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modernes qui marchent comme les sœurs antiques en se donnant la main. Nous obtenons chez nous des résultats analogues avec le noir animal qui a servi aux raffineries de sucre.

Les fromages de Chester pèsent de 50 à 100 livres, les plus gros passent pour les meilleurs. On en fait de plus petits sous la forme de pommes de pin, mais qui sont moins recherchés. Il faut environ quatre litres de lait pour une livre de fromage. On leur donne avec le roucou la couleur rouge qui les distingue, et on le garde quelquefois jusqu'à trois ans en magasin avant de les livrer à la consommation. Le rafraîchissoir pour le lait, le saloir, les larges et puissantes presses en fer, le magasin rempli de ces formes énormes, les ustensiles de bois et de métal parfaitement tenus, tout a, dans ces laiteries, un air d'aisance. La ville de Chester, une des plus curieuses de l'Angleterre par la bizarrerie de sa construction, fait tous les ans un commerce considérable de fromages.

Parmi les produits de l'industrie rurale, celui-là est à mes yeux un des plus intéressants; outre que le fromage fournit au peuple par tout pays un aliment sain, agréable, nourrissant, d'un transport et d'une conservation faciles, divisible à l'infini suivant les besoins et n'exigeant aucune préparation, je ne puis oublier que deux des plus nobles nations de l'Europe moderne, la Hollande et la Suisse, ont primitivement fondé, sur l'exportation de leurs fromages, leur glorieuse indépendance. Il y a plus de rapports qu'on ne croit entre l'histoire politique des peuples et leur économie rurale. Des Pays-Bas, cette industrie est passée en Angleterre, avec la culture des turneps, et le second de ces deux présents vaut presque l'autre.

Aujourd'hui le commerce du fromage paraît devoir

prendre dans le monde une extension immense. Dans les pays producteurs, notamment en Hollande, la hausse des prix atteste les progrès de la demande. Partout où la condition des ouvriers s'améliore, le premier mets que chacun d'eux ajoute à son morceau de pain est un morceau de fromage. Les colonies européennes dans le nouveau monde ouvrent des débouchés indéfinis; c'est surtout pour ces colonies nouvelles que les fromages de Hollande sont enlevés. La France en fabrique d'excellents, mais pas encore en quantités suffisantes. Rien n'est pourtant plus facile à imiter que les qualités les plus estimées de Hollande, de Suisse et d'Angleterre ; il suffit d'un peu de soin et de quelques capitaux. La France possède en outre des types qui lui sont propres et qui rivalisent avantageusement avec les meilleurs de l'étranger; tel est entre autres le fromage de lait de brebis des montagnes de Roquefort, qui n'a point d'analogue en Europe, et qui peut devenir une de nos plus précieuses richesses, comme il est une des plus originales.

CHAPITRE XVII

Comtés du centre.

En poursuivant notre voyage agronomique en Angleterre, nous sommes arrivés à la région du centre. Les premiers comtés à l'ouest de Londres sont ceux de Buckingham, de Berks et d'Oxford, qui n'offrent aucun trait bien saillant, et dont l'agriculture n'est ni au-dessus ni au-dessous de la moyenne.

Le Buckingham contient 190,000 hectares, et sa population n'est que de 160,000 âmes, ce qui révèle au premier abord en Angleterre un pays exclusivement agricole. Le partage des terres entre les diverses cultures, entre les grandes, les petites et les moyennes fermes, est à peu près égal ; il en est de même des plaines et des collines, des terres fortes et des terres légères. La vallée d'Aylesbury passe pour une des plus fertiles du royaume. Un tiers à peu près de ses pâturages est consacré à l'engraissement des moutons, un tiers à l'engraissement du gros bétail, un tiers à la nourriture des vaches laitières. Un des produits les plus estimés est une espèce magnifique de canards blancs, qu'on élève dans les cottages des petits cultivateurs, et qui font, avec le souvenir de John Hampden, l'orgueil du comté de Buckingham.

Le Berkshire touche au comté de Surrey, en remontant la Tamise. A l'est, c'est le même terrain sablonneux et pauvre que dans les comtés de Surrey et de Hants là se trouvent la forêt de Windsor et des étendues de landes incultes; ailleurs, ce sont des collines calcaires ou downs, de la même nature que ceux de Sussex et de Dorset, et une vallée renommée par sa fertilité, qu'on appelle la Vallée du Cheval blanc, parce qu'on a découpé la forme d'un cheval dans une des collines crayeuses qui la bordent. La principale industrie de la vallée est la fabrication du fromage qui passe dans le commerce pour fromage de Glocester. Les collines calcaires nourrissent des troupeaux de moutons qui appartiennent à l'espèce des south-dovns, originaires de dunes analogues. Du côté de Faringdon, on engraisse beaucoup de cochons, la race du comté de Berks étant une des meilleures de l'Angleterre. On y trouve peu de grandes fermes et beaucoup de petites; il reste même quelques yeomen ou petits propriétaires cultivant eux-mêmes.

La ferme la plus célèbre du Berkshire est celle de M. Pusey, membre du parlement, président actuel de la Société royale d'agriculture d'Angleterre 1. Elle contient environ 150 hectares; toutes les parties de la culture y sont également soignées ; mais on admire surtout l'élève et l'engraissement des moutons. Le troupeau se compose de 800 têtes, dont moitié de brebis portières. L'hiver, il est nourri de racines, et l'été dans des prairies arrosées. Ces prairies sont ce qu'il y a de plus remarquable chez M. Pusey. Il a fait venir du Devonshire un irrigateur expérimenté; les travaux lui ont coûté environ 350 francs par hectare. Le produit paraît

'M. Pusey est mort depuis la publication de cet Essai.

énorme, puisque, sur une étendue de 2 acres ou 80 ares, il prétend nourrir pendant les cinq mois d'été 73 beaux moutons south-downs. Ces moutons sont enfermés sur les prairies dans des parcs on déplace les pares quand l'herbe est mangée, on en ôte l'eau avant d'y mettre les moutons, et on l'y remet dès qu'ils sont sortis. M. Pusey affirme que, nourris ainsi et finis ensuite à l'étable avec des grains et des tourteaux, ils sont gras à un an et vendus à un haut prix pour la boucherie. Malgré ces beaux produits et ceux obtenus dans les autres branches, l'opinion générale est que M. Pusey ne fait pas de bénéfices. Il n'en rend pas moins de grands services à l'agriculture. Il est arrivé, tout le monde le reconnaît, à quadrupler le nombre des moutons engraissés et à doubler la quantité des céréales produites dans sa ferme; d'autres chercheront à obtenir ces résultats par des moyens plus économiques, et y réussiront probablement.

La rente moyenne dans le comté d'Oxford est la même que dans le Bucks et le Berks, et présente, suivant les districts, les mêmes inégalités. Nulle part peutètre dans la Grande-Bretagne, le sol n'offre tant de diversité. La rente des terres légères atteint en moyenne 100 francs; mais l'argile d'Oxford étant au moins aussi tenace que celle de Londres, la rente des terres argileuses arrive à peine à 25. L'assolement suivi jusqu'ici dans les terres argileuses est l'ancien assolement triennal blé, avoine, jachère; dans les terres légères, c'est l'assolement de Norfolk, que la richesse accompagne comme toujours.

L'ouest du comté en est la plus mauvaise partie. On y trouve entre autres grandes propriétés celles de Blenheim, appartenant au duc de Marlborough. Le château donné par la nation au vainqueur de Louis XIV passe

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