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Tes cris, tes longs sanglots remplissent | Voyez quels succès ils obtiennent?

toute l'ile.

Les citoyens de loin reconnaissent tes pleurs.

"La voici, disent-ils, la femme de douleurs !"

L'étranger, te voyant mourante, échevelée,

Demande: "Qu'as-tu donc, ô femme désolée !"

-"Ce qu'elle a? Tous les dieux contre elle sont unis:

La femme désolée, elle a perdu son fils."

AU PIED DE L'ÉCHAFAUD.1

ANDRE CHÉNIER.

Une victoire chaque jour;

Ce fameux Charleroi qu'ils prennent
Comme on entre dans un faubourg.

Et ce Fleurus-Dieu me pardonne,
| Je jurerais à ce nom-là ;
Quand Luxembourg nous y rossa,
Ce fut de couronne à couronne
Du moins qu'alors on batailla.
Mon gros prédécesseur Guillaume,
Trouvant du moins à qui parler,
Dut aisément se consoler.
Luxembourg était gentilhomme.
Un duc et pair, quoique bossu,
Est un adversaire de note,

Par lui sans honte on est vaincu ;
Mais il est dur d'être battu

Par un général sans-culotte.

COMME un dernier rayon, comme un Goddem! c'est trop. De tous côtés,

dernier zéphyre

Anime la fin d'un beau jour,

Voyez-vous nos villes se rendre,
Nos soldats fuir épouvantés

Au pied de l'échafaud j'essaye encor ma De la Belgique et de la Flandre?

lyre.

Peut-être est-ce bientôt mon tour; Peut-être avant que l'heure en cercle promenée

Ait posé sur l'émail brillant,

Ces Français, comme des volcans,
Ont couvert notre territoire.
Moins rapides que les torrens,
Les fougueux aquilons plus lents,
Je suis quasi tenté de croire

Dans les soixante pas où sa route est Que, dominateurs de la gloire,

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Avant que de ses deux moitiés

Et souverains des élémens,
Ils ont décrété la victoire.

Je date de ce jour maudit,
Et j'ai fermement dans la tête,

Ce vers que je commence ait atteint la Qu'avec tous ses plans de conquête dernière,

Peut-être en ces murs effrayés

Cobourg ne sait trop ce qu'il dit ;
Et que, malgré tout son esprit,

Le messager de mort, noir recruteur des Mon cher lord Pitt est un peu bête. ombres,

Escorté d'infâmes soldats,

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J'enrage et tenez, savez-vous, Savez-vous bien que nous en sommes Remplira de mon nom ces longs corridors Pour notre argent et pour nos hommes,

sombres.

ÉPITRE DE GEORGE, ROI D'ANGLE-
TERRE, À CELUI DE PRUSSE.

JEAN-ARMAND CHARLEMAGNE. 1794.

QUELS enragés, mon cher confrère,
Que ces nouveaux Républicains?
Point de quartier ! pour cri de guerre,
Et, pour manoeuvre militaire,
La baïonnette dans les reins.

Et qu'on se moque encor de nous ?
Oui, s'en moquer la chose est claire ;
Car on nous chansonne à Paris
Quand on nous bat sur la frontière ;
J'ai là-dessus de bons avis.
La dure vérité se mêle
À des traits piquans, acérés ;
Le sarcasme pleut comme grêle,
Sur nos trônes déshonorés.
Nos couronnes sont ravalées
Dans maint vaudeville malin ;
Par Gilles et par Arlequin
Nos majestés sont persiflées.
On rit si fort à nos dépens

1 Composé le 7 thermidor 1794, au matin, peu Que, par un revers de médaille,

d'instants avant d'aller au supplice.

Sur le théâtre où l'on nous raille,

LA PRISE DE TOULON.

Les peuples sont d'honnêtes gens, Et nous autres rois la canaille.

Voyez-vous, j'ai peur quelquefois ;
Je crains qu'un dénoûment tragique,

N'achève la farce des rois.
Par une étincelle électrique,
Le système se communique.
Notre siècle est philosophique,
Et l'on raisonne en tapinois.

Entre nous deux, soyons sincères.
Les rois ne sont point ici-bas
Absolument nécessaires.
Quand un roi ne s'en mêle pas,
Un peuple en fait mieux ses affaires.
De cet aveu ne dites rien :
Je soupçonne qu'en république
On peut vivre encore assez bien.
Les rois sont chers à l'entretien,
Et, quand on sait l'arithmétique,
Et qu'on a le choix du moyen,
On prend le plus économique.
Quel homme ne calculera
Que moins il nous en donnera
Et plus il en aura de reste ?
Pour nous quel résultat funeste,
Si jamais on pense à cela.

Avisez-y, la crise est forte,
Qui sait ce qui retournera?
Le pauvre genre humain déjà
Assez malgré lui nous supporte.
J'ai peur, je ne m'en dédis pas,
Que bientôt tout aille de sorte,
Qu'on mette nos trônes à bas
Et nos majestés à la porte.

Que ferions-nous en pareil cas?
Triste figure, je suppose.
Nous ne sommes bons qu'à régner,
C'est-à-dire à très-peu de chose.
Un roi sait manger son dîner;
Mais, mon ami, je vous assure
Qu'il risquerait fort de jeûner,
S'il se trouvait par aventure
Jamais réduit à le gagner.
Denis, dépouillé de l'empire,
Fut maître d'école, dit-on.
Comparaison n'est pas raison.
Denis avait appris à lire ;
Ce talent-là lui profita.
Nos connaissances assez minces
Ne s'étendent pas jusque là.
Les rois (c'est démontré cela)
Sont ignorans comme des princes.
Mon camarade, il est constant

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Que plus des trois quarts de la terre,
Sont encor sots passablement ;
Fermant les yeux à la lumière,
L'univers est aveugle encor.
Prenons bien garde à son essor;
Nous sommes perdus s'il s'éclaire.

En risquant cet événement,
Comme il se peut qu'incessamment,
Des rois sonne l'heure suprême,
Il nous faut, en cas d'accidens,
Apprendre à travailler nous-même,
Et des métiers à nos enfans.

LA PRISE DE TOULON.

LA HARPE. 1794.

AIR: De la Marseillaise.

ILS ont payé leur perfidie; Ils ont fui, ces Anglais pervers. En vain par un lâche incendie, Ils ont cru venger leurs revers; En embrasant ces édifices, Ces murs qu'ils n'ont pu garantir, Ils n'ont rien fait qu'anéantir Les repaires de leurs complices. Triomphe, Liberté ! donne partout des lois;

Ton sort est désormais de vaincre tous les rois.

De leurs cohortes fugitives, Si Dunkerque fut le cercueil, Toulon contemple de ses rives Le naufrage de leur orgueil. Poursuivis par notre vengeance, Ces ennemis, jadis si fiers, N'auront montré sur les deux mers Que leur crime et leur impuissance. Triomphe, Liberté, etc.

O vous, dont la funeste adresse, Changeant de masque chaque jour, Par l'excès ou par la faiblesse, Voulut nous perdre tour à tour, Cédez aux destins de la France; Vos trahisons n'ont plus d'appui, Et l'Anglais emporte avec lui, Et sa honte et votre espérance. Triomphe, Liberté ! donne partout des lois ;

Ton sort est désormais de vaincre tous

les rois.

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1 "Cette ode a une histoire. Sa bonne fortune a attiré, dès le premier pas, l'attention sur son auteur. Elle a dû son succès à une méprise, car quelques traits heureux ne lui auraient pas mérité tant d'honneur.

"Faite au prytanée de Saint-Cyr au moment même où se passaient les événements et à mesure que les bulletins de la grande armée arrivaient au collège, l'Ode à la grande armée fut publiée par le Moniteur, presque en même temps que la victoire d'Austerlitz, et parvenait à l'empereur lorsqu'il était encore pour ainsi dire sur le champ de bataille.

"Le comte Daru, alors intendant général de la grande armée, a plus d'une fois raconté à l'au

teur, devenu son confrère à l'Académie fran-çaise, comment Napoléon en a eu connaissance

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Osez - -vous rappeler la guerre sur vos bords?

Et ne voyez-vous pas que vers vous l'Angleterre

Détourne le tonnerre

Qui déjà menaçait de dévorer ses ports?

Par son large Océan vainement remparée, Elle perdait l'orgueil qui l'avait rassurée, Et, pâle, se troublait derrière ses vais

seaux ;

L'œil tourné vers nos camps, ses subites alarmes,

Dès que brillaient des armes, et quel accueil il lui fit. C'était le soir, dans le Se figuraient la France avançant sur les

salon de Schoenbrunn. Le prince de Talleyrand, le prince de Neuchâtel et le comte Daru avaient dîné avec l'empereur. L'empereur assis prenait son café, quand M. Daru, ouvrant le Moniteur,

eaux.

qu'il trouva sur la cheminée, fit un mouvement De loin, dans tous les vents, son oreille de surprise. Qu'est-ce, Daru?' dit l'empereur. Voilà, sire, dans le Moniteur, une ode

sur la bataille.' Ah! et de qui?' 'De Lebrun,

sire.' 'Ah! ah! voyons, lisez-nous cela, Daru.' L'empereur ne doutait pas que ce ne fût du Lebrun que ses admirateurs comme ses critiques avaient surnommé Pindare. On n'en

connaissait pas d'autre. L'ode fut louée et critiquée. Finalement, ordre fut donné d'écrire au ministre de l'intérieur qu'il était accordé à

Croyait

Comme

Et vous,

inquiète

sans cesse ouïr le bruit de la trompette,

un cerf qui frissonne au son lointain du cor:

cerfs imprudents qu'elle lance à sa place, Vous venez, dans sa trace,

Lebrun une pension de 6,000 francs. On ne Au pas de nos coursiers pour elle fuir

tarda pas à connaître que l'ode attribuée, à Schoenbrunn comme à Paris, au poëte de l'Institut, etait d'un élève de Saint-Cyr. N'importe,'

encor.

dit l'empereur, donnez la pension à l'auteur de Comme elle aura souri d'orgueil et d'artil'ouvrage.' Seulement elle fut proportionnée à l'âge de cet auteur, doublement heureux et de la

fice

faveur qui lui était faite, et de celle dont il fut À voir tomber sur vous, tranquille spec

l'occasion, car la pension de 6,000 francs fut en effet donnée peu après au vieux poëte, qui en

la même époque, 1er janvier 1806.”—P. LEBRUN.

tatrice,

avait besoin. Les deux pensions partirent de Tous ces traits que déjà vers elle nous

lancions!

ODE À LA GRANDE ARMÉE.

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Et quels mépris pour vous! mépris bien Et qu'a dit Albion? "Je suis reine de

légitimes,

Si, vendant les victimes, Vous livrez à son or le sang des nations.

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Mais, pour notre salut, l'infernale tempête

Respecta les lauriers qui défendaient sa tête.

Sous un si noble abri le héros fut sauvé; Ou plutôt le pouvoir qui dans le ciel réside

Couvrit de son égide

l'onde;

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En avant, grenadiers! Déjà, qui le peut croire ?

Le canon dans Paris annonce une victoire.

Trente drapeaux conquis sont venus l'attester.

Chaque jour nous en vient apprendre une nouvelle, Qu'un bulletin fidèle

Ce front qu'au diadème il avait réservé. S'en va, de place en place, au peuple

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Pareils en leur désordre aux feuilles dis- | L'œil brillant, comme l'aigle, et la joue

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Nos aigles triomphantes

animée,

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Demain !" tous l'ont redit. Et la nuit passe en fêtes, Et le jour sur leurs têtes

Et livrent sans combat leurs bataillons Du soleil d'Austerlitz vient dorer nos

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