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branches de la richesse publique répondraient à ce brillant symbole.

Du reste, si j'ai dû raconter ce qui s'est passé en Angleterre depuis 1847, il ne faut pas en conclure qu'une révolution du même genre me paraisse désirable, ou même possible en France. Nous sommes dans des conditions différentes sous tous les rapports. Il ne peut être question chez nous d'établir le bon marché des subsistances; nous l'avons, puisque l'Angleterre, après tous ses efforts, n'a pas pu descendre plus bas que les plus élevés de nos prix courants, et sur la moitié du territoire, nous ne l'avons que trop. Il ne faut pas confondre les pays riches et peuplés à l'excès avec ceux qui ne le sont pas ; les besoins des uns ne sont pas du tout ceux des autres. Nous ne ressemblons pas à l'Angleterre de 1846, mais à l'Angleterre de 1800. Ce n'est pas la production qui manque chez nous à la consommation, c'est encore la consommation qui, dans la moitié de la France du moins, manque à la production. Au lieu de voir partout le blé à 25 francs l'hectolitre, et la viande à 1 franc 25 centimes le kilogramme, nous avons des pays entiers où le producteur n'obtient guère de ses denrées plus de la moitié de ces prix. Pour ceux-là, ce n'est pas la baisse qu'il leur faut, mais la hausse; ils sont encore bien loin du temps où ils pourront souffrir de l'excès de demande des denrées agricoles et de l'élévation des prix.

Mais il ne faut pas non plus s'imaginer que l'échelle mobile sur les céréales et les droits exorbitants sur les bestiaux étrangers puissent avoir en France une utilité quelconque. En fait, ces droits n'ont été jusqu'ici d'aucun effet pour relever les prix, ils ont plutôt contribué à les abattre, en arrêtant l'essor du commerce. L'agriculture française, qui s'est crue protégée,

ne l'était pas et ne pouvait pas l'être; ses propres prix ne la mettaient que trop à l'abri de la concurrence étrangère. Ce n'est donc pas sur des combinaisons de douane, mais sur l'augmentation de la consommation intérieure par le progrès des communications et des échanges, et à quelques égards sur l'exportation, qu'elle doit compter pour mieux vendre ses produits. Toute autre pensée serait chimérique et, qui plus est, nuisible à ses intérêts. La même liberté de commerce, qui tend à faire baisser les prix des subsistances en Angleterre, parce qu'ils étaient trop hauts, aurait plutôt en France l'effet contraire, parce qu'ils y sont habituellement trop bas, au moins sur un grand nombre de points.

CHAPITRE XIII

Le high farming.

Parmiles innovations agricoles que la dernière crise a suscitées, la plus considérable sans aucun doute, celle qui restera comme l'effet le plus utile de cette grande commotion, c'est le procédé d'assainissement connu sous le nom de drainage. Drainage, en anglais, signifie écoulement. De tout temps l'écoulement des eaux surabondantes a été pour l'agriculture anglaise, surtout dans les sols tenaces, la principale difficulté. On n'avait jusqu'ici employé, pour s'en débarrasser que des moyens imparfaits: le problème est aujourd'hui tout à fait résolu. « Prenez ce pot de fleurs, disait dernièrement en France le président d'un comice; pourquoi ce petit trou au fond? pour renouveler l'eau? Et pourquoi renouveler l'eau parce qu'elle donne la vie ou la mort la vie, lorsqu'elle ne fait que traverser la couche de terre, car elle lui abandonne les principes fécondants qu'elle porte avec elle, et rend solubles les aliments destinés à nourrir la plante; la mort, au contraire, lorsqu'elle séjourne dans le pot, car elle ne tarde pas à se corrompre et à pourrir les racines, et elle empêche l'eau nouvelle d'y pénétrer. » La théorie du drainage est tout entière dans cette image.

L'invention nouvelle consiste à employer, pour effectuer l'écoulement des eaux, au lieu de fossés ouverts ou de tranchées remplies de pierres ou de fascines, procédés connus même des anciens, des tuyaux cylindriques de terre cuite, de quelques décimètres de longueur, et placés bout à bout au fond de rigoles recouvertes de terre. On ne comprend pas d'abord, quand on n'a pas vu l'effet de ces tuyaux, comment l'eau peut s'y rendre et s'échapper; mais, dès qu'on a vu une terre drainée, on ne peut plus conserver le moindre doute. Les tuyaux font l'office du petit trou toujours au fond du pot de fleurs; ils appellent l'eau qui y arrive de toutes parts, et la portent au dehors, soit dans des puisards, soit dans des rigoles d'écoulement, quand la pente du terrain s'y prête. Ces tuyaux sont faits avec des machines qui en rendent la fabrication peu dispendieuse. On les choisit d'un diamètre plus ou moins large, on les pose dans des rigoles plus ou moins profondes, plus ou moins rapprochées, suivant la nature du sol et la quantité des eaux à écouler. L'ensemble du travail, pour achat et pose, coûte en moyenne 250 fr. par hectare; il est maintenant généralement reconnu que c'est de l'argent placé à 10 p. 100, et les fermiers ne refusent à peu près nulle part d'ajouter à leur bail 5 p. 100 par an de la somme consacrée par leurs propriétaires au drainage de leurs champs.

Les effets du drainage ont quelque chose de magique. Prairies et terres arables s'en trouvent également bien. Dans les prairies, les herbes marécageuses disparaissent, le foin devient à la fois plus abondant et de meilleure qualité ; dans les terres arables, même

L'expérience a révélé depuis quelque temps le danger du drainage des prairies dans les parties les moins humides de

les plus argileuses, céréales et racines poussent plus vigoureuses et plus saines; il faut moins de semence pour plus de récolte. Le climat lui-même y gagne sensiblement; la santé des hommes devient meilleure, et, partout où un drainage énergique a été pratiqué, les brouillards de l'île brumeuse semblent moins épais et moins lourds. Il y a dix ans qu'on a parlé du drainage pour la première fois, et un million d'hectares. au moins est aujourd'hui drainé; tout annonce que, d'ici à dix ans, l'Angleterre presque entière le sera. L'île semble sortir des eaux une seconde fois.

La seconde amélioration générale, qui datera de ces dernières années, est un nouveau progrès dans l'emploi des machines, et en particulier de la vapeur. Avant 1848, très peu de fermes possédaient une machine à vapeur; on peut affirmer encore que, dans dix ans, celles qui n'en auront pas seront l'exception. De tous côtés on voit dans les champs s'élever et fumer des cheminées. Ces machines servent à battre le le blé, à hacher les fourrages et les racines, à broyer les céréales et les tourteaux, à élever et à répandre les eaux, à battre le beurre, etc.; leur chaleur n'est pas moins utilisée que leur force, et sert à préparer les aliments des hommes et des animaux. D'autres machines à vapeur mobiles se louent de ferme en ferme, comme un ouvrier, pour faire la grosse besogne. On a inventé de petits rails-way portatifs dont on se sert pour conduire les fumiers dans les champs et pour rapporter les récoltes. Des machines à faucher, à faner, à moissonner, à défoncer, sont à l'essai. On a même entre

l'Angleterre; je mentionne ici ce fait exceptionnel pour mettre sur leurs gardes ceux qui s'occupent d'importer le drainage en France. On ne saurait prendre trop de précautions, quand il s'agit d'une innovation agricole.

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