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sont partagé cette bonne aubaine, moyens et petits en ont eu leur part.

Il est une dernière voie qui fait refluer vers la propriété du sol une grande partie des capitaux créés par l'industrie : c'est l'acquisition de propriétés rurales par des commerçants enrichis. Ces acquisitions, plus nombreuses qu'on ne paraît le croire en France, ajoutent beaucoup à la richesse moyenne de la propriété, et contribuent à la rendre plus libérale envers le sol. Les nouveaux propriétaires portent dans l'administration de leurs biens ruraux une largeur de ressources et une hardiesse de spéculation qui se rencontrent rarement au même degré chez les autres. En voici un exemple entre mille. Le fils d'un riche manufacturier de Leeds, M. Marshall, a acheté, il y a quelques années, une terre de 2,000 acres ou 400 hectares à Padrington, près de l'embouchure de l'Humber, dans l'East-Riding du comté d'York. Les énormes dépenses qu'il y a faites aussitôt en reconstruction de bâtiments, établissement de machines à vapeur, drainages, chaulage, etc., sont célèbres dans toute l'Angleterre.

Des phénomènes analogues se produisent en France tous les jours, avec moins d'intensité sans doute, parce que l'industrie est moins productive, mais avec les mêmes caractères et dans les mêmes conditions. Que de fortunes faites depuis cinquante ans dans les terrains de Paris et des autres villes de France! Que de riches indemnités déjà payées pour des chemins de fer, des canaux, des mines, des usines! Que de rentes doublées par l'ouverture de nouveaux moyens de communication ou le développement dans le voisinage de grands ateliers industriels! Enfin que de terres qui passent tous les jours des mains de propriétaires obé

rés et pauvres aux mains d'acquéreurs plus riches! Telest le mouvement naturel d'une société en progrès, mouvement qui s'accélère par lui-même quand aucune catastrophe politique ne vient l'arrêter.

Réduite à ces termes, la question agricole n'est plus qu'une question de prospérité générale. Si la société française, retardée dans son essor par tous les obstacles qu'elle a elle-même suscités, pouvait jamais avoir devant elle cinquante années semblables à celles qui se sont écoulées de 1815 à 1848, nul doute qu'elle ne regagnat, en agriculture comme en tout, la distance qui la sépare de sa rivale. Le plus difficile est fait. Nous disposons, aussi bien que les Anglais, de ces moyens puissants qui multiplient aujourd'hui l'action du travail, et qui, appliqués à une terre presque neuve, peuvent précipiter à l'infini le progrès de la richesse. Nulle part les chemins de fer ne sont appelés à produire une révolution plus profonde et plus lucrative que chez nous. En Angleterre, ces voies merveilleuses ne rapprochent que des pays déjà rapprochés par d'autres moyens de communication, et dont les produits se ressemblent. Chez nous, elles auront pour effet de réunir des régions toutes différentes de climats et de produits, et qui n'ont encore entre elles que des communications imparfaites. Nul ne peut dire d'avance ce qui doit sortir d'une transformation aussi radicale.

Il importe donc que nos propriétaires et cultivateurs se rendent bien compte des seuls moyens qui peuvent les enrichir, afin qu'ils n'apportent pas eux-mêmes des entraves à leur prospérité. Leur opposition n'empêcherait pas le cours des choses, mais elle pourrait le rendre lent et pénible. Toute jalousie des inté rêts industriels et commerciaux ne peut faire que du mal aux uns comme aux autres. Voulez-vous encou

rager l'agriculture, développez l'industrie et le commerce qui multiplient les consommateurs, perfectionnez surtout les moyens de communication qui rapprochent les consommateurs des producteurs; le reste suivra nécessairement. Il en est du commerce et de l'industrie à l'égard de l'agriculture, comme de la culture des plantes fourragères et de la multiplication des animaux à l'égard de la production céréale; il semble d'abord qu'il y ait opposition, et au fond il y a un tel enchaînement que l'un ne peut faire de progrès sérieux sans l'autre.

Les débouchés, voilà le plus grand, le plus pressant intérêt de notre agriculture; les procédés à suivre pour augmenter la production ne viennent qu'après. J'ai indiqué les principaux procédés suivis en Angleterre, j'en indiquerai bientôt d'autres. L'agriculture nationale peut y trouver des exemples utiles, mais je suis loin de les donner comme des modèles à imiter partout. Chaque sol et chaque climat a ses exigences et ses ressources; le midi de la France, par exemple, n'a presque rien à emprunter aux méthodes anglaises; son avenir agricole est pourtant magnifique. Il n'y a qu'une loi qui ne souffre pas d'exception et qui porte partout les mêmes conséquences, la loi du débouché.

CHAPITRE XII

La réforme douanière.

Nous avons en quelque sorte assisté à la génération de la richesse agricole anglaise; son principe est dans la prédilection de la classe riche pour la vie rurale; outre les avantages directs qui en résulteut pour les campagnes, ces mœurs ont produit la liberté politique et l'ont préservée du contact impur des révolutions; la liberté sans révolutions a produit un immense développement industriel et commercial, et le développement industriel et commercial a produit à son tour une grande prospérité agricole; l'impulsion féconde. est revenue à son point de départ. Il nous reste à nous rendre compte d'un événement récent qui paraît contraire à ces prémisses, et qui n'en est pourtant qu'une conséquence; je veux parler de la réforme douanière de sir Robert Peel et de la crise qui l'a suivie.

Au milieu de ses grandeurs et de ses richesses, l'Angleterre est toujours en présence d'un immense danger qui est la conséquence de sa richesse même, l'excès de population. Voilà déjà un demi-siècle qu'un de ses plus illustres enfants, Malthus, a poussé le cri d'alarme pour la prévenir; depuis cette époque, elle a eu plusieurs fois de tristes avertissements dans les soulève

ments causés par la disette. Quelle que soit la rapidité du développement agricole, il a peine à suivre le mouvement plus rapide encore de la population. La hausse des subsistances est l'effet certain de cette agglomération d'hommes. On vient de voir combien cette hausse a été utile, en ce qu'elle a excité les progrès de l'agriculture; mais il est un point où elle devient nuisible, c'est quand elle atteint un prix de disette, scarcity price; alors la souffrance d'une portion notable de la population réagit sur le reste, et l'ensemble de la machine sociale ne fonctionne plus que péniblement.

Dans l'état de production que nous avons indiqué, et avec une population de 28 millions d'habitants, la répartition égale des subsistances obtenues par l'agriculture dans les trois royaumes donnait le résultat suivant viande, 60 kilos par tête; froment, 1 hectolitre et demi; orge et avoine, 1 hectolitre ; lait, 72 litres; pommes de terre, 7 hectolitres; bière, 1 hectolitre; valeur totale, 130 francs d'après les prix anglais, et avec la réduction de 20 p. 100, 105. En France, la même répartition donnait le résultat suivant: - viande, 28 kilos; volailles et œufs, l'équivalent de 6 kilos de viande environ; lait, 30 litres; froment, 2 hectolitres; seigle et autres grains, 1 hectolitre et demi; pommes de terre, 3 hectolitres; légumes et fruits, une valeur de 8 francs; vin, 1 hectolitre; bière et cidre, 1 demi-hectolitre; valeur totale, 105 francs

L'alimentation moyenne était donc, à peu de chose près, équivalente dans les deux pays. Les îles Britanniques avaient l'avantage pour la viande, le lait et les pommes de terre ; la France, à son tour, reprenait le dessus pour les céréales, les légumes, les fruits, et pour la qualité comme pour la quantité de la boisson. A

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