne l'Angleterre, et, au contraire, plutôt accru que réduit ce qui concerne la France. David Low, le savant professeur d'agriculture à l'université d'Édimbourg, dans son Traité des animaux domestiques, publié il y a quelques années, porte à 227 millions la valeur de la laine produite annuellement en Angleterre; cette évaluation est évidemment exagérée1; le commentateur français de David Low évalue en même temps le produit des moutons anglais en viande à 640 millions de kilos, ce qui ne serait possible que si tous les moutons anglais étaient des Dishley. D'un autre côté, M. Moreau de Jonnès, dans sa statistique agricole faite sur des documents officiels, porte à 6 millions le nombre des têtes abattues en France,

1 Ici se rapporte une des notes du Cultivateur écossais. D'accord avec moi sur la quantité de viande produite par les moutons britanniques, il incline à penser que j'ai estimé trop bas la quantité de laine; il donne pour raison la taille de ces moutons et la longueur de la toison chez la plupart d'entre eux; mais je crois à mon tour qu'il ne s'est pas suffisamment rendu compte du poids moyen des toisons de nos mérinos et métis-mérinos. Beaucoup atteignent 6 kilos en suint, et on ne peut pas les estimer en moyenne de 3 à 4; les toisons anglaises ne pèsent pas autant. Pour la quantité, comme pour la qualité de la laine, rien ne vaut nos mérinos. Cette supériorité d'une partie de nos moutons compense ce qui manque, sous ce rapport, à nos petites races indigènes; et je crois être dans le vrai en admettant l'égalité des deux pays pour ce genre de production.

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