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CONTE MORAL.

DANS fes

A NS fes écrits un fage italien

Dit que le mieux eft l'ennemi du bien;
Non qu'on ne puiffe augmenter en prudence,
En bonté d'ame, en talens, en science;
Cherchons le mieux fur ces chapitres-là :
Par-tout ailleurs évitons la chimère.

Dans fon état, heureux qui peut se plaire,
fe
Vivre à fa place, et garder ce qu'il a !
La belle Arsène en eft la preuve claire.
Elle était jeune ; elle avait à Paris
Un tendre époux empreffé de complaire
A fon caprice, et fouffrant fon mépris.
L'oncle, la fœur, la tante, le beau-père
Ne brillaient pas parmi les beaux efprits;
Mais ils étaient d'un fort bon caractère.
Dans le logis, des amis fréquentaient ;
Beaucoup d'aifance, une affez bonne chère ;
Les paffe-temps que nos gens connaiffaient,
Jeu, bal, fpectacles et foupers agréables
Rendaient fes jours à peu-près tolérables:
Car vous favez que le bonheur parfait
Eft inconnu; pour l'homme il n'eft pas fait.
Madame Arsène était fort peu contente
De fes plaifirs. Son fuperbe dégoût

Dans fes dédains fuyait ou blâmait tout :
On l'appelait la belle impertinente.
Or admirez la faiblesse des gens.
Plus elle était diftraite, indifférente,

Plus ils tâchaient, par des foins complaifans,
D'apprivoiser fon humeur méprifante;
Et plus auffi notre belle abufait

De tous les pas que vers elle on fefait.
Pour fes amans encor plus intraitable;
Aife de plaire, et ne pouvant aimer,
Son cœur glacé fe laiffait confumer

Dans le chagrin de n'avoir rien d'aimable :
D'elle à la fin chacun fe retira.

De courtisans elle avait une lifte,
Tout prit parti; feule elle demeura
Avec l'orgueil, compagnon dur et trifte:
Bouffi, mais fec, ennemi des ébats,
Il renfle l'ame, et ne la nourrit pas.
La dégoûtée avait eu pour marraine
La fée Aline. On fait que ces efprits
Sont mitoyens entre l'efpèce humaine
Et la divine; et monfieur Gabalis
Mit par écrit leur hiftoire certaine.
La fée allait quelquefois au logis
De la filleule, et lui difait : › Arsène,
"Es-tu contente à la fleur de tes ans?
,, As-tu des goûts et des amusemens?
,, Tu dois mener une affez douce vie.

L'autre en deux mots répondait : je m'ennuie.
,, C'est un grand mal, dit la fée, et je croi
" Qu'un beau fecret c'eft de vivre chez foi. ››
Arsène enfin conjura fon Aline

De la tirer de fon maudit

pays.

›› Je veux aller à la sphère divine :
Faites-moi voir votre beau paradis;
"Je ne faurais fupporter ma famille
›› Ni mes amis. J'aime affez ce qui brille,
,, Le beau, le rare; et je ne puis jamais
,, Me trouver bien
que dans votre palais;
› C'est un goût vif dont je me fens coiffée. "
Très-volontiers, dit l'indulgente fée.

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Tout auffitôt dans un char lumineux
Vers l'Orient la belle eft transportée :
Le char volait; et notre dégoûtée,
Pour être en l'air, fe croyait dans les cieux.
Elle defcend au féjour magnifique
De la marraine. Un immenfe portique,
D'or cifelé dans un goût tout nouveau
Lui parut riche et paffablement beau;
Mais ce n'eft rien quand on voit le château.
Pour les jardins, c'eft un miracle unique ;
Marli, Verfaille et leurs petits jets-d'eau
N'ont rien auprès qui furprenne et qui pique.
La dédaigneufe, à cette œuvre angélique,
Sentit un peu de fatisfaction.

Aline dit: Voilà votre maison ;

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"Je vous y laisse un pouvoir defpotique,
,, Commandez-y. Toute ma nation
,, Obéira fans aucune réplique.

"J'ai quatre mots à dire en Amérique,
,, Il faut que j'aille y faire quelques tours :
"Je reviendrai vers vous en peu de jours.
"J'efpère au moins, dans ma douce retraite,
,, Vous retrouver l'ame un peu
fatisfaite.

Aline part. La belle en liberté

Refte et s'arrange au palais enchanté,
Commande en reine, ou plutôt en déesse.
De cent beautés une foule s'empreffe
A prévenir fes moindres volontés.
A-t-elle faim? cent plats font apportés ;
De vrai nectar la cave était fournie,

Et tous les mets font de ambrofie;
pure

Les vafes font du plus fin diamant.

Le

repas fait, on la mène à l'inftant
Dans les jardins, fur les bords des fontaines,
Sur les gazons refpirer les haleines

Et les parfums des fleurs et des zéphyrs.
Vingt chars brillans de rubis, de faphirs,
Pour la porter fe préfentent d'eux-mêmes;
Comme autrefois les trépieds de Vulcain
Allaient au ciel, par un reffort divin,
Offrir leur fiége aux majeftés fuprêmes.
De mille oifeaux les doux gazouillemens,
L'eau qui s'enfuit fur l'argent des rigoles,

Ont

Ont accordé leurs murmures charmans:
Les perroquets répétaient fes paroles,

Et les échos les difaient après eux.

Telle Pfyché, par le plus beau des Dieux
A fes parens avec art enlevée,
Au feul Amour dignement réservée,
Dans un palais des mortels ignoré,
Aux élémens commandait à son gré.
Madame Arsène eft encor mieux fervie;
Plus d'agrémens environnaient fa vie;
Plus de beautés décoraient fon féjour;
Elle avait tout, mais il manquait l'Amour.
On lui donna le foir une mufique
Dont les accords et les accens nouveaux
Feraient pâmer foixante cardinaux.

Ces fons vainqueurs allaient au fond des ames ;
Mais elle vit, non fans émotion,

Que pour chanter on n'avait que des femmes.
Dans ce palais point de barbe au menton !
A quoi, dit-elle, a pensé ma marraine ?
Point d'homme ici ! Suis-je dans un couvent ?
Je trouve bon que l'on me ferve en reine;
Mais fans fujets la grandeur eft du vent.
J'aime à régner, fur des hommes s'entend :
Ils font tous nés pour ramper dans ma chaîne:
C'eft leur deftin, c'eft leur premier devoir ;
Je les méprise et je veux en avoir.
Ainfi parlait la reclufe intraitable;
Contes, Satires, &c.

H

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