Page images
PDF
EPUB

dit-il, je crois que le nom de fadaifes eft le plus convenable; la plupart des chofes qu'on fait, qu'on dit et qu'on imprime,

méritent affez ce titre.

J'admirai la modeftie de mon cousin, et j'en fus extrêmement attendrie. Jérôme Carré arriva alors dans la chambre. Guillaume fit fon teftament, par lequel il me laiffait maîtreffe abfolue de fes manufcrits. Jérôme et moi lui demandâmes où il voulait être enterré; et voici la réponse de Guillaume, qui ne fortira jamais de ma mémoire.

"Je fens bien que n'ayant été élevé dans " ce monde à aucune des dignités qui ,, nourriffent les grands fentimens, et qui ,, élèvent l'homme au-deffus de lui-même; ,, n'ayant été ni conseiller du roi, ni échevin, "ni marguillier, on me traitera après ma ,, mort avec très-peu de cérémonie. On me ,, jettera dans les charniers Saint-Innocent, ,, et on ne mettra sur ma fosse qu'une croix ,, de bois qui aura déjà fervi à d'autres; ,, mais j'ai toujours aimé fi tendrement ma ,, patrie, que j'ai beaucoup de répugnance ,, à être enterré dans un cimetière. Il ,, eft certain qu'étant mort de la maladie ,, qui m'attaque, je puerai horriblement. ,, Cette corruption de tant de corps qu'on Contes, Satires, &c.

C

enfevelit à Paris dans les églifes, ou " auprès des églises, infecte néceffairement ,, l'air; et comme dit très-à propos le jeune › Ptolomée, en délibérant s'il recevra Pompée

,, chez lui:

.... Ces troncs pourris exhalent dans les vents
De quoi faire la guerre au refte des vivans.

,, Cette ridicule et odieuse coutume de paver les églifes de morts caufe dans ,, Paris tous les ans des maladies épidémiques, et il n'y a point de défunt qui "ne contribue plus ou moins à empefter ,, fa patrie. Les Grecs et les Romains étaient ,, bien plus fages que nous : leur sépulture "'était hors des villes, et il y a même ,, aujourd'hui plufieurs pays en Europe ,, où cette falutaire coutume est établie. "Quel plaifir ne ferait-ce pas pour un bon "citoyen d'aller engraiffer, par exemple, ,, la ftérile plaine des Sablons, et de contri,, buer à faire naître des moiffons abon

dantes! Les générations deviendraient ,, utiles les unes aux autres par ce prudent ,, établissement; les villes feraient plus ,, faines, les terres plus fécondes. En vérité,

je ne puis m'empêcher de dire qu'on ,, manque de police pour les vivans et , pour les morts ».

Guillaume parla long-temps fur ce ton. Il avait de grandes vues pour le bien public, et il mourut en parlant, ce qui est une preuve évidente de génie

Dès qu'il fut paffé, je réfolus de lui faire des obsèques magnifiques, dignes du grand nom qu'il avait acquis dans le monde. Je courus chez les plus fameux libraires de Paris; je leur propofai d'acheter les œuvres pofthumes de mon coufin Guillaume; j'y joignis même quelques belles differtations de fon frère Antoine, et quelques morceaux de fon coufin iffu de germain, Jerôme Carré. J'obtins trois louis d'or comptant, fomme que jamais Guillaume n'avait poffédée dans aucun temps de fa vie. Je fis imprimer des billets d'enterrement; je priai tous les beaux efprits de Paris d'honorer de leur préfence le fervice que je commandai pour le repos de l'ame de Guillaume; aucun ne vint. Je ne pus affifter au convoi, et Guillaume fut inhumé fans que perfonne en sût rien. C'eft ainfi qu'il avait vécu ; car encore qu'il eût enrichi la foire de plufieurs opéra comiques qui firent l'admiration de tout Paris, on jouiffait des fruits de son génie, et on négligeait l'auteur; c'est ainsi, (comme dit le divin Platon) qu'on fuce l'orange, et qu'on jette l'écorce; qu'on cueille les

fruits de l'arbre, et qu'on l'abat ensuite. J'ai toujours été frappée de cette ingratitude.

Quelque temps après le décès de Guillaume Vade, nous perdîmes notre bon parent et ami Jérôme Carré, fi connu en fon temps par la comédie de l'Ecoffaife qu'il difait avoir traduite pour l'avancement de la littérature honnête; je crois qu'il est de mon devoir d'inftruire le public de la détresse où se trouvait Jérôme dans les derniers jours de fa vie: voici comme il s'en ouvrit en ma présence à frère Giroflée fon confeffeur:

,,Vous favez, dit-il, qu'à mon baptême " on me donna pour patrons S Jérôme, 99 St Thomas et St Raimond de Pennafort, et ,, que quand j'eus le bonheur de recevoir , la confirmation, on ajouta à mes trois ", patrons St Ignace de Loyola, St François

Xavier, St François de Borgia et St Régis, , tous jéfuites, de forte que je m'appelle " Jérôme-Thomas - Raimond - Ignace - Xavier

François-Régis Carré. J'ai cru long-temps ,, qu'avec tant de noms je ne pouvais ,, manquer de rien fur terre. Ah! fière "Giroflée, que je me fuis trompé il faut ,, qu'il en foit des patrons comme des valets,

,, plus on en a, plus on eft mal fervi. Mais ,, voyez, s'il vous plaît, quelle eft ma déconvenue, (car ce terme est très-bon, , quoi qu'en dife un poliffon; Montagne, ,, Marot et plufieurs auteurs très-facétieux ,, en font fouvent usage, il est même dans ,, le dictionnaire de l'académie.) Voici donc

, mon aventure:

[ocr errors]

"On chaffe les révérends pères jéfuiftes ou jefuites, pour ce que leur institut est pernicieux, contraire à tous les droits ,, des rois et de la fociété humaine, &c. &c. ¿ Or Ignace de Loyola ayant créé cet institut appelé Régime, après s'être fait feffer au ,, collège de Sainte-Barbe, Xavier, François 2 Borgia, Régis, ayant vécu dans ce régime, "il eft clair qu'ils font tous également ,, répréhenfibles, et que voilà quatre faints ,, qu'il faut néceffairement que je donne à tous les diables.

,, Cela m'a fait naître quelques fcrupules fur St Thomas et St Raimond de Pennafort. "J'ai lu leurs ouvrages, et j'ai été confondu » quand j'ai vu dans Thomas et dans Raimond » à peu-près les mêmes paroles que dans » Bufembaum. Je me fuis défait auffitôt de ces deux patrons, et j'ai brûlé leurs

.livres وو

" Je me fuis vu ainfi réduit au feul nom

« PreviousContinue »