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Et cependant les nymphes fur le foir
Avec refpect ayant fervi fa table,
On l'endormit au fon des inftrumens.

Le lendemain mêmes enchantemens,
Mêmes feftins, pareille férénade;
Et le plaifir fut un peu moins piquant.
Le lendemain lui parut un peu fade
Le lendemain fut trifte et fatigant ;
Le lendemain lui fut infupportable.

Je me fouviens du temps trop peu durable,
Où je chantais dans mon heureux printemps
Des lendemains plus doux et plus plaifans.
La belle enfin chaque jour fêtoyée
Fut tellement de fa gloire ennuyée,
Que, déteftant cet excès de bonheur,
Le paradis lui fefait mal au cœur.
Se trouvant feule, elle avife une brèche
A certain mur; et femblable à la flèche
Qu'on voit partir de la corde d'un arc,
Madame faute, et vous franchit le parc.

Au même instant palais, jardins, fontaines, Or, diamans, émeraudes, rubis,

Tout difparaît à fes yeux ébaubis ;

Elle ne voit que les ftériles plaines

D'un grand défert, et des rochers affreux :
La dame alors, s'arrachant les cheveux,
Demande à Dieu pardon de fes fottifes.
La nuit venait; et déjà fes mains grifes

Sur la nature étendaient ses rideaux.

Les cris perçans des funèbres oifeaux,
Les hurlemens des ours et des panthères
Font retentir les antres folitaires.
Quelle autre fée, hélas ! prendra le foin
De fecourir ma folle aventurière !
Dans fa détreffe elle aperçut de loin,
A la faveur d'un refte de lumière,
Au coin d'un bois, un vilain charbonnier,
Qui s'en allait par un petit fentier,
Tout en fifflant, retrouver fa chaumière.
,, Qui que tu fois, lui dit la beauté fière,
" Vois en pitié le malheur qui me fuit;
" Car je ne fais où coucher cette nuit. :
Quand on a peur, tout orgueil s'humanife.

Le noir pataut, la voyant fi bien mife, Lui répondit: Quel étrange démon ,, Vous fait aller dans cet état de crife, ,, Pendant la nuit, à pied, fans compaguon? Je fuis encor très-loin de ma maison. ,, Çà, donnez-moi votre bras, ma mignonne; "On recevra fa petite perfonne

,, Comme on pourra. J'ai du lard et des œufs. ,, Toute française, à ce que j'imagine,

›› Sait, bien ou mal, faire un peu de cuisine. • Je n'ai qu'un lit; c'est assez pour nous deux », Difant ces mots, le ruftre vigoureux,

D'un gros baifer fur fa bouche ébahie,

Ferme l'accès à toute repartie;
Et par avance il veut être payé
Du nouveau gîte à la belle octroyé.
Hélas, hélas! dit la dame affligée,
Il faudra donc qu'ici je fois mangée
D'un charbonnier ou de la dent des loups!
Le désespoir, la honte, le courroux
L'ont fuffoquée; elle est évanouie..
Notre galant la rendait à la vie:
La fée arrive, et peut-être un peu tard.
Préfente à tout, elle était à l'écart.

,, Vous voyez bien, dit-elle à fa filleule,
" Que vous étiez une franche bégueule.
,, Ma chère enfant, rien n'eft plus périlleux
" Que de quitter le bien pour être mieux.

La leçon faite, on reconduit ma belle Dans fon logis. Tout y changea pour elle En peu de temps, fitôt qu'elle changea. Pour fon profit elle fe corrigea. Sans avoir lu les beaux moyens de plaire Du fieur Moncrif, et fans livre elle plut. Que fallait-il à fon cœur?... qu'il voulût. Elle fut douce, attentive, polie, Vive et prudente; et prit même en fecret Pour charbonnier un jeune amant discret, Et fut alors une femme accomplie.

ENVOI A MADAME DE FLORIAN (1).

CHLOÉ, quand mon impertinente

A la fin connut la façon

De devenir femme charmante,

C'eft de vous qu'elle prit leçon ;
Mais elle eft loin de fon modèle.
Votre fort eft plus fingulier;
Vous aviez pis qu'un charbonnier,
Et vous avez mieux choifi qu'elle.

LES

FINANCES.

1775.

QUAND Terra

UANDTerrainous mangeait,un honnête bourgeois, Laffé des contre-temps d'une vie inquiéte, Tranfplanta fa famille au pays champenois : Il avait près de Rheims une obfcure retraite; Son plus clair revenu confiftait en bon vin. Un jour qu'il arrangeait sa cave et fon ménage, Il fut dans fa maison vifité d'un voifin, Qui parut à fes yeux le feigneur du village:

(1) Jolie génevoise qui, après avoir fait divorce avec Rillet fon mari, homme d'efprit, mais un peu bizarre, avait épousé M. de Florian, gentilhomme de Languedoc, alors veu d'une nièce de M. de Voltaire.

Cet homme était fuivi de brillans eftafiers,
Sergens de la finance habillés en guerriers.
Le bourgeois fit à tous une humble révérence,
Du meilleur de fon cru prodigua l'abondance;
Puis il s'enquit tout bas quel était le feigneur
Qui fefait aux bourgeois un tel excès d'honneur.
Je fuis, dit l'inconnu, dans les fermes nouvelles,
Le royal directeur des aides et gabelles. . . .

Ah! pardon, Monfeigneur! Quoi, vous aidez le roi?..
Oui, l'ami.... Je révère un fi fublime emploi :
Le mot d'aide s'entend: gabelles m'embarraffe.
D'où vient ce mot?... D'un juif appelé Gabelus....(a)
Ah, d'un juif! je le crois.... Selon les nobles us
De ce peuple divin, dont je chéris la race,

Je viens prendre chez vous les droits qui me font dus.
J'ai fait quelques progrès par mon expérience
Dans l'art de travailler un royaume en finance.
Je fais loyalement deux parts de votre bien :
La première eft au roi, qui n'en retire rien ;
La feconde eft pour moi. Voici votre mémoire.
Tant pour les brocs de vin qu'ici nous avons bus;
Tant pour ceux qu'aux marchands vous n'avez point vendus
Et pour ceux qu'avec vous nous comptons encor boire.
Tant pour le fel marin duquel nous préfumons
Que vous deviez garnir vos favoureux jambons. (b).
Vous ne l'avez point pris, et vous deviez le prendre.
Je ne fuis point méchant, et j'ai l'ame affez tendre.
Compofons, s'il vous plaît. Payez dans ce moment

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