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SATIRES.

Le Diable un jour fe trouvant de loifir,
Dit: Je voudrais former à mon plaifir
Quelque animal dont l'ame et la figure
Fût à tel point au rebours de nature,
Qu'en le voyant l'efprit le plus bouché
Y reconnût mon portrait tout craché.
Il dit : il prend une argile enfoufrée,
Des eaux du Styx imbue et pénétrée ;
Il en modèle un chef-d'œuvre naissant,
Pétrit fon homme, et rit en pétriffant.
D'abord il met sur une tête immonde.
Certain poil roux que l'on fent à la ronde;
Ce crin de juif orne un cuir bourgeonné,
Un front d'airain, vrai cafque de damné ;
Un fourcil blanc cache un œil fombre et louche;
Sous un nez large il tord fa laide bouche.

Satan lui donne un ris fardonien,

Qui fait frémir les pauvres gens de bien,
Cou de travers, omoplate en arcade,
Un dos cintré propre à la baftonnade;
Puis il lui fouffle un esprit impofteur,
Traître et rampant, fatirique et flatteur;
Rien n'épargnait. Il vous remplit la bête
De fiel au cœur, et de vent dans la tête.
Quand tout fut fait, Satan confidéra
Ce beau garçon, le baisa, l'admira;

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Endoctrina, gouverna fon ouaille,

Puis dit à tous Il eft temps qu'il rimaille.
Auffitôt fait l'animal rimailla,

Monta fa vielle, et Rabelais pilla;

Il griffonna des ceintures magiques
Des Adonis, des aïeux chimériques ;
Dans les cafés il fit le bel-efprit;

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Il nous chanta Sodome et JESUS-CHRIST;
Il fut fifflé, battu pour fon mérite,
Puis fut errant, puis fe fit hypocrite:
Et pour finir, à fon père il alla ;

Qu'il y demeure. Or je veux fur cela

Donner au Diable un confeil falutaire :
Monfieur Satan, lorfque vous voudrez faire
Quelque bon tour au chétif genre-humain,
Prenez-vous-y par un autre chemin :
Ce n'eft le tout d'envoyer fon femblable
Pour nous tenter. Crépin votre féal,
Vous fervant trop, vous a fervi fort mal;
Pour nous damner, rendez le vice aimable.

NOTE.

(1) 7. B. Rouffeau avait fait une fatire intitulée la Baronade, contre le baron de Breteuil fon bienfaiteur, dont il avait été le fecrétaire, et il avait eu l'impudence de prétendre ne s'être brouillé avec M. de Voltaire que par zèle pour la religion; hypocrifie révoltante dans un homme connu par tant d'épigrammes irréligieufes, et banni pour crime de fubornation. Ces circonftances rendent cette fatire excufable; l'ingratitude et l'hypocrifie doivent être traitées fans ménagement.

LE MONDAIN.

1736.

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