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Jusqu'à ces derniers temps, la condition générale de la population dans le pays de Galles a laissé beaucoup à désirer. Quoique réunie depuis longtemps à l'Angleterre, cette principauté avait conservé sa langue distincte et son génie particulier. Les Gallois appartiennent, avec les Irlandais, à la race celtique, et comme s'il ne suffisait pas de cette origine pour les séparer des Saxons, l'âpre configuration de leur sol achevait de les isoler. L'antique barbarie s'est maintenue longtemps parmi eux; les efforts des Anglais pour travailler à leur assimilation ont eu souvent, comme en Irlande, un résultat opposé.

La coutume appelée gavelkind était la loi primitive du pays, c'est-à-dire que les terres se partageaient par égales portions entre les mâles : cette législation avait couvert le sol de petits propriétaires pauvres. Il y a deux siècles environ, le gouvernement anglais a cru faire acte de bonne politique en introduisant le droit d'aînesse et en implantant artificiellement la grande propriété. Ces sortes de transformations, quand elles ne sont pas le produit libre et naturel des faits, sont toujours difficiles. Le progrès de la culture a été plutôt retardé qu'avancé par cette réforme prématurée ; le système du fermage a eu beaucoup de peine à pendre, faute de capitaux et de lumières. La population dépossédée est tombée dans une pauvreté plus grande encore, des passions violentes ont fermenté dans son sein et se sont fait jour de temps en temps par de terribles explosions. A l'apparition du chartisme, le pays de Galles a été une de ses forteresses, et l'insurrection de paysans de 1843, bien connue sous le nom original de Rébecca et ses filles, montre que le mal s'est perpétué jusque bien près de nous.

Des hommes barbouillés de noir, sous la conduite

d'un chef déguisé en femme, qu'on appelait Rébecca, apparaissaient tout à coup la nuit sur les points les plus éloignés, brûlant les barrières des routes, démolissant les workhouses et menaçant dans leurs demeures les propriétaires et fermiers. D'autres fois, la prétendue femme-chef prenait le nomde miss Cromwell, fille aînée de Rébecca, et sous ce nom redouté, résurrection confuse des vieux souvenirs révolutionnaires, se signalait par les mêmes exploits que sa biblique mère. L'Angleterre s'amusa d'abord de ces scènes moitié terribles, moitié grotesques, qui avaient de grandes analogies avec l'insurrection des demoiselles dans nos Pyrénées, il y a quelques vingt ans. La terreur devint cependant si grande et si générale parmi ceux qui avaient quelque chose à perdre, qu'il fallut envoyer des troupes et nommer une commission d'enquête. Le calme se rétablit peu peu, moitié de gré, moitié de force; mais l'enquête révéla des faits pénibles, qui témoignaient d'une véritable détresse parmi les populations agricoles.

à

Voulez-vous savoir ce que c'est que Rébecca? répondaient les paysans gallois quand on les interrogeait sur leur chef; Rébecca, c'est la misère. Et en effet Rébecca n'était pour eux que l'expression symbolique de leurs griefs contre la domination anglaise. Partout dans leurs réponses on sent percer le sentiment vague d'une nationalité opprimée. Tantôt c'est l'Église anglicane dont les dîmes les écrasent, tantôt c'est le propriétaire anglais, le régisseur anglais, qu'ils regardent comme des étrangers vivants à leurs dépens. On y retrouve un écho affaibli des plaintes de leurs frères les Irlandais. Il eût mieux valu respecter leurs coutumes nationales, leur laisser leurs petites propriétés, comme on a sagement fait ailleurs, et renoncer à importer parmi eux l'organisation anglaise.

Heureusement le progrès continu de l'exploitation des mines et carrières a fini par atténuer ces souffrances, en donnant de l'occupation aux bras surabondants; le pays de Galles fournit maintenant à lui seul le tiers environ du fer produit par la Grande-Bretagne, et le fer n'est qu'une partie de son immense extraction minérale. Des voies de communication perfectionnées, et parmi elles deux chemins de fer, ont fini par percer ce massif de montagnes et par y ouvrir des courants d'importation et d'exportation. L'industrie agricole est devenue possible: le salaire, qui était tombé aussi bas qu'en Irlande, s'est relevé. Tout n'est pas fait sans doute, et les cantons les plus reculés cachent encore bien des misères; mais l'assimilation s'accomplit rapidement. L'île druidique d'Anglesea, ce dernier refuge de la religion et de la nationalité celtes, est maintenant réunie à la grande île par deux ponts, dont l'un, le célèbre pont-tube, véritable merveille de l'industrie moderne, fait partie du chemin de fer de Londres à Dublin. Partout se font sentir les signes d'une révolution bienfaisante. Tout s'améliore, même les races d'animaux les plus rudes et les plus agrestes. Ces moutons à la laine mêlée de poils, aux cornes droites, aux mœurs farouches, qui tenaient le milieu entre le mouton et le chamois, et qui donnaient tout au plus 10 ou 12 kilos de viande nette, augmentent peu à peu de poids et perdent leur jarre, soit par des croisements avec des races écossaises, soit par de simples perfectionnements dans leur régime ; à leur tour, les bœufs et les chevaux gagnent de la taille et du volume sans perdre de leur rusticité. Un dernier pas reste à faire : la plupart des pâturages de montagne sont encore communaux, c'est-à-dire absolument négligés. Le jour où ils cesseront de l'être, le problème sera tout à fait résolu.

Dans ses rapports avec l'Angleterre, le pays de Galles est un mélange d'Écosse et d'Irlande : pendant longtemps le mauvais côté, le côté analogue à l'Irlande, a prévalu; c'est décidément le bon, le côté semblable à l'Écosse, qui l'emporte.

La presqu'île de Bretagne, qui forme chez nous le pendant du pays de Galles, a beaucoup moins de montagnes; elle contient en outre des ports considérables, comme Brest et Lorient, Nantes et Saint-Malo, qui ont manqué jusqu'ici à la presqu'île galloise 1; sa population est proportionnellement deux fois plus nombreuse, et son développement agricole plus actif, au moins dans les trois quarts du pays. La comparaison tourne donc à notre avantage sur ce point; la cause en est dans la différence de rudesse du sol. La Bretagne doit aussi une partie de cette supériorité à une culture que je m'étonne de ne point voir plus répandue en Angleterre, celle du sarrasin. Ces cinq départements en produisent à eux seuls de quatre à cinq millions d'hectolitres, autant que de froment, et ce grain y sert beaucoup à la nourriture des hommes. Il en est de même dans plusieurs parties de l'Europe, notamment dans les Pays-Bas.

Bien que le sarrasin soit accusé, peut-être avec raison, d'exercer sur le cerveau une action fâcheuse, quand il forme la base principale de l'alimentation, il offre une ressource précieuse, comme supplément, soit pour les hommes, soit pour les animaux ; et sa culture est de celles qui réussissent le mieux dans les sols granitiques, légers et pauvres, pour peu que l'été soit humide et l'automne sans gelée. Tout annonce que le sol et le climat d'une grande partie de l'Angleterre et du pays de Galles seraient très

'Le port de Milford-Haven, qui paraît destiné à un grand avenir, commence à peine à être fréquenté.

favorables à cette plante; on ne la cultive pourtant que par exception, pour nourrir les faisans qui en sont très friands, et quelquefois pour l'enfouir en vert, car c'est un des meilleurs engrais verts connus. Quelques agronomes en ont recommandé la propagation, entre autres Rham, dans son excellent Dictionnaire de la ferme, mais jusqu'ici sans beaucoup de succès. Si quelque praticien hardi et habile s'en empare pour faire l'expérience en grand, nous verrons quelque jour un succès retentissant nous arriver de l'autre côté de la Manche.

Nous apprendrons alors ce qu'on sait déjà dans quelques-unes de nos provinces, comme la Bretagne et une partie de la Normandie, mais ce qu'on ne sait guère que là, tout le parti qu'on peut tirer de cette culture qui n'occupe la terre que pendant trois mois, et qui conséquemment figure au premier rang parmi les cultures dérobées, qui s'accommode de tous les terrains, n'exige que peu d'engrais, n'épuise presque pas le sol, l'entretient parfaitement propre par la rapidité de sa végétation, et qui cependant rapporte en général cinquante pour un, et peut s'élever jusqu'au double; le maïs luimême, quoique bien plus épuisant, ne donne pas davantage. L'analyse chimique démontre que la farine de sarrasin est au moins aussi nourrissante que celle de froment, poids pour poids, et on connaît aujourd'hui des procédés de mouture qui lui enlèvent son âpreté.

Il est aussi, parmi les espèces domestiques, un animal fort peu en faveur à cause de ses instincts capricieux et destructeurs, mais qui mériterait d'être mieux apprécié pour sa fécondité, et qui paraît fait pour des régions comme le pays de Galles; c'est la chèvre. Les dernières statistiques nous apprennent que le nombre des chèvres s'accroît rapidement en Irlande, je n'en suis pas surpris. Outre que la chèvre met bas ordinairement

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