Page images
PDF
EPUB

avec raison pour un des plus beaux monuments de l'Angleterre; le parc a plus de 1,000 hectares, et les terres s'étendent bien au delà. Pendant la dernière crise, presque tous les fermiers ont déserté, le duc actuel s'étant refusé à toute concession sur ses rentes, et il a été forcé de faire exploiter lui-même par des agents. Cette conduite a été sévèrement jugée en Angleterre, où l'opinion impose aux landlords une grande bienveillance envers leurs fermiers; il est d'ailleurs plus que probable que le duc n'a pas fait ses frais. Le long de la Tamise et des autres rivières s'étendent d'excellentes prairies qui fournissent du beurre pour le marché de Londres. Entre le comté d'Oxford et celui de Buckingham s'élève une chaîne de collines calcaires ou downs, nommée les chiltern-hills.

En somme, quiconque veut voir comme un résumé de l'agriculture et du sol de l'Angleterre doit aller visiter le comté d'Oxford et ses voisins. D'autres motifs y attirent le voyageur; la ville d'Oxford est assurément une des plus intéressantes des trois royaumes, et le château de Blenheim, avec sa magnifique collection de tableaux, mérite d'être visité. On trouve dans ce comté comme un échantillon de toutes les cultures, de toutes les terres, de toutes les rentes, de tous les modes d'exploitation, l'ensemble donne une moyenne conforme à la moyenne générale. Ajoutez qu'Oxford est aujourd'hui aux portes de Londres et qu'on y va en très peu d'heures par le chemin de fer. Il n'y a que l'Angleterre industrielle et commerçante qui y manque, le voisinage de Londres et de Bristol n'en tient lieu qu'imparfaitement.

Le comté de Wilts se divise en deux parties fort distinctes, le nord et le sud. Les productions agricoles de ces deux moitiés different comme leur constitution géo

logique le nord, formé de fraîches vallées où coulent les affluents de l'Avon, est un pays d'herbages et de vacheries; le midi, qui se compose de grands plateaux calcaires, comme le Dorset, est une région à céréales et à moutons; on y trouve le fameux plateau connu sous le nom de plaine de Salisbury, où s'élève le monument druidique de Stone-Henge. Dans le nord, la rente monte jusqu'à 100 francs et au delà, dans le midi, elle tombe au-dessous de 50. Dans le nord, les fermes ont une étendue plutôt plus petite que grande, de 25 à 100 hectares par exemple: dans le midi, elles sont immenses; on en trouve de 1,000 et 2,000 hectares, le plus grand nombre est d'environ 500; les fermiers du nord, n'exploitant que de petites fermes, sont en géné ral des hommes sans capital, travaillant par leurs bras et ceux de leurs familles, ceux du midi sont pour la plupart de riches spéculateurs et cependant la prospérité du nord n'a pas reçu d'atteinte, tandis que le sud a été un des pays les plus travaillés par la crise.

C'est que la culture des céréales y avait pris trop de développement. La plaine de Salisbury présente à l'œil J'aspect d'un vaste désert, où quelques fermes se cachent de loin en loin dans les plis de terrain, et où s'étendent à l'infini des champs de blé sans arbres et sans clôtures. Ces immensités servaient autrefois de pâturages à moutons, mais le haut prix des grains avait entraîné à les transformer en terres arables, et cette transformation, bien que lucrative au premier abord, n'avait pas toujours été judicieuse. Ricardo les avait en vue, quand il affirme que l'on commence par cultiver en blé les bonnes terres, puis les médiocres, puis enfin les mauvaises, et que la demande croissant toujours avec la population, c'est la denrée la plus chèrement obtenue qui règle le prix du marché. Cet axiome mathématique,

vrai au moment et pour le pays où il a été émis, a été démenti plus tard dans plus d'une circonstance. L'Angleterre est en train de le reprendre à rebours, en abandonnant successivement la culture des céréales dans les terres mauvaises ou médiocres, et le sud du Wiltshire en sait quelque chose. C'est une détestable condition, en économie rurale comme en économie industrielle, que de produire plus chèrement que tout autre, même quand on commande accidentellement le marché, et le plus prudent est de ne pas s'y fier.

On paraît avoir fait dans cette région une application excessive et mal entendue du principe de la grande culture. La grande culture est excellente quand elle diminue les frais de production, elle ne vant rien quand elle les accroît. Il n'y a rien d'absolu dons ce monde. Les denx parties de l'Angleterre qui souffrent le plus sont le Weald de Sussex et le sud du Wiltshire; dans l'une, le mal vient de ce que les fermes sont trop petites; dans l'autre, de ce qu'elles sont trop grandes. Le meilleur système de culture est tout uniment celui qui, dans une situation donnée, paie à la fois les meilleures rentes, les meilleurs profits et les meilleurs salaires; or, ce n'est pas pour le moment l'état sud du Wiltshire, avec ses fermes démesurées; propriétaires, fermiers et ouvriers, tout le monde souffre; nulle part en Angleterrre les salaires ne sont plus bas, nulle part le nombre des pauvres n'est plus grand. Un des premiers remèdes indiqués est la division de ces vastes fermes qui exigent l'emploi d'un trop grand capital; le second sera probablement la réduction de la sole de céréales et le retour à une économie rurale mieux appropriée à la nature du sol.

Un tout autre spectacle nous attend dans les comtés du centre proprement dits: ceux de Warwick, Wor

cester, Rutland, Leicester et Stafford. Placée entre la région de l'ouest ou des herbages et celle de l'est où domine l'assolement quadriennal, cette région présente l'heureuse association de ces deux systèmes; c'est le plus riche pays de culture de l'Angleterre.

Commençons par le comté de Warwick, où se revèle au premier abord la principale cause de cette grande prospérité rurale. Nous n'avons visité jusqu'ici que des pays exclusivement agricoles ou du moins peu industriels, où les débouchés abondent sans doute plus que dans les trois quarts de notre France, à cause de l'immense ville de Londres et des nombreux ports de la côte, mais où la surexcitation que donne le voisinage des manufactures manque presque absolument. En mettant le pied dans le comté de Warwick, nous entrons dans la région industrielle, et nous nous trouvons, pour commencer, en face de Birmingham et de ses annexes. La population du comté a plus que doublé depuis cinquante ans; elle dépasse aujourd'hui deux têtes humaines par hectare. Les quatre cinquièmes de cette population se livrent à des travaux industriels, d'où il suit qu'un hectare est sollicité à produire la nourriture de deux personnes, qu'un agriculteur qui porte ses produits sur le marché y trouve quatre consommateurs pour se les disputer, et que ces consommateurs, gagnant tous de forts salaires, ont de quoi payer les denrées qu'ils achètent un prix élevé. Comment l'agriculture ne prospérerait-elle pas dans de pareilles conditions?

Il ne faut pas s'imaginer que le sol du Warwick soit partout excellent. Tout le nord du comté formait autrefois une immense lande couverte de bruyères et de bois, ce qu'on appelait une forêt. Aujourd'hui la moitié des terres est en herbages et l'autre moitié en ter

res arables, soumises autant que possible à l'assolement de Norfolk; un quart seulement du sol produit des céréales pour la nourriture de l'homme, et la fertilité de ce quart, ainsi que du reste des terres, est constamment accrue, non seulement par l'engrais qu'y dépose une immense quantité d'animaux, mais par des masses d'engrais supplémentaires achetés dans des villes manufacturières, et transportés à peu de frais par les canaux et les chemins de fer qui traversent le pays. Il ne faut pas s'imaginer non plus que la grande culture domine dans le Warwick et dans les autres comtés industriels; la moyenne des fermes est d'environ 60 hectares, et il y en a beaucoup plus au-dessous qu'audessus. Enfin ce n'est pas la longueur des baux qui beaucoup influé sur le développement agricole; les fermes sont généralement louées à l'année. Les fermiers n'en font pas moins de grands sacrifices pour améliorer le sol qu'ils cultivent, et bien que la rente ait doublé depuis 1770, ils ne se plaignent pas de leurs propriétaires. Tout s'arrange aisément quand on gagne de part et d'autre. Les salaires profitent à leur tour de cette prospérité; ils sont en moyenne de 2 francs par jour de travail.

Un fermier du Warwick, dans les conditions les plus ordinaires, exploite une ferme de 60 hectares ou 150 acres, dont il paye 6,000 francs de loyer, acquitte en outre les taxes qui s'élèvent à 1,500 francs, donne à ses ouvriers d'excellents salaires, et se fait à lui-même, sans beaucoup de peine et de souci, un revenu de 3,000 francs. Ce n'est pas sans doute un aussi grand seigneur que les opulents fermiers du Lincoln et du Norfolk; mais pour nous, Français, qui aimons avant tout la richesse moyenne, cette organisation rurale a quelque chose de plus satisfaisant encore, en ce qu'elle

« PreviousContinue »