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donner à un étranger une idée superficielle du reste de l'île; mais au fond elle a un caractère particulier, et les Anglais, plus frappés que nous des différences, peuvent dire avec raison qu'elle fait exception. Cette exception se manifeste partout, dans la nature des cultures, dans l'étendue des fermes, jusque dans la législation. Le Kent formait autrefois un royaume à part; sur cette terre où la tradition est si vivace, il en est resté quelque chose.

Géologiquement, le Kent appartient à ce grand bassin d'argile tenace dont Londres occupe le centre. Ces sortes de terres étant, dans l'état actuel de l'agriculture britannique, les moins bien cultivées et les moins productives, le pays peut être considéré dans son ensemble comme en retard sur beaucoup d'autres; cependant il est moins arriéré que ses voisins les comtés d'Essex et de Sussex, soit que l'argile s'y montre moins rebelle, soit que le grand courant commercial qu'ont entretenu de tout temps l'embouchure de la Tamise et le voisinage de la capitale, y ait favorisé l'esprit d'industrie. Le sous-sol est calcaire. Une ligne de collines crayeuses court le long de la mer et y forme ces blanches. falaises qui ont fait donner à l'île le nom d'Albion.

La rente des terres y était en 1847 à peu près égale à la moyenne, c'est-à-dire de 20 à 25 shillings l'acre, ou de 60 à 75 francs l'hectare, terres incultes et terres cultivées, tout compris. C'est beaucoup sans doute quand on compare ce chiffre à la moyenne des rentes en France, mais peu de chose en comparaison du nord et du centre de l'île. Les agronomes anglais blâment les procédés encore suivis par les cultivateurs du Kent. Ce comté passait autrefois pour un des mieux exploités; il a conservé la plupart de ses anciennes pratiques qui sont aujourd'hui dépassées par les riches et habiles

fermiers du nord. On y trouve plutôt l'ancienne agriculture anglaise que la moderne. Cette riche culture herbagère, l'orgueil et l'originalité du sol britannique, y est répandue. Les terres humides qui longent les fleuves forment à peu près seules des prés naturels; il faut cependant excepter le célèbre marais de Romney, situé le long de la mer, sur une superficie d'environ 16,000 hectares, un des plus riches herbages du royaume. Là s'est formée la belle race de moutons connus sous le nom de New-Kent. A part cette race précieuse, les bestiaux du Kent n'ont rien qui les distingue; ce n'est pas là qu'il faut aller chercher les grands types nationaux. Les cultures même laissent à désirer.

Depuis quelques années, des pratiques perfectionnées se répandent la crise agricole a sévi sur le Kent et amené de nouveaux efforts, l'extension du drainage paraît destinée à transformer ces terres argileuses : mais en général les vieux errements persistent. Tout le monde a pu remarquer, en passant, la lourde charrue du pays traînée par quatre chevaux, quand deux devraient suffire le reste est à l'avenant.

Quand l'île entière s'adonne à deux ou trois cultures principales, le Kent reste fidèle à des productions spéciales qui lui ont mérité le nom de jardin de l'Angleterre. On y récolte la moitié à peu près du houblon produit dans le royaume. Dans les parties les plus rapprochées de la capitale, c'est la culture maraîchère en grand. On y trouve des vergers d'arbres à fruits, des champs de légumes. L'étendue des exploitations varie beaucoup, mais la petite et la moyenne culture dominent. Beaucoup de fermes n'ont pas plus de 10 à 15 acres ou de 4 à 6 hectares, très peu excèdent 20 acres ou 80 hectares; ce qui s'explique par plusieurs causes,

notamment par la législation spéciale qui régit la pro

vince.

Dans le comté de Kent, la succession immobilière du père de famille mourant ab intestat n'est pas de plein droit dévolue à l'aîné, comme dans le reste de l'Angleterre. Les terres, sauf celles qui ont été exceptées par un acte spécial de la législature, sont possédées en gavelkind, c'est-à-dire partagées par égales portions entre les enfants mâles du père de famille mort sans testament,et, à défaut de mâles, entre ses filles. On suppose que c'était là le droit commun de l'Angleterre avant la conquête; il n'en est resté trace que dans le Kent et sur un petit nombre d'autres points. Cette ancienne coutume a eu pour résultat d'y diviser la propriété plus qu'ailleurs. Sous ce rapport capital, comme sous plusieurs autres, le Kent ressemble plus à une province française qu'à un comté anglais. Il est vrai que l'esprit national lutte contre cette disposition de la loi, ce qui n'arrive pas chez nous. La plupart des parents ont soin de faire un aîné par testament; d'autres ont demandé que leurs propriétés fussent placées par des lois spéciales, sous l'empire du droit commun. Le nombre des yeomen, ou propriétaires cultivant euxmêmes, y est encore assez considérable; mais cette classe d'hommes, qui ne se conserve que dans le Kent et dans quelques districts montagneux, tend, là aussi, à s'effacer devant la nouvelle constitution de la propriété et de la culture.

Ce comté est des plus peuplés; il contient environ 600,000 habitants sur une superficie totale de 400,000 hectares, ont une tête et demie par hectare, à peu près la même proportion que dans notre Bas-Rhin. Heureusement l'agriculture n'est pas tout à fait seule à nourrir cette population. Si l'industrie proprement dite a

peu d'activité, le commerce au moins est florissant, grâce aux nombreux ports de la côte, et la condition du peuple paraît meilleure dans le Kent que dans les comtés voisins. La moyenne des salaires d'homme atteint environ 15 francs par semaine, ou 2 francs 50 par jour de travail.

En résumé, le Kent ne présente aucun trait saillant, ni en bien ni en mal, à l'observateur. Il forme, par sa physionomie générale comme par sa situation, une sorte de transition entre le nord-ouest de la France et l'Angleterre. Bien supérieur, comme richesse agricole, à la moyenne de nos départements, il est inférieur dans l'ensemble à nos meilleurs, le Nord et la Seine-Inférieure, par exemple. Presque tous les voyageurs le traversent rapidement pour se rendre à Londres; nous ne nous y arrêterons pas davantage; ailleurs qu'en Angleterre, un pays, arrivé à ce point de production et de population, serait digne de remarque; ici il n'a rien que d'ordinaire. Le paysage même, que les Anglais vantent, est gracieux sans être frappant. Tout s'y montre à l'état moyen, la beauté pittoresque comme la richesse agricole.

Au sud-ouest du comté de Kent s'étend l'ancien royaume des Saxons du Sud, aujourd'hui comté de Sussex. La rente moyenne des terres y descend à 18 shillings l'acre ou 57 francs l'hectare. Les salaires aussi descendent plus bas que dans le Kent; ils sont en moyenne de 12 fr. par semaine, ou 2 francs par jour de travail.

L'étendue du Sussex égale à peu près celle du Kent. La population n'y est que de 300,000 âmes, ou un peu moins d'une tête par hectare. La moitié environ de cette surface forme ce qu'on appelle le Weald. C'est peut-être la partie de l'Angleterre où l'agricul

ture est le plus arriérée. La faute en est à la nature extrêmement argileuse du sol. Dans les siècles passés, ce pays était couvert de forêts épaisses, comme l'indique son nom, qui signifie bois. Encore aujourd'hui, le` Weald est remarquable par la quantité de beaux arbres qu'il produit. Il est partagé en fermes de 50 à 200 acres, ou de 20 à 80 hectares, louées de 5 à 15 shillings l'acre, ou de 15 à 45 francs l'hectare. Même à ce prix, la plupart des fermiers ne peuvent pas payer. Ce sont en général des hommes sans capitaux, aussi ignorants que pauvres; ils avaient à peine de quoi vivre avant la baisse des prix, aujourd'hui leur détresse est extrême. Partout où les rentes sont élevées en Angleterre, les fermiers font mieux leurs affaires que là où elles sont basses; tout se lie dans la pauvreté comme dans la richessse.

Les machines perfectionnées sont peu répandues dans le Weald : on bat encore au fléau. C'est aussi la seule partie de la Grande-Bretagne où l'on cultive encore avec des bœufs. Ces boeufs, d'une grande taille et d'une conformation vigoureuse, contrastent par leur aspect avec les autres races nationales; les vaches sont mauvaises laitières, comme dans toutes les races de travail. On se croirait, en le traversant, dans une de nos moins bonnes provinces.

Un des plus grands propriétaires anglais et des plus occupés d'agriculture, le duc de Richmond, a sa principale résidence, Goodwood, dans le comté de Sussex. Aussi a-t-il été un des chefs de la croisade contre le free trade.

Tout le monde sent que le Weald ne peut pas rester dans l'état où il est. Nulle part une large infusion de capital, pour parler comme sir Robert Peel, n'est plus nécessaire; mais ce capital n'est pas facile à trou

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