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Tout fraîchement fortis de leurs fales prifons,

Difant avoir tout fait, et n'ayant rien
pu faire ;
Ils penfaient conferver leur empire ordinaire.
Les lâches font cruels : le moine confeilla
De faire au pied des murs empaler Abdala.
Misérable! c'est vous qui méritez de l'être,
Dit le prince éclairé, prenant un ton de maître;
Dans un lâche repos vous m'aviez corrompu :
Je dois tout à ce turc, et tout à ma maîtresse :
Vous m'aviez fait dévot, vous trompiez ma jeuneffe:
Le malheur et l'amour me rendent ma vertu.
Allez, brave Abdala, je dois vous rendre grâce
D'avoir développé mon efprit et mon cœur.
De leçons déformais il faut que je me passe;
Je vous fuis obligé, mais n'y revenez pas.
Soyez libre, partez; et fi vos deftinées
Vous donnent trois fripons pour régir vos Etats,
Envoyez-moi chercher; j'irai, n'en doutez pas,
Vous rendre les leçons que vous m'avez données.

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L'EDUCATION D'UNE FILLE.

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Es amis, l'hiver dure, et ma plus douce étude Eft de vous raconter les faits des temps paffés. Parlons ce foir un peu de madame Gertrude.

Je n'ai jamais connu de plus aimable prude : Par trente-fix printemps fur fa tête amaffés, Ses modeftes appas n'étaient point effacés. Son maintien était fage, et n'avait rien de rude; Ses yeux étaient charmans, mais ils étaient baiffés. Sur fa gorge d'albâtre une gaze étendue, Avec un art difcret en permettait la vue. L'induftrieux pinceau d'un carmin délicat, D'un vifage arrondi relevant l'incarnat, Embelliffait fes traits fans outrer la nature : Moins elle avait d'apprêt, plus elle avait d'éclat ; La fimple propreté compofait fa parure.

Toujours fur fa toilette eft la fainte Ecriture:
Auprès d'un pot de rouge on voit un Maffillon,
Et le petit Carême eft furtout fa lecture ;

Mais ce qui nous charmait dans fa dévotion,
C'eft qu'elle était toujours aux femmes indulgente:
Gertrude était dévote, et non pas médisante.

Elle avait une fille; un dix avec un fept
Compofait l'âge heureux de ce divin objet,
Qui depuis fon baptême eut le nom d'Ifabelle:
Plus fraîche que fa mère, elle était auffi belle;
A côté de Minerve on eût cru voir Vénus.
Gertrude à l'élever prit des foins affidus.
Elle avait dérobé cette rofe naiffante

Au fouffle empoifonné d'un monde dangereux :
Les converfations, les fpectacles, les jeux,
Ennemis féduifans de toute ame innocente,
Vrais piéges du démon , par les faints abhorrés,
Etaient dans la maifon des plaifirs ignorés.

Gertrude en fon logis avait un oratoire,
Un boudoir de dévote, où, pour fe recueillir,
Elle allait faintement occuper fon loifir,
Et fefait l'oraifon qu'on dit jaculatoire.
Des meubles recherchés, commodes, précieux,
Ornaient cette retraite au public inconnue :
Un efcalier fecret loin des profanes yeux
Conduifait au jardin, du jardin dans la rue.

Vous favez qu'en été les ardeurs du foleil Rendent fouvent les nuits aux beaux jours préférables; La lune fait aimer fes rayons favorables:

Les filles en ce temps goûtent peu le fommeil.

Ifabelle inquiéte, en fecret agitée,

Et de fes dix-fept ans doucement tourmentée,
Refpirait dans la nuit fous un ombrage frais,
En ignorait l'ufage et s'étendait auprès ;

Sans favoir l'admirer regardait la nature ;
Puis fe levait, allait, marchait à l'aventure,
Sans deffein, fans objet qui pût l'intéreffer;
Ne penfant point encore, et cherchant à penser.
Elle entendit du bruit au boudoir de fa mère.
La curiofité l'aiguillonne à l'inftant:

Elle ne foupçonnait nulle ombre de mystère ;
Cependant elle hélite, elle approche en tremblant,
Pofant fur l'efcalier une jambe en avant,

Etendant une main, portant l'autre en arrière,
Le cou tendu, l'œil fixe, et le cœur palpitant,
D'une oreille attentive avec peine écoutant.
D'abord elle entendit un tendre et doux murmure,
Des mots entrecoupés, des foupirs languissans.
Ma mère a du chagrin, dit-elle, entre fes dents;
Et je dois partager les peines qu'elle endure.

Elle approche: elle entend ces mots pleins de douceur;
André, mon cher André, vous faites mon bonheur,
Ifabelle à ces mots pleinement fe raffure.
Ma tendreffe, dit-elle, a pris trop de fouci ;
Ma mère eft fort contente et je dois l'être auffi.
Ifabelle à la fin dans fon lit fe retire,

Ne peut fermer les yeux,

fe tourmente et foupire :

André fait des heureux ! et de quelle façon ?

Que ce talent eft beau ! mais comment s'y prend-on?

Elle revit le jour avec inquiétude.

Son trouble fut d'abord aperçu par Gertrude.

Ifabelle était fimple, et fa naïveté

Laiffa parler enfin fa curiofité.

Quel eft donc cet André, lui dit-elle, Madame,
Qui fait, à ce qu'on dit, le bonheur d'une femme ?
Gertrude fut confufe: elle s'aperçut bien
Qu'elle était découverte, et n'en témoigna rien :
Elle fe compofa; puis répondit: Ma fille,
Il faut avoir un faint pour toute une famille ;
Et depuis quelque temps j'ai choisi faint André.
Je lui fuis très-dévote; il m'en fait fort bon gré :
Je l'invoque en fecret ; j'implore fes lumières ;
Il m'apparaît fouvent la nuit dans mes prières;
C'eft un des plus grands faints qui foient en paradis.

A quelque temps de là, certain monfieur Denis,
Jeune homme bien tourné, fut épris d'Ifabelle.
Tout confpirait pour lui, Denis fut aimé d'elle,
Et plus d'un rendez-vous confirma leur amour.
Gertrude en fentinelle entendit à fon tour

Les belles oraifons, les antiennes charmantes,
Qu'Ifabelle entonnait quand fes mains careffantes
Preffaient fon tendre amant de plaifir enivré.
Gertrude les furprit et fe mit en colère.
La fille répondit: Pardonnez-moi, ma mère,
J'ai choifi faint Denis, comme vous faint André.
Gertrude dès ce jour, plus fage et plus heureuse,
Confervant fon amant, et renonçant aux faints,
Quitta le vain projet de tromper les humains :
On ne les trompe point. La malice envieuse
Porte fur votre mafque un coup d'œil pénétrant;

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