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PRÉFACE

DE LA PREMIÈRE ÉDITION

(Mars 1854.)

Cet Essai est un fragment du cours d'études que j'avais entrepris pour l'enseignement de l'Économie rurale à l'Institut national agronomique. Quand il ne m'a plus été permis d'en faire usage pour l'enseignement oral, j'ai pensé que ces notes pourraient être utiles sous une autre forme, et j'ai commencé par les publier en extraits dans la Revue des Deux Mondes. L'accueil bienveillant qu'a reçu cette série, soit en France, soit en Angleterre, me décide aujourd'hui à la réunir en un volume.

J'espère donner bientôt une suite à cette publication. J'ai eu le temps de faire, pendant la courte durée de l'Institut agronomique, un cours complet d'économie rurale, dans les années 1851 et 1852. Je rédige en ce moment mes leçons, et je les publierai prochainement. Mais j'ai cru utile, dans l'intérêt même de la

1 Cette promesse n'a pas encore été tenue, mais je ne désespère pas de la tenir; le volume que j'ai publié sur l'Agriculture et

science, de faire précéder l'exposé didactique de ses principes par une démonstration pratique de son utilité.

Quelques personnes me font dès à présent l'honneur de me consulter sur ce qu'il y aurait à faire en France, pour tirer parti des exemples que nous donnent l'Angleterre et l'Écosse. La réponse à cette question sera dans mon Cours d'Économie rurale, autant du moins qu'il m'est possible de la donner à moi seul, car il ne faut pas oublier que mon enseignement n'était qu'une branche du faisceau, et que les cours d'agriculture, de zootechnie, de génie rural et des autres sciences appliquées, physique, chimie, etc., en formaient l'indispensable complément.

Malheureusement notre pays est beaucoup plus habile à détruire qu'à fonder, et cette grande tentative n'est plus qu'un souvenir. Des germes précieux, qui porteront plus tard leurs fruits, ont pu cependant se développer. Je n'en citerai qu'un exemple, parce qu'il vient d'être consacré par une récompense académique; je veux parler des recherches de M. Doyère, professeur de zoologie, pour la destruction des insectes. nuisibles, et en particulier de l'alucite des blés, dont les ravages s'élèvent périodiquement à des sommes énormes. D'autres conséquences de ces quelques années d'étude paraîtront successivement au grand jour.

Si j'en juge par les nombreux témoignages de sympathie que je reçois, l'attention publique se porte en ce moment chez nous vers l'agriculture avec beaucoup de vivacité. Je m'applaudis de ce mouvement, je

la population, peut d'ailleurs être considéré comme un commencement d'exécution.

suis heureux et fier d'y avoir contribué pour ma faible part, mais je ne puis dissimuler qu'il m'inspire en même temps quelques inquiétudes.

L'agriculture est le plus beau de tous les arts, mais il est en même temps le plus difficile; il exige avant tout de la patience, de la persévérance, qualités fort rares parmi nous. Prenons garde d'ajouter de nombreux chapitres de plus à l'histoire déjà fort longue des mécomptes agricoles. S'il en était ainsi, nous ne tarderions pas à retomber dans le découragement, et, en définitive, nous aurions reculé au lieu d'avancer.

Je m'adresse surtout à ceux qui, comme moi, se sont tournés vers la vie rurale, après avoir essayé d'autres carrières, et par dégoût des révolutions de notre temps. Au sein de la nature, qui ne change pas, ils trouveront ce qu'ils cherchent, l'activité dans le calme et l'indépendance par le travail, mais pourvu qu'ils n'entreprennent pas trop à la fois.

Le premier soin de quiconque veut se livrer à des améliorations agricoles doit être d'étudier les causes locales de ce qu'on appelle la routine; très souvent ces causes ne sont que transitoires, accidentelles, et on peut les écarter hardiment; souvent aussi elles sont profondes et fondamentales, et on est sûr de succomber en les attaquant de front. Le plus prudent est de marcher pas à pas, en s'éclairant toujours par l'expérience, et en laissant une large place au temps. Si la pratique, qui prétend se passer de théorie est misérable, la théorie, qui prétend se passer de pratique, est vaine et téméraire.

Il y a une différence radicale entre la France et l'An

gleterre c'est, dans l'une, l'extrême simplicité, et, dans l'autre, l'extrême diversité du problème; on se trompe presque toujours quand il s'agit de la France, parce qu'on veut généraliser; rien ne se prête moins à la généralisation que cette immense variété de sols, de climats, de cultures, de races, d'origines, de conditions sociales et économiques, qui font de notre unité apparente un monde multiple à l'infini.

Pour en revenir à cet Essai, j'aurais pu indiquer au bas des pages les nombreuses sources où j'ai puisé, mais j'ai craint de grossir inutilement le volume; je me bornerai à dire ici qu'indépendamment de mes observations personnelles pendant les quatre voyages que j'ai faits en Angleterre depuis 1848, j'ai particulièrement consulté les Lettres sur l'agriculture anglaise en 1851, par M. Caird, commissaire du Times, le meilleur ouvrage de ce genre qui ait paru depuis Arthur Young, les excellents écrits de MM. Porter et Mac Culloch, et les recueils périodiques anglais consacrés aux matières économiques et agricoles.

Je ne veux pas terminer cette préface sans rendre un hommage public à M. le comte de Gasparin, qui a rempli pendant deux ans les fonctions de directeur général de l'Institut national agronomique, et qui, en cette qualité, a bien voulu encourager mes travaux et ceux de mes collègues. Puisse ce témoignage de reconnaissance et de respect de l'un de ses plus dévoués collaborateurs adoucir pour lui l'amertume du coup qui a atteint sa vieillesse, après une vie si noblement consacrée au bien public et en particulier au progrès de l'agriculture nationale!

AVERTISSEMENT

DE LA SECONDE ÉDITION

(Mars 1855.)

Une traduction anglaise de cet Essai, faite avec beaucoup de soin, a paru à Édimbourg et à Londres; elle est accompagnée de Notes par un cultivateur écossais. Ces notes sont peu nombreuses et viennent presque toujours à l'appui de ce que j'ai avancé ; il en est cependant quelques-unes qui indiquent un léger dissentiment; j'ai eu soin de les discuter au bas des pages de cette seconde édition.

Les journaux anglais ont généralement rendu compte de mon livre dans des termes dont je ne saurais trop les remercier. Quelques-uns m'ont reproché d'avoir trop atténué le produit brut agricole de la Grande-Bretagne. Je m'attendais à ce grief, et je l'avais en quelque sorte annoncé d'avance; je ne crois pourtant pas l'avoir mérité. Je me suis donné beaucoup de peine pour contrôler les uns par les autres les documents statistiques que j'avais pu réunir. Si je me suis trompé, ce n'est qu'après avoir fait en toute conscience tous les efforts possibles

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